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Les stratégies de lutte de la société civile burkinabé, congolaise (RDC) et sénégalaise contre les mandats de trop : quelle évaluation faite pour la participation des femmes et des jeunes

Equipe de recherche :

Dr. DIOP Daouda Mouhamed, 

MULUMBA Roland Ndiadia 

TOE Carlos Miniwo


SIGLES ET ABREVIATIONS :

AESO : Association des Elèves et Scolaires de Ouagadougou

ANEB : Association Nationale des Etudiants du Burkina 

BF: Burkina Faso,

BSS: Benno Sigguil Sénégal 

CCRP : Cadre de Concertations des Réformes Politiques 

CEDEAO : Communauté Economique Des États de l'Afrique de l'Ouest

CENCO : Conférence Episcopale Nationale du Congo 

CLC : Comité Laïc de Coordination 

COSEF : Conseil Supérieur des Femmes

DTS : Dynamiques Territoriales et Santé 

ECC : Engagement Citoyen pour le Changement

FDS : Forces de Défense et de Sécurité.  

FECSDA : Femmes Education Culture Santé et Développement en Afrique

FRAPP : Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricain

FSS : Forum Social Sénégalais,

GRIL : Groupe de Recherche sur les Initiatives Locales 

LEGS Africa : Leadership, Ethique, Gouvernance, Stratégies pour l'Afrique

LSDDH : Ligue Sénégalaise de défense des Droits de l’Homme

LUCHA; Lutte pour le Changement

M23 : Mouvement du 23 juin 

MP: Majorité Présidentielle

MPR : Mouvement Populaire de la Révolution 

NSCC : Nouvelle Société Civile Congolaise

ONG : Organisation Non Gouvernementale 

OSC : Organisations de la Société Civile

PPRD: Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie 

PVFPS : Plateforme de Veille des Femmes pour la Paix et la Sécurité 

RADDHO : Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme

RDC : République Démocratique du Congo 

UCAD : Université Cheikh Anta Diop de Dakar 

UDPS : Union pour la Démocratie et le Progrès Social

UGEB : Union Générale des Etudiants du Burkina 

UJCC : Union des Jeunes Congolais pour le Changement

UNIKIN : Université de Kinshasa 

YAM : Y’en A Marre 

3 M : Mobilisation, Monitoring et Médiation


Résumé 

Le continent africain connaît d’importantes mutations démographiques, sociales et politiques. Les vagues de protestation citoyennes pour la démocratie, contre la vie chère, les réformes constitutionnelles et les mandats de trop ont mis sous les feux des projecteurs l’Afrique de l’Ouest.  Alors que la place et le rôle des femmes et des jeunes dans ces tournants historiques ont été peu étudiés, l’étude interroge la participation des jeunes et des femmes dans les stratégies de lutte de la société civile burkinabé, congolaise (RDC) et sénégalaise contre les mandats de trop. A travers une démarche qualitative, l’analyse montre que les jeunes et les femmes au Sénégal, l’église en RDC et le mouvement citoyen au Burkina Faso ont été des acteurs majeurs dans la lutte contre les mandats de trop. Les stratégies développées sont à la fois latentes (communication, mobilisation citoyenne, mise en place de plateforme, sensibilisation) et ouvertes (manifestations dans la rue). 


Mots clés : société civile, troisième mandat, Eglise catholique, mouvement citoyen, stratégies, Sénégal, Burkina Faso, République Démocratique du Congo (RDC) 


Summary 

The African continent is undergoing major demographic, social and political change. Waves of citizens' protests for democracy, against the high cost of living, constitutional reforms and excessive mandates have put West Africa in the spotlight.  While the place and role of women and young people in these historic turning points have been little studied, this study examines the participation of young people and women in the struggle strategies of civil society in Burkina Faso, the Democratic Republic of Congo (DRC) and Senegal against excessive mandates. Through a qualitative approach, the analysis shows that young people and women in Senegal, the church in the DRC and the citizen movement in Burkina Faso have been major players in the fight against excessive mandates. The strategies developed are both latent (communication,mobilizing citizens, setting up platforms, raising awareness) and open (street demonstrations).

Keywords: civil society, Third term, Catholic Church,Citizen Movement, strategies, democracy, Senegal, Burkina Faso, Democratic Republic of Congo (DRC)

Introduction 

De la période précoloniale à nos jours, la participation à la vie politique des jeunes et des femmes a évolué en dents de scie. Avant la colonisation, elle n’était pas à l’avant-garde, mais elle apportait sa contribution à la construction du pays. Avec la colonisation, la présence de la femme dans la vie politique s’est vue progressivement réduite à une portion congrue. Elles furent privées des formes de pouvoir politique dont elles disposaient avant la colonisation. « Les colonisateurs restèrent aveugles aux réalités de pouvoir qui concernaient certaines catégories de femmes en fonction de leur âge, de leur statut social ou encore de leur poids économique » [1]. 

A l’instar des autres colonies françaises, le Sénégal, le Burkina Faso et la RD Congo ne dérogent guère à la règle. Traditionnellement, les femmes étaient au cœur du pouvoir politique. L’avènement du modèle colonial va consacrer l’exclusion des femmes de l’espace politique. Cette situation perdurera jusqu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, jeunes et femmes ne peuvent être occultées dans les mouvements démocratiques comme la lutte contre les prolongations de mandats présidentiels. En effet, ces « cadets sociaux » [4] (les jeunes et les femmes) s’imposent dans l’espace public par leurs poids démographiques importants. 

Cette présence de plus en plus prononcée des femmes et des jeunes dans l’espace public est la jonction d’acquis de plusieurs décennies de lutte. Elle a commencé dès la colonisation pour se poursuivre durant les premières années d’indépendance, puis les décennies des Femmes lancées par les Nations Unies à Mexico (1975) à Copenhague (1980), à Nairobi (1985) et Beijing (1995). 

Femmes et jeunes, à travers les mouvements et associations de diverses formes, ont investi le terrain revendicatif et de la contestation. Entre la dénonciation des maux qui gangrènent la société (chômage, faible implication des jeunes dans les instances de prise de décisions, cherté de la vie, etc.) et l’engagement dans la cause d’un respect des principes démocratiques, le pas est vite franchi. En effet, ce glissement vers des luttes politiques et démocratiques en particulier bien que plus saillante à travers le mouvement social et citoyen n’est point nouvelle. Ce dernier a pris forme sur les cendres d’autres mouvements sociaux féminins, juvéniles et urbains. Tous donnent à lire l’affirmation des jeunes et des femmes dans l’espace public. 

Pour autant, ces actions des jeunes et femmes sous la bannière d’organisations de la société civile pourraient être considérées comme le prolongement d'un mouvement plus global, porté massivement par les femmes et jeunes urbains » [2] des années 80 et 90. Ces mouvements de contestation pour plus de démocratie et de  respect de la Constitution se font sur fond de conjoncture, de crises protéiformes que traverse le pays depuis une quinzaine d’années et d’aspirations à plus de civisme et de citoyenneté. Longtemps cantonnés en arrière-plan et dans les seconds rôles, l’action des jeunes et des femmes dans l’expression démocratique a été plus saillante au cours des deux dernières décennies notamment avec des mouvements citoyens tels que la Lucha (Lutte pour le Changement) et Filimbi (mot swahili qui signifie sifflet) en RDC, le Balai Citoyen au Burkina Faso et Y’en A Marre au Sénégal, nés à la faveur d’une contestation des manipulations constitutionnelles pour un troisième mandat. 

En réalité, cette tentative d’un Chef d’Etat à vouloir prolonger son mandat n’est pas propre au Président SALL au Sénégal. La candidature du Président Abdoulaye WADE pour un troisième mandat aux présidentielles de 2011, la tentative de modification de l’article 37 par le régime COMPAORE au Burkina Faso en 2014, les troisièmes mandats des présidents TANDJA Mamadou (tanzarcé), Alpha CONDE et Alassane Dramane OUATTARA, respectivement en république du Niger, de Guinée et de Côte d’Ivoire s’inscrivent dans cette dynamique et constituent des illustrations de tels projets politiques. Il en est de même avec la réparation de l’erreur ecclésiastique sur l’année de naissance dans le registre administratif de l’église, parce qu’elle permet au président ougandais Yoweri Museveni en 2016 d’échapper à la limite d’âge. Au fond, ces passages en force imposent la réflexion sur le constitutionnalisme africain. Avec ces toilettages constitutionnels faut-il vite se projeter dans la perspective de la quatrième étape du constitutionnalisme en Afrique et négliger les dynamiques politiques positives qui y ont opposé des résistances avec succès dans certains pays africains ? En fait, cette phase nouvelle de la vie politique en Afrique se caractérise par de fortes mobilisations populaires notamment des jeunes et des femmes contre « les mandats de trop ».

Les manifestations contre les velléités de prolongation de mandats présidentiels, candidature pour un troisième mandat, dans les trois (03) pays se sont opérées à la suite de la synergie de divers types d’acteurs (partis politiques, organisations de la société, mouvements de jeunes et femmes, guides religieux, etc.). Les jeunes et les femmes, apparus comme de nouveaux porte-parole des aspirations politiques du peuple ont joué un rôle de premier plan dans la mobilisation citoyenne entre 2011 et 2023. Dès lors, comment jeunes et femmes s’organisent-ils pour participer aux manifestations contre les mandats de trop ? Les stratégies développées par les organisations de la société civile sont-elles les mêmes entre le Sénégal, le Burkina Faso et la RDC ? Les acteurs des manifestations contre les mandats de trop sont-ils les mêmes ? Existe-t-il des spécificités selon les pays ? 

Globalement l’étude s’inscrit dans une réflexion sur la portée et les enjeux des mandats présidentiels de trop dans les démocraties africaines et particulièrement sénégalaise, congolaise et burkinabé. Les velléités des présidents en exercice de se représenter à un troisième mandat installe des incertitudes et des soubresauts.

  1. Les données et méthodes

Cette recherche analyse les stratégies développées par la société civile burkinabé, congolaise (RDC) et sénégalaise contre les mandats de trop. La méthodologie de recherche a reposé sur une approche qualitative. Elle a eu à combiner des recherches documentaires et une collecte de données qualitatives à travers l’administration de guides d’entretien semi-structurés. Cette approche qualitative a permis de passer en revue les stratégies déployées par les OSC et les processus et mécanismes par lesquels les jeunes et les femmes sont passés pour compter parmi les acteurs principaux dans les luttes contre les mandats de trop. 

L’administration des guides d’entretien, leur transcription et analyse de contenu ont été précédées d’une revue documentaire centrée sur les thématiques suivantes : manifestations et ampleur des contestations contre les régimes politiques, les mouvements sociaux juvéniles urbains, participation des jeunes et des femmes dans les mouvements citoyens et politiques, femmes et jeunes acteurs des luttes démocratiques. La revue thématique permettra de se focaliser sur les obstacles et défis liés à l’engagement des jeunes et des femmes dans les luttes démocratiques, l’évolution des places et des rôles des femmes et des jeunes dans les mouvements de luttes démocratiques, la variété et la dynamique des stratégies déployées par les acteurs de la société civile et les recommandations qui pourraient être formulées pour renforcer la participation des femmes dans les luttes démocratiques.  Des études, des articles scientifiques et de presse, des ouvrages, des rapports et des contributions traitant de la thématique ont été exploitées dans la revue documentaire. 

Le guide d’entretien sera un outil  qui permettra de réaliser des entretiens semi-structurés avec des individus ou des groupes d’individus. Il est structuré autour des axes thématiques suivants : i) le profil et parcours  ii) vécus, représentations et appréciations de la place des jeunes et des femmes dans les luttes démocratiques iii) stratégies de lutte déployées par les sociétés civiles et mécanismes de participation des jeunes et des femmes et iv) évaluation, leçons apprises et recommandations. Dans les trois pays, Sénégal, Burkina Faso et République Démocratique du Congo (RDC), qui constituent le terrain de l’étude, les guides d’entretien ont été administrés aux organisations des droits de l’Homme, aux mouvements religieux, aux journalistes, aux acteurs de la société civile, aux leaders de mouvements de jeunesse et de femmes, aux membres de partis politiques, etc.

Au Sénégal 1 entretien a été réalisé avec un guide religieux, 2 avec des journalistes, 4 avec des femmes leaders et présidentes d’organisations féminines, 2 avec des jeunes membres de mouvements citoyens, 3 avec des responsables politiques et 3 avec des organisations de défense des droits de l’Homme et 2 auprès de figures importantes de la société civile. 

En RDC, 1  entretien a été réalisé avec la représentation officielle de l’Eglise catholique, 1 avec un membre du bureau du Comité Laïc de Coordination (CLC), organisation catholique et fer de lance de la contestation contre le troisième mandat du Président Joseph Kabila, 1 avec un membre de l’UDPS, parti au pouvoir et ancien parti historique de l’opposition, 4 avec les membres du mouvement citoyen Lutte pour le Changement (Lutcha) et 1 avec le coordonnateur national adjoint en charge des Finances du mouvement citoyen Filimbi. 

Enfin au Burkina Faso, 3 entretiens ont été réalisés avec des jeunes militants et manifestants au moment des faits en 2014, 3 avec des femmes engagées en politique (militantes, sympathisantes, manifestantes), 2 avec des leaders d’OSC (responsables coutumier, religieux, association de développement), 3 avec des responsables de formations et partis politiques et 3 avec des chroniqueurs, journalistes et éditorialistes politiques spécialistes de la question des jeunes et des femmes. 

  1. La revue de la littérature et le cadre théorique

Après l’accession à l’indépendance, les nouveaux pouvoirs en Afrique ont plus ou moins confisqué tous les pouvoirs d'État. Ils ont confiné leurs populations dans des périphéries loin des centres de décision. Le résultat d’une telle politique est l’omniprésence au niveau continental  des autoritarismes hybrides, faisant une confusion totale entre l’instauration d’un « État fort » et celle d’un « pouvoir de terreur ». De 1960 à 1990, c’est « le règne de l’État policier » (Augustin Marie Loada ; 2001 :30). Avec, le « tout État, [les options] d’arrêter, torturer, humilier et finalement exécuter sommairement des gens, même si certains d’entre eux étaient très certainement coupables de crimes, […] » relèvent de pratiques courantes et même banales (Jean-Jacques Gabas ; 2003 : 37). Ces pratiques autoritaristes des élites finissent par consacrer un « divorce entre l’Afrique réelle et l’Afrique officielle » (Jean-Marc Ela ; 1990 :161). Ce divorce est source de mobilisations sociopolitiques structurées autour de revendications portant instauration sur le continent africain d’un ordre politique plus démocratique.

En effet, les années 1990 constituent un tournant politique en Afrique, parce que le temps de la culture du silence a semblé prendre fin pour laisser la place à l’ère d’une culture de la contestation (Jacques Lafargue,1996 : 109-67). C’est à travers l’irruption de la foule mécontente et subversive dans le champ politique que cette culture de la contestation prend forme. Elle conduit à la banalisation du phénomène émeutier » (Jean- François Bayart ; 1990 : 14). Ces mouvements de violences ont touché presque toutes les régions de l’Afrique.  Le phénomène s’est manifesté en Afrique septentrionale, méridionale, orientale, centrale et occidentale. L’enjeu du phénomène émeutier des années 90 « dans les pays d’Afrique noire francophone […reste], le passage des systèmes de partis uniques au pluralisme politique» (Francis Akindès ; 2000 : 609). C’est la question d’ouverture politique qui était en jeu dans ces mouvements de violence. Ils ont fini par consacrer une « décompression autoritaire » au sein  des États de l’Afrique subsaharienne (Jean -François Bayart, 1991). C’est pourquoi, ces violences des années 90 sont saisies parfois sous les prismes de « la transitologie » et de « la consolodatologie » pour mettre en évidence, des scénarii « de sortie de dictature » (Patrick Quantin 1997 :9). 

L’analyse de la réalité du terrain politique africain montre les limites de ces acquis politiques en termes notamment d’une transition vers une démocratie ou plus exactement du renforcement des bases démocratiques des régimes en place. Les processus multiples de transition politique ont abouti, de façon générale, à une « démocratisation bien contrôlée » (Abdelkhaleq Berramdane ; 1999 :260). Ces transitions ont le plus souvent permis de légitimer les dirigeants de l’ancien régime. Ce qui explique que la transition démocratique des années 90 sur le terrain de l’Afrique subsaharienne est apparue comme un « deal »entre des acteurs. La transition vers la démocratie est un compromis entre les différents acteurs. » Comme tout compromis, les limites de validité des termes semblent poser des inquiétudes. Le respect des bases (règles) du jeu politique est remis en cause par les gouvernants. 

A partir de l’an 2000, les périodes électorales sont explosives parce que le retour aux urnes des Africains, au lieu de consolider la paix, la cohésion sociale, contribue au contraire à exacerber les fractures sociales, à fragiliser la situation sécuritaire des États, à détériorer l’environnement socio-économique. Aujourd’hui, les élections constituent un risque, des moments de crainte, de « peur existentielle ». Ce sont des périodes de « psychose, de crainte du déchaînement de la violence post-électorale tant chez les acteurs politiques que les observateurs de la scène politique africaine » (Hilaire de Prince Pokam ; 2008 : 2). De ces crises des processus électoraux, la question de limitation des mandats présidentiels joue un rôle capital. Elle ne dégage pas, « une unanimité non seulement au sein de la communauté des constitutionnalistes, encore moins parmi les acteurs politiques » (Augustin Marie. Loada, 2003). Ainsi, elle renvoie dans les faits aux projets présidentiels de tripatouillage des constitutions, à des abus de pouvoir, à des coups d’État constitutionnels visant à permettre aux chefs d’État africains de se maintenir durablement au pouvoir.

  1. Les stratégies de lutte de la société civile burkinabé, congolaise (RDC) et sénégalaise contre les mandats de trop

  • Les stratégies de lutte de la société civile sénégalaise
  • Des stratégies de lutte de la société civile sénégalaise contre les mandats de trop violentes en 2011 …. 

La présente section porte sur les stratégies déployées par la société civile sénégalaise contre le troisième mandat de l’ancien Président Abdoulaye WADE en 2011. Avant de se singulariser par leur caractère violent, les manifestations qui ont eu lieu ont été précédées d’une phase intensive de communication à travers les plateaux de télévision et les stations radios et de mobilisation par la mise sur pied d’une plateforme citoyenne. 

  • Les plateaux de TV et radio : une stratégie commune à tous les acteurs de lutte contre les mandats de trop 

La stratégie de la société civile contre les mandats de trop au Sénégal a revêtu diverses formes. En effet, si les manifestations du 23 juin 2011 peuvent être considérées comme l'étape la plus violente et un moment important dans le processus de lutte contre le troisième mandat du Président WADE, il n’en demeure pas que d’autres stratégies aient été développées. Parmi celles-ci, on peut évoquer l’information et la communication sur les enjeux d’une réforme constitutionnelle d’un mandat de trop. Il s’agissait pour les Organisations de la Société Civile (OSC) d’éclairer les citoyens et de les doter des arguments pour s’ériger contre la loi constitutionnelle instituant l’élection simultanée au suffrage universel du Président et du Vice-Président.  

Les motivations qui sous-tendent le énième tripatouillage de la Constitution du 22 janvier 2001 sont apparues au grand jour. Une fois porté à la connaissance du public le projet de loi constitutionnelle instituant le ticket pour une élection simultanée au suffrage universel direct du Président de la République et du Vice-président, adopté le jeudi 16 juin 2011 par le Conseil des ministres, il devait passer à l’Assemblée nationale pour son vote et ensuite sa promulgation. Sachant qu'une fois votée, la situation devient irréversible, la société civile se devait de s’inscrire dans une voie de défense de la démocratie et de la constitution en informant et en communiquant avec le peuple. «Il nous fallait investir l’espace public en mobilisant les citoyens. Et pour les faire adhérer à la cause, au combat contre un troisième mandat, il fallait beaucoup de communication, d’information et de sensibilisation en démontrant comment le projet de loi constitutionnelle instituant un ticket présidentiel pour une élection simultanée au suffrage universel direct du Président de la République et du Vice-président modifie la constitution » (Président en exercice de la RADDHO). 

Dans cette phase de conscientisation et de sensibilisation des citoyens, les partis politiques de l’opposition n’ont pas été en reste. C’était l’occasion d’acquérir la population à leur projet d’accession au pouvoir par une alternance politique. Et le projet de loi tel que conçu favorisait plus une « éternisation » du parti au pouvoir. Il fallait mettre en place une opposition plus forte et plus conquérante. « La souveraineté est menacée dans le mesure où le projet de loi en question stipule qu’on peut élire un président de la république avec 25% des suffrages exprimés. Ce qui veut dire que le pouvoir en place procédant à une rétention des cartes électeurs et permettant à leurs militants et partisans de voter, il gagne facilement les élections. Dès lors, il fallait à l’opposition de mettre en place des stratégies pour contrecarrer le projet de loi qui était tout simplement antidémocratique » (Responsable politique du Parti Socialiste, principal parti d’opposition). 

La communication, la sensibilisation et la formation des citoyens constituent un enjeu. Pour ce membre de la société civile présent dans l’espace politique pour bien mener cette lutte contre un troisième mandat, il faut un renforcement de capacités de certaines franges de la population dont les femmes. Dans cette mobilisation contre la validité ou l’invalidité de la candidature, il est crucial de disposer de toutes les compétences en outillant les acteurs car la bataille est d’abord juridique avant d’être politique. Les propos de cette présidente d’organisation féminine et militante engagée pour les droits et le leadership féminin, l’égalité homme-femme ainsi que l’éducation et la formation, la paix et la sécurité sont assez révélateurs de l’importance et la nécessité de formation des femmes en communication et leadership. « Certes nous les femmes nous sommes importantes numériquement mais notre participation dans les instances de prise de décisions reste très faible. Pour avoir plus d’impact, il faut travailler en synergie avec les OSC. Les femmes doivent être formées car elles ne sont pas assez bien comprises. De plus, la société sénégalaise n’est pas assez outillée pour accepter la femme. Ceci révèle qu’il existe des imperfections dans nos sociétés, le patriarcat par exemple, qui empêche les femmes parfaitement éduquées et formées d’aspirer à ces postes. Fort de ces constats, nous avons placé la formation et le renforcement des capacités des femmes dans nos actions car convaincues que la formation constitue un puissant outil de communication » (Présidente d’organisation féminine, membre de la société civile). 

Ayant déclaré juste après sa réélection en 2007, qu’il ne pourrait pas se présenter pour une troisième fois en 2012 car ayant limité le nombre de mandats présidentiels à deux (02), les débats entre majorité présidentielle et opposition vont porter sur la recevabilité ou l’irrecevabilité de la candidature du Président sortant. L’article 27 stipule que « la durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ou constitutionnelle ». Ainsi, des mois durant les partisans du pouvoir d’une part, de l’opposition et des acteurs de la société civile d’autre part, vont se partager les émissions de radio et de télévision pour une interprétation de la constitution notamment en ses articles 27 et 104. 

  • Mise en place de la plateforme « M23 » fédératrice de toutes les forces citoyennes 

Devant la puissance des forces politiques au pouvoir, les manifestations contre un troisième mandat s'avèrent une chose peu aisée. En effet, il est important de situer cette préparation de la lutte contre le mandat de trop au Sénégal dans deux temporalités différentes. La première concerne la mise en place du mouvement citoyen M23 contre la candidature du président sortant Abdoulaye WADE en 2012. La seconde est relative au mouvement «Jàmm Gën troisième mandat ». 

Si la manifestation du 23 juin contre le vote de la loi visant une réforme de la constitution pour instaurer un ticket Président-Vice-président avec 25% des suffrages valables exprimés a connu une réussite, c’est parce qu’antérieurement une plateforme réunissant l’ensemble des forces vives de la nation a été mise en place. Cette volonté de les fédérer intervient dans un contexte d’existence d’un terreau fertile d’éclosion d’organisations politiques et citoyennes dédiées aux jeunes (élèves, étudiants, artistes, etc.). Ainsi, parallèlement aux jeunes de la mouvance présidentielle, on notait une activité importante des jeunes de l’opposition. Dès lors, l’appel à une mobilisation de tous contre un troisième mandat à trouver très tôt un écho favorable chez les jeunes. « La participation des jeunes à la plateforme citoyenne du mouvement citoyen M23 pour moi constitue le prolongement d’un intérêt plus manifeste de ces derniers à la vie politique et à la démocratie. Ceci d’autant plus que depuis un certain temps, on note que les jeunes commencent à s'intéresser davantage à la citoyenneté dans leur quartier, leur terroir, à la démocratie participative et une plus grande présence du corps des jeunes dans l'espace public, etc. Ils ont été dans beaucoup d’initiatives pour la promotion de la participation des jeunes dans les processus politique et démocratique. Ils ont été parmi les meneurs dans tous les combats pour contrer les mandats de trop. Et dans le cadre des évènements de 2011, leur contribution a été très considérable et parfois même au risque de leurs vies ». (Rappeur, activiste)

Ce poids considérable des jeunes dans la nouvelle plateforme citoyenne en gestation est reconnu par les acteurs politiques de l’opposition. Ils étaient conscients que cette lutte à laquelle ils s'engageaient ne pouvait prospérer sans la contribution des jeunes. L’enjeu était de montrer que ce n’était pas un combat de partis politiques pour aspirer au pouvoir mais un combat contre un bien du peuple : la constitution. Et que celle-ci ne pouvait rester en marge d’un tel combat car la jeunesse est l’avenir de toute nation. « Un pays vit et survit par sa jeunesse. La veille de la journée 23 juin constitue la mise en place d’un nouveau front de lutte contre l’injustice et les violations répétées de la constitution. Le combat dépasse le refus du ticket présidentiel. Il a pour objectif premier de faire partir l’actuel président Abdoulaye WADE. Nous sommes là pour soutenir notre jeunesse. Le combat n’était pas pour un jour. Il s’est poursuivi le lendemain. Cette réforme était inacceptable » (Responsable politique, opposant).  

  1. Manifestations contre le vote du projet de loi constitutionnelle instituant le ticket présidentiel et la troisième candidature de Président sortant

La société civile est devenue un acteur majeur dans les processus démocratiques. A côté des formations politiques, ces différentes composantes de la société ont été dans toutes les luttes et conquêtes démocratiques au Sénégal. Les avancées démocratiques enregistrées telles que la suppression de l’isoloir et l’abaissement de l’âge de vote à 18 ans ont été l’aboutissement d’un combat de longue haleine.  

La volonté de répondre aux aspirations démocratiques des citoyens et de maintenir le pays comme une vitrine dans ce domaine vont conduire les nouvelles autorités à l’adoption d’une nouvelle constitution, le 22 janvier 2001 à la suite du référendum du 07 janvier 2001. Cette réforme constitutionnelle n’est pas sans conséquence car elle introduit une grande nouveauté en limitant désormais le nombre de mandats présidentiels à deux (02). Dès lors, en adoptant le jeudi 16 juin 2011 par le Conseil des ministres un projet de loi constitutionnelle instituant le ticket présidentiel, le gouvernement sonnait la mobilisation citoyenne car voulant toucher à des biens communs que sont la constitution et le mandat présidentiel.  

Parmi les manifestations citoyennes menées, la plus en vue demeure celle de la journée du 23 juin 2011. Si elle a marqué plus d’un, c’est qu’elle a été une mobilisation citoyenne sans précédent dans son intensité, sa durée et dans la détermination des jeunes et femmes. Appartenances politique, professionnelle et corporatistes étaient dissoutes, tous se voyaient composantes du peuple : citoyens. Les propos de ce membre de la société civile sont assez illustratifs de la situation. « La manifestation du jeudi 23 juin 2011 devant les grilles de l’Assemblée nationale est un mouvement spontané. Quand la presse a commencé a évoqué la question d’un projet de loi pour un troisième mandat de Abdoulaye WADE aucune organisation ou plateforme n’était pas encore mise en place. C’est à la suite de cela que nous avons commencé par mobiliser une dizaine de personnalités influentes de la société civile. En plus des OSC, les partis politiques de l’opposition notamment la coalition politique Benno Sigguil Sénégal (BSS), la presse et le mouvement citoyen Y’en A Marre nous ont rejoints. On s’est réuni à la RADDHO et on a commencé à faire l’appel autour de deux questions. Etes-vous d‘accord pour la réforme ? Êtes-vous d’accord pour mobiliser fortement pour le 23 juin ? Devant cette  forte mobilisation citoyenne, les choses sont allées crescendo. Tous les segments de la société, tous les secteurs d’activités et toutes les catégories socioprofessionnelles (marchands ambulants, étudiants, etc.) sont sortis en masse. Le gouvernement en place a commencé à perdre le contrôle de la rue ce jour-là ». (Membre de la RADDHO). 

Outre les acteurs de la société civile, le mouvement social et urbain Y’en A Marre (YAM), collectif composé majoritairement de jeunes avec en figure de proue des artistes issus du milieu de la musique (rap), des universités et des journalistes, a constitué la frange juvénile des protagonistes dans le cadre des manifestations contre un projet de loi visant la réforme de la constitution et un troisième mandat du président sortant. Cette mobilisation de la jeunesse s’est faite sur le terreau de la troisième vague de protestation africaine (Branch et Mampilly, 2015 ; Mueller, 2018). La première serait la vague des mobilisations nationalistes de la période de décolonisation et la deuxième celle des mobilisations populaires pour les réformes démocratiques des années quatre-vingt-dix. 

La troisième vague de protestation africaine avec des prémices au Maghreb connaît son épanchement au Sénégal à travers le Mouvement YAM. Ainsi, l’entrée en scène des jeunes à travers la capacité polarisatrice de ce mouvement citoyen participe à une volonté de ces derniers de se constituer acteur à part entière dans la politique et d’un appel à un approfondissement du jeu démocratique. Ces visées recherchées dans la mobilisation des jeunes dans la lutte contre un troisième mandat restent perceptibles dans le discours de ce membre du mouvement des jeunes. « Pour nous jeunes qui n’avions pas eu la chance d’entrer dans l’histoire du pays d’autant plus que n’ayant pas participé à la première grande alternance démocratique du pays en 2000.  Le moment était venu d’être au-devant de la scène pour marquer le pays et notre génération. C’est pourquoi 2011 était l’occasion d’apporter du nouveau dans la mobilisation sociale et politique. Et les jeunes à travers le mouvement Y’en A Marre ont contribué à faire émerger chez leurs homologues une nouvelle conscience constitutionnelle et citoyenne et plus de participation politique chez les jeunes sénégalais, en les exhortant à défendre la constitution et à se faire respecter par les politiques ». 

Encore aujourd’hui, la société sénégalaise reste attachée à des valeurs culturelles, ancestrales et morales très vivaces telles que « le respect de la parole donnée ». Les citoyens voyaient dans la fameuse expression du Président WADE « ma waxone, waxett », un reniement, une rupture du pacte qu’il avait établi avec le peuple. De tels propos tenus par le « père de la nation » avaient sonné comme un coup de glas à la considération des jeunes envers les autorités gouvernementales et au plus haut point le Président de la république. Ils font partie des éléments catalyseurs de la forte mobilisation des jeunes durant les manifestations. Au-delà des messages conçus « musique », slogans « Faut pas forcer » et « Touche pas à ma constitution », les jeunes ont été en première ligne dans les manifestations en s’opposant aux Forces de Défense et de Sécurité (FDS).  

Les manifestations du 23 juin 2011, dont les jeunes sous la bannière du mouvement Y’en A Marre demeurent un acteur majeur, ne symbolisent pas uniquement une lutte démocratique pour un respect de la constitution et contre un troisième mandat du Président sortant Abdoulaye WADE. Pour nombre de jeunes, elles représentaient une preuve concrète, qu’ils sont aptes à participer politiquement et avaient voix au chapitre, au même titre que les « aînés » et la gérontocratie, aux affaires publiques. Mais aussi ces contestations des jeunes laissaient transparaître en filigrane un projet des jeunes de mettre sur pied un rapport différencié au politique et d’instaurer une rupture avec les modes de gouvernance qui se trouvent dans l’incapacité de résorber les problèmes d’employabilité et d’éducation des jeunes, mais aussi, la reproduction des inégalités sociales. 

La situation socio-économique des jeunes depuis les années quatre-vingt-dix s’est aggravée, et plusieurs ont été déçus de l’incapacité de leurs gouvernements à leur faire profiter des retombées économiques et politiques. Les revendications de cette troisième vague ont donc une portée politique et socio-économique (Sylla 2014 ; Mueller 2018). Les propos de ce membre du mouvement FRAPP sont assez révélateurs. « Les manifestations tout au long de l’année 2023 n’étaient pas tournées uniquement contre un troisième mandat. Elles étaient aussi l’expression d’une jeunesse frustrée, une dénonciation d’une non prise en charge des sollicitations et aspirations des jeunes. Il s’agissait pour nous de dire aux gouvernants tout notre désarroi et notre mal être ». 

Les manifestations du 23 juin 2011 ont révélé l’importance d’une mobilisation citoyenne. En plus d’avoir exercé une forte pression sur le pouvoir au point de conduire à un retrait du projet de loi constitutionnelle qui voulait instituer un ticket Président-Vice-Président, les manifestations ont eu un réel impact en Afrique. Au-delà des contextes et des cultures, son esprit s’est diffus dans nombre de pays de la sous-région au point qu’une véritable culture de citoyenneté et de la résistance pour un respect de la constitution s’est développée auprès de la jeunesse.   

Les évènements de juin 2011 qui ont abouti à un retrait du projet de la loi visant une réforme constitutionnelle ne signifiaient pas pour autant la fin de lutte contre le troisième mandat. En effet, la mobilisation s’est prolongée contre un troisième mandat consécutif d’Abdoulaye WADE, jugé anticonstitutionnel. Aux yeux des Organisations de la Société Civile (OSC) et de l’opposition, cette volonté du président de se présenter est toujours vivace et portait en elle-même les germes de futures contestations et d’instabilités politique, économique et sociale. Dans la perspective de pallier et de veiller à ce que cela n’advienne pas, la plateforme citoyenne M 23, née des cendres des évènements du 23 juin,  a constitué la figure de proue de la lutte pour que le président sortant ne se représente pas à un troisième mandat lors de la présidentielle de 2012. Les propos ci-dessous renseignent sur le sens du combat de la société civile contre un troisième mandat. « Une troisième candidature du Président sortant, Abdoulaye WADE, était vue comme une violation de la constitution. A cela, s’ajoute la méfiance des acteurs de la société civile au Conseil constitutionnel et les graves crises qui ont découlé de décisions prises par ce dernier comme par exemple en Côte d’Ivoire… Cette opposition du M23 à sa candidature avait comme objectif d’éviter des tensions et des conflits, de préserver le havre de paix et la vitrine de démocratie que constitue le pays » (Membre du M23). 

  • ……A celles plus latentes et pacifiques de la société civile contre les velléités d’un 3eme mandat du Président Macky SALL à l’élection présidentielle de 2024 construite autour de la veille, de l’alerte et de la sensibilisation 
  • La plateforme citoyenne « Jàmm Gën troisième mandat [6] » 

Après sa réélection à l’élection présidentielle de 2019, le Président de la République, Macky SALL, avait reçu la presse nationale à la veille du traditionnel discours à la Nation du 31 décembre. Abordant la question d’un troisième mandat, il a préféré entretenir le flou, indiquant que sa « réponse ne sera ni oui, ni non ». Enfin de pallier à ce qui s’est passé en 2011 et 2012, les organisations de la société civile ont été très tôt dans la prévention et dans l’anticipation. En effet, bien qu’aucune déclaration du Président en exercice, Macky SALL, n’évoque un troisième mandat. Les actes et les discours officieux de ses partisans présagent des velléités de se présenter pour une troisième candidature ou pour faire dans le langage politiquement correct « un second quinquennat ». C’est dans cet environnement clair-obscur que va se mettre un regroupement des OSC dans une nouvelle plateforme dénommée « Jàmm Gën troisième mandat ».

Cette plateforme était d’autant plus motivée et légitime que les plaies et les séquelles des manifestations contre un troisième mandat du Président WADE sont encore toutes fraiches et pas complètement fermées. En effet, une des stratégies de la société civile est d’inviter l’ancien Président Macky SALL, de ne pas candidater pour une troisième fois. Cette invite est construite autour de deux idées fortes à savoir « le respect de la Constitution » et de « la parole donnée ». Si la première est plus juridique car adossée à une interprétation de la Constitution en son article 27 « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » ; la seconde est sociale et morale. Et dans la société sénégalaise, la parole donnée valait plus qu’une signature ou serment. 

Ainsi, le 28 octobre 2022, les organisations de la société civile telles que AfrikaJom Center, Y’en A Marre, AfricTivistes, LEGS Africa, la Ligue Sénégalaise de défense des Droits de l’Homme, la RADDHO, le Forum Social Sénégalais, FRAPP France Dégage, DEN et des personnalités indépendantes telles que Seydi Ababacar SY NDIAYE et Abdourahmane SOW adressent une « LETTRE OUVERTE » avec comme objet : Pour le respect de la Constitution et de la parole donnée à Son Excellence Monsieur Macky Sall Président de la République du Sénégal. Dans la présente lettre, les membres de la plateforme « Jàmm Gën troisième mandat » saluaient le courage politique du Président en ces termes « Vous avez prouvé votre volonté de renforcer nos acquis démocratiques en confirmant la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, en verrouillant notre Charte fondamentale en 2016. Nous saluons ce courage politique qui contribue à la stabilité du pays ainsi qu’à son rayonnement international ».

Loin de s’arrêter en si bon chemin, ils lui rappellent ses déclarations fortes en assimilant ses deux mandats à la traditionnelle prière l’aïd el-kebir (la Tabaski) ou de l’aïd el-fitr (la Korité) avec ses deux « rakkas » dont après les avoir effectués il n’y a plus possibilité de faire un mandat supplémentaire. « Vous l’avez même clairement indiqué dans votre ouvrage, le Sénégal au cœur – 2019 » en précisant à la page 165 : « Et me voici de nouveau devant vous en vue de solliciter votre confiance pour un second et dernier mandat ». A cela s’adjoignent des interpellations sur les conséquences d’un « forcing » pour un troisième mandat qui sont particulièrement tragiques et lourdes pour les populations. L’invite va dans le sens de ne pas revivre le spectre de 2011 avec plus d’une dizaine de morts. Et pour pallier un éventuel bilan plus que meurtrier en 2024, la plateforme « Jàmm Gën troisième mandat » lance un appel au Président en exercice, Macky SALL en ces termes « Nous, citoyens sénégalais […] Nous vous invitons, Monsieur le Président, à faire une déclaration ouverte pour lever toute équivoque et installer définitivement le Sénégal dans des conditions de sérénité, de paix et de stabilité durables. Monsieur le Président, de grâce respectez la Constitution, respectez votre parole ndax « Jàmm Gën troisième mandat ». 

La stratégie des OSC contre les velléités d’un troisième mandat ne se cantonne pas uniquement aux acteurs politiques. Très ingénieuse, la plateforme « Jàmm Gën troisième mandat » va explorer d’autres voies de sortie de crise autres que celle de la protestation ou de la confrontation. Elle est allée à la rencontre des régulateurs sociaux, particulièrement les guides religieux, khalifes généraux des différentes confréries religieuses. Ceci d’autant plus qu’« Au Sénégal, on est souvent talibé d’un marabout avant d’être citoyen d’un Etat » (Coulon.Ch, 1982). Cette implication des régulateurs sociaux, guides religieux, avait d’autant plus de sens que lors du référendum constitutionnel de 2016 visant 15 réformes proposées en bloc incluant la réduction de la durée du mandat présidentiel à 5 ans au lieu de 7 ans, le Président Macky SALL, avait fait une tournée auprès des Khalifes généraux des confréries pour leur dire qu’une telle initiative c’est pour faire en sorte ce qui s’est passé en 2012 ne se reproduise plus jamais. 

Dans cette campagne commune, aucune force n’était de trop. Bien que n'étant pas sur le terrain et opérant le plus souvent à l’insu de tous, les guides religieux n’ont jamais manqué d’intervenir quand la situation sociopolitique était alarmante. Si en 2011, les khalifes généraux avaient grandement pesé de leurs poids dans le report de la loi sur le ticket Président-Vice-président en appelant le Président WADE à y surseoir. Pour les acteurs de la Plateforme, ce génie et cette richesse sénégalais devaient être mis en contribution encore. C’est dans ce sillage, qu’ils sont allés rendre visite aux guides religieux pour les engager dans ce combat citoyen fait d’alerte et de veille. Les propos du coordonnateur sont assez révélateurs à ce propos. « La raison de la mise en place de cette plateforme est de poser des actes qui vont instaurer une paix durable dans le pays. Et pour y arriver, nous devions mobiliser et impliquer toutes les sensibilités, toutes les forces. Et parmi ces forces, les plus importantes, ce sont les guides religieux car on a besoin de leurs prières pour une paix et une stabilité au Sénégal. Nous avons organisé des tournées pour les rencontrer. Premièrement, iI s’est agi de les informer et d’échanger avec eux et de leur montrer que ce vœu unanime d’une paix partagée par tous ne pourra être possible que si le Président de la république, lui qui avait écouté le peuple et savait que la limitation des mandats présidentiels à deux consécutifs de 5 ans figurait parmi ses exigences et aspirations, respecte la constitution et sa parole donnée. Secondairement, par leurs positions et leurs pouvoirs, les guides religieux peuvent alerter, parler pour le ramener à la raison tout le monde y compris le Président de la république pour que la paix règne au Sénégal. Ce qui nous préoccupait, c’était la paix et la stabilité. Et la condition principale pour ce que cela puisse avoir lieu, c’était que le Président, Macky SALL, ne se présente pas pour une troisième fois à l’élection présidentielle de 2024 ». (Coordonnateur de la plateforme, Jàmm Gën troisième mandat)

  • La plateforme citoyenne « Ëtu jamm », une contribution des femmes dans les stratégies de lutte de la société civile contre les mandats de trop

Les femmes n’ont jamais été absentes des combats de portée générale. Depuis plusieurs décennies, à travers différentes organisations, elles militent pour les droits et le leadership féminins, l’égalité homme-femme, l’éducation et la formation, la paix et la sécurité. Ces dernières années (depuis 1990), les femmes, tout en continuant à se situer sur le terrain de la défense de leurs droits, vont élargir le champ et la nature de leur combat à la démocratie en investissant l’espace public par le biais des organisations de la société civile féminine.  

Moins virulentes que les jeunes et plus affinées qu’eux, les femmes sont aussi des actrices majeures dans cette lutte contre un troisième mandat présidentiel. En effet, pour la situation de 2024, l’appel à la paix a été leur cheval de bataille. Par un discours qui prône la paix et la stabilité, les femmes se sont impliquées dans cette lutte. A travers une telle stratégie, elles parvenaient à mettre en second plan malgré les positions différentes parfois non consensuelles. Les propos ci-dessous résument bien cette situation. « Il est possible de dire que même s’il n’y a pas unanimité à cause des positions politiques la plupart du temps partisanes de certaines femmes, en tant que citoyennes respectueuses de la démocratie, la majorité des femmes réfute les mandats de trop. Celles-ci se sont impliquées et engagées dans les différentes luttes. Le rôle et la place des femmes dans ces luttes ont été déterminants surtout en rapport avec leur sensibilité féminine qui a été positivement distinctive à travers leurs discours et leur implication dans les mobilisations sociales » (Femme, Membre de la société civile). 

Fortes de leurs expériences de plus d’une décennie à travers la Plateforme de Veille des Femmes pour la Paix et la Sécurité (PVFPS) dénommée "Ëtu jamm" mise en place en 2012 et qui regroupe plus de 50 organisations de la société civile féminine, les femmes vont être encore parmi les figures de proue pour une paix et une stabilité. La stratégie adoptée s’articule autour du triptyque des 3 M : Mobilisation, Monitoring et Médiation.

Face à la situation sociopolitique vraiment tendue et palpable partout, la plateforme va s’impliquer à diminuer la tension qui sévit. En effet, les organisations de femmes ont participé à toutes les activités et actions faisant avancer la démocratie au Sénégal, décrié les reculs et pris des positions fermes pour faire triompher les idéaux de la démocratie. Les propos de la présidente rappellent la responsabilité des femmes et leur contribution pour plus de paix et de sécurité dans le pays. «  Lors de l’interview du 31 décembre 2019, la réponse du Président, Macky SALL « Je ne dirai ni oui ni non » à la question Allez-vous présenter pour 2024 ?va maintenir  le suspense et  installer  précocement le débat sur ses prétentions de se présenter pour une troisième fois et par ricochet installer un climat socio politique très tendu. Conscientes de cela, nous ne pouvions pas rester attentistes, il fallait qu’on soit dans la mobilisation, la médiation et la sensibilisation en vue de prévenir tout incident, tension ou conflit pouvant aboutir à la violence. De plus, le refus d’un troisième mandat était devenu le seul combat qui vaille et auquel la société civile féminine ne pouvait pas rester en marge d’une lutte pour le respect de la démocratie et de la constitution. En plus, nos actions doivent contribuer à l’instauration de la paix et de la stabilité. Car nous sommes engagées depuis 2012 dans la mobilisation des femmes en faveur d’élections apaisées, transparentes et démocratiques». (Présidente de la plateforme "Ëtu jamm")

  1. Les stratégies de lutte de la société civile congolaise

  2. Joseph Kabila et la constitution de 2006

Joseph Kabila prend le pouvoir à la suite de l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001. Il hérite d’un pays déchiré par la guerre avec un processus de paix en cours de négociation à Lusaka en Zambie. Antoine Ghonda présente la situation de la manière suivante  : « Presque inconnu du public, le plus jeune Chef d’État du monde, né le 04 juin 1971, hérite d’une situation au bord du chaos, un pays divisé, sous la menace d’une balkanisation avérée[6] ». Herman Cohen renchérit : « Après un cessez-le-feu en 2002, l’Afrique du Sud assura des services de médiation qui débouchèrent sur la mise en place d’un gouvernement intérimaire d’unité nationale, suivi d’élections générales en 2006 qui virent l’élection de Joseph Kabila. Il fut réélu en 2011[6] ».

Le gouvernement intérimaire proposa une formule assez surprenante connue sous le nom de 1 + 4. Un président et 4 vice-présidents. Cette formule permit de voter la constitution de 2006, et de la faire promulguer le 18 février 2006. Ladite Constitution est toujours en vigueur jusqu’à aujourd’hui. 

 Joseph Kabila, qui a été déclaré vainqueur aux élections de 2006 et 2011, a toujours été contesté à chaque fois. Le bilan de ses deux mandats constitutionnels est mitigé. Le premier quinquennat vit le projet des 5 chantiers et le second celui de la révolution de la modernité. De ces projets, Philippe Ibaka dit : « Dix ans après, la population bénéficiaire de ces projets du gouvernement estime que le taux d’exécution de cinq chantiers notamment est faible et son bilan mitigé ; les améliorations annoncées dans les objectifs n’étant pas vécues telles qu’attendues dans les secteurs vitaux ciblés» [7]. 

  1. Le troisième mandat de Joseph Kabila

Joseph Kabila Kabange n’a jamais dit qu’il voulait briguer un troisième mandat, cependant, les actes de sa famille politique démontraient le contraire. L’étincelle de la contestation contre ce projet est sans doute la publication en 2013 du livre : « Entre révision de la constitution et inanition de la Nation » du Professeur Evariste Boshab, secrétaire général du Parti présidentiel et Professeur de droit constitutionnel à l’Université de Kinshasa. Les slogans de certains caciques du pouvoir étaient sans ambiguïté, Kabila a droit à un troisième mandat.  Parmi ces slogans, les plus connus sont : Kabila désire et Kabila to tondi yo nanu te[8].

Quand Evariste Boshab écrivit son livre qui prône la révision de la constitution, l’opposition et la société civile réagirent avec force. La majorité présidentielle qualifia ces protestations de procès d’intentions. Opposition, société civile[9] et même une partie de la majorité présidentielle désapprouva ce projet. Beaucoup d’initiatives furent lancées de partout pour condamner l’initiative. Isidore Ndaywel dit : « Un groupe des partis politiques de la MP[10], hostile à un tel projet, estima que l’initiative du Secrétaire général du PPRD, le parti du Président, ne pouvait pas être le fait du hasard. Il fit état de ce que cette option n’avait jamais fait l’objet, au préalable, d’un débat interne au sein du Bureau politique de la Majorité Présidentielle, comme l’exigeait l’article 12 de la Charte de cette plateforme politique[11] ». La crise au sein de la majorité présidentielle aboutit au départ du gouvernement des ministres opposés au projet du troisième mandat. Ils vont créer une autre plate-forme politique connue sous le nom de G-7, (Groupe de 7, du nombre des partis politiques qui ont quitté la majorité présidentielle).

Deux slogans ont dominé cette période de tension tous azimuts, il s’agit de wumela[12] scandé par les partisans du troisième mandat, entre autres les membres du gouvernement et les partisans de Joseph Kabila. Du côté de l’opposition à Kabila, le slogan yebela[13] était celui qui était utilisé pour dire non au troisième mandat. Dans beaucoup de manifestations contre ce projet, une chanson revenait constamment : « Kabila, oyebela mandat esili[14] ».

  1. Le décès d’Etienne Tshisekedi fragilise l’opposition

L’opposition congolaise a depuis longtemps été incarnée par la figure d’une personne, Etienne Tshisekedi[15] et son parti, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS). La grandeur de cette figure de proue de la politique congolaise remonte aux années Mobutu. Alors que l’espace politique était verrouillé, 13 parlementaires du parti-Etat, le Mouvement Populaire pour la Révolution (MPR) adressèrent une lettre ouverte au Président Mobutu en décembre 1980. « Ce groupe de parlementaires décida de passer à la vitesse supérieure par la création, en février 1982, d’un parti politique d’opposition, non pas dans l’exil, mais sur le territoire national : l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Traduits en justice pour violation de la Constitution, ils furent condamnés à quinze ans de prison ferme, puis relégués dans les anciennes geôles coloniales [16] ».

Etienne Tshisekedi est resté constant dans son opposition pendant les régimes Kabila père et Kabila  fils. Son poids politique était devenu incontestable sur la scène politique congolaise. Il devint le seul à fédérer toute l’opposition politique face à Joseph Kabila. Ce qui lui valut le surnom de sphinx de Limete. Il meurt le 02 février 2017, alors que sa famille politique était engagée dans un dialogue politique avec le pouvoir sous l’égide de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO). Puisque le deuxième mandat constitutionnel de Kabila s’achevait en décembre 2016.  Cette mort mit l’opposition congolaise à rude épreuve, dans ce sens qu’elle perdit la capacité de mobilisation qu’elle avait du vivant d’Etienne Tshisekedi.

  1. L’émergence des mouvements citoyens

La situation politique dans le pays était favorable pour l’émergence des mouvements citoyens, d’autant plus que les évènements qui ont conduit à la chute de beaucoup de régimes en Afrique du Nord étaient vus par les autres jeunes du continent. C’est au tournant de l’année 2010 que ces mouvements des jeunes arabes eurent échos en RDC.

C’est ainsi que virent le jour à Goma, les deux premiers mouvements citoyens congolais, la Lucha (Lutte pour le Changement) et Filimbi (mot swahili qui signifie sifflet). « Ces regroupements étaient tous inscrits dans le courant « d’opposition au troisième mandat », en référence à l’insurrection populaire d’octobre 2014 au Burkina Faso, provoquée par le mouvement le Balai Citoyen qui avait renversé Blaise Compaoré à la suite de ses tentatives pour supprimer la limite des deux mandats présidentiels prévue par la Constitution burkinabé depuis 2000. Les jeunes congolais avaient aussi en mémoire, grâce à des réseaux sociaux, l’expérience du mouvement sénégalais Y’en a marre (YAM), à la base du renversement d’Abdoulaye Wade au Sénégal [17] »

De ces deux mouvements sont nés bien d’autres, notamment : Débout congolais du richissime Sindika Dokolo, le Coq Eveil du Congo, la Nouvelle Société Civile Congolaise (NSCC), l’Union des Jeunes Congolais pour le Changement (UJCC), l’Engagement Citoyen pour le Changement ECC, etc. La mobilisation de ces mouvements contre le troisième mandat parut comme un séisme politique, tant leurs actions vinrent combler les faiblesses de mobilisation de l’opposition entamée par le décès d’Etienne Tshisekedi. Leur opposition au troisième mandat de Joseph Kabila leur permit de s’allier avec toutes les forces vives  qui avaient la même lutte, notamment l’opposition. Leur campagne « bye bye Kabila », lancée en 2016 montre déjà les couleurs de leurs mouvements.

La jeunesse congolaise a embrassé les mouvements citoyens avec beaucoup de ferveur. Yves Diabikulwa, militant de la Lucha dit : « Le mouvement citoyen Lucha est composé majoritairement des jeunes de moins de 35 ans, ce qui est d’ailleurs explicable dans la mesure où la RDC est composée de 60% de jeunes selon certaines estimations [18] ». Quant aux femmes, il indique que ces dernières, malgré le fait qu’elles soient minoritaires, sont cependant les plus engagées de tous. La même réponse nous a été donnée du côté de Filimbi, où malgré leur nombre inférieur, elles ont un quota dans la représentation du mouvement et leurs voix comptent.

  1. L’Église catholique congolaise

La RDC est un pays de plus de 100.000.000 d’habitants dont plus de 90% est chrétienne. Les principales confessions religieuses sont l’Église catholique romaine, l’Église protestante et les Églises évangéliques, communément appelées au Congo Églises de réveil. L’Église catholique représente une grande partie entre 30 et 40 % des chrétiens du pays. Cette Église a un poids considérable en RDC, ce poids est d’abord le résultat de son omniprésence sur toute l’étendue nationale. Elle a des écoles, des universités, et beaucoup d’autres structures sociales qui aident la population, ainsi que l’État. Dans certaines zones reculées, elle a même la charge de payer certains agents de l’État par le biais de Caritas Congo.

Sur le champ politique, l’Église catholique est bien présente et ce, depuis bien longtemps. Cyrille Ebotoko, secrétaire exécutif de la commission justice et paix de la Conférence Episcopale Nationale du Congo situe cette présence bien avant l’indépendance : « Il faut situer l’engagement de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, déjà avant l’indépendance, donc elle accompagnait la vie politique de notre pays depuis l’indépendance. C’est dans une tradition même [19] ».

Il faut également souligner la crise qu’il y a eu entre l’Église et l’État du temps du Président  Mobutu, quand le Cardinal Malula avait commencé de critiquer la gestion du pays par Mobutu. Lors des crises politiques, elle a toujours été sollicitée par la classe politique. Lors de la Conférence Nationale Souveraine de 1991-1992, Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kinshasa, dirigea les travaux de cette conférence. La loi organique numéro 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante telle que modifiée à ce jour renforce le rôle politique de l’Église en donnant aux confessions religieuses le droit de choisir avec d’autres forces vives les membres du bureau de la Commission Électorale Nationale Indépendante. Alors que le pays était bloqué par la crise politique issue du projet de troisième mandat du Président Kabila, c’est l’Église catholique qui a organisé les pourparlers ayant dénoué la situation politique.

  1. Le Comité Laïc de Coordination (CLC)

Le Comité Laïc de Coordination est une organisation informelle des laïcs catholiques. C’était un groupe de laïcs catholiques qui participaient à la Conférence Nationale Souveraine. Il a fait parler de lui en 1992, lorsqu’il organisa une marche des chrétiens pour exiger la réouverture de la Conférence Nationale Souveraine, fermée par le Président Mobutu. La marche fut un succès tant le but poursuivi était atteint.

Alors que la situation politique était dans l’impasse, le CLC qui était dans un état de mort cérébrale renaît et prend l’initiative de revenir à la marche des chrétiens de 1992. Mais cette fois-ci pour exiger le respect de la Constitution et l’organisation d'élections transparentes et libres. On va reconstituer un autre Comité Laïc de Coordination qui va être reconnu par l'Église institutionnelle, celle-ci conféra à cette organisation une reconnaissance juridique. Le Cardinal Laurent Monsengwo dans l’attestation provisoire du CLC indiqua les missions suivantes : « assurer la mise en œuvre des directives pastorales de l’Archidiocèse de Kinshasa dans le domaine sociopolitique ; sensibiliser et conscientiser la population pour jouer son rôle de souverain primaire ; initier et coordonner des actions qui concourent à cette fin[20] ».

  1. Combat contre le troisième mandat et ses résultats

La lutte contre le troisième mandat de Joseph Kabila a mis ensemble l’opposition parlementaire et extraparlementaire ainsi que la société civile. Syndicats, mouvements citoyens, ONG et l’Église catholique participèrent à la protestation.

L’opposition politique étant à bout de souffle avec la mort d’Etienne Tshisekedi, l’horizon de la contestation contre le troisième mandat était incertain d’autant plus que beaucoup de politiciens s’étaient compromis aux yeux de la population [21]. C’est ainsi que les mouvements citoyens Lucha et Filimbi prirent le devant avec tout le risque de répression que représentait le fait de manifester à cette période. Ainsi, en 2016, la Lucha lança avec d’autres mouvements la campagne bye-bye Kabila. Lewis Yola, militant de la Lucha dit : « Notre lutte contre le troisième mandat consistait à ne pas faire un recul de la démocratie dans notre pays. Parce qu’on craignait revenir aux années Mobutu… Et pour nous ça allait être un échec de tout ce qui a été fait au niveau de Sun City, tout ce qui avait été fait en termes d’avancées constitutionnelles. Ça allait être un très grand recul et pour ça on s’était engagé pour qu’il n’y ait pas un troisième mandat. Parce que s’il y en avait, ça allait constituer un précédent [22] ».

Les mouvements citoyens, composés à plus de 90 % des jeunes, pour la plupart diplômés des universités, firent preuve de beaucoup d'ingéniosité dans le changement rapide des itinéraires pour déjouer les dispositifs sécuritaires contre leurs activités de terrain. À l’image de la campagne bye-bye Kabila qui fut délocalisée quelques heures avant, ce qui permit de se rassembler loin de la place initiale et de tenir la manifestation.

L’Église catholique institutionnelle prépara le terrain par la reconnaissance du Comité Laïc de Coordination [23]. La Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), publia au plus fort de la crise politique, deux communiqués dont les titres étaient : « Le pays va mal, très mal : débout Congolais » et « le peuple congolais crie sa souffrance : allons vite aux élections ». Isidore Ndaywel è Nziem, membre du CLC, dit : « c’est à la suite de l’interpellation de nos Pères Evêques, que nous nous sommes engagés, à accompagner notre peuple dans la voie de revendication des élections libres, transparentes, consensuelles et crédibles [24] ».

La tactique principale du CLC était celle de manifester à partir des paroisses après la messe. Le quatrième appel du CLC du 21 mars 2018, précisa quelques actions  : « La participation à la messe de morts des martyrs du 25 février 2018, le vendredi 16 mars à 10 heures à la cathédrale Notre Dame du Congo ; La sonnerie des cloches, tous les jeudis à 21 heures dans toutes les paroisses, de Kinshasa et de nos provinces, accompagnée des sifflets, klaxons(SIC) et autres bruits de casseroles ; La poursuite assidue des formations à la non-violence évangélique active dans nos différentes paroisses de Kinshasa et de l’intérieur du pays ; L’organisation des prières, sermons et autres prêches de réarmement spirituel pour continuer à porter notre croix, passage obligé vers la résurrection de la nation congolaise ; Les actions diplomatiques en direction des nombreux partenaires de notre pays avec l’aide de nos compatriotes de la diaspora[25] ». 

Le mouvement reçut un écho favorable du côté de la population, des mouvements citoyens ainsi que les partis politiques de l’opposition. Ce qui fut un véritable séisme politique. Les jeunes des mouvements citoyens ont apporté un soutien assez important dans la concrétisation de ces marches, c’est dans ce sens que Thierry Nlandu, membre du CLC dit : « le mouvement a trouvé un vrai relai à travers les jeunes des mouvements citoyens [28] ». Ce relais, Rachidi Malundama, Coordonnateur national adjoint chargé des Finances de Filimbi le présente de la manière suivante : « plaidoyers, dénonciations, manifestations publiques pacifiques et non violentes : sit-in, marches, concerts de casseroles, etc.[26] ».

Les marches du CLC étaient difficiles à contenir pour beaucoup de raisons. D’abord, elles partaient des paroisses, or une ville comme Kinshasa comprenait 167 paroisses à l’époque. Autre fait, ces marches étaient pacifiques, les chrétiens catholiques marchaient avec des banderoles, des crucifix, des bibles ainsi que des chapelets. Le CLC avait réussi à interdire toute utilisation d’insigne de parti politique, ce qui était respecté.

Le CLC bénéficie d’un soutien considérable du Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, qui multiplie des prises de parole pour condamner la gestion du pouvoir mais également la répression des manifestations des chrétiens. De ces prises de parole on peut retenir : « que les médiocres dégagent et que règne la paix, la justice en RDC »,  « sommes-nous dans une prison à ciel ouvert ? » et « Nous voulons que règne la force de la loi et non la loi de la force ». Ces propos ont été aussi relayés par les jeunes des mouvements citoyens. Rabby Wenda, militant de la Lucha, renseigne que leur organisation s’était basée sur ces déclarations pour lancer la campagne «balayons les médiocres [27]». C’est à l’issue de cette campagne, qu’il intégra la Lucha.  

Il faut également souligner que malgré le fait que l’Église protestante n’avait pas eu une posture directe comme celle de l’Église catholique, le pasteur François-David Ekofo lors de son homélie de commémoration de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2018, devant toute la famille politique et privée de Joseph Kabila évoqua l’urgence de passer le relais [28]. Avec un discours diplomatique, il passa un message fort au pouvoir, lequel faisait échos à ce que venait de dire le Cardinal Laurent Monsengwo quelques jours avant.

Les activités du CLC contraignirent le pouvoir à lâcher du lest. Ce qui a permis d’organiser enfin les élections  le 31 décembre 2018. Prévues initialement pour le 31 décembre 2016, le pouvoir les renvoya au 31 décembre 2017 puis le 31 décembre 2018, avec au passage deux dialogues et deux gouvernements d’union nationale avec des premiers ministres débauchés du grand parti de l’opposition (UDPS), le deuxième dialogue fut présidé par l'Église catholique. À défaut d’un troisième mandat, le Président Joseph Kabila bénéficia d’un glissement de deux ans avec une contestation tous azimuts de la population, contestation dont le fer de lance était l’Église catholique par le biais du CLC.

Les obstacles à la lutte contre le troisième mandat furent nombreuses, la répression des manifestations, les arrestations arbitraires, la tentative de diviser les mouvements citoyens, ainsi que les pressions politiques qui finirent par diviser l’Église institutionnelle sur sa position à l’endroit du CLC, débouchant ainsi sur l’interdiction des manifestations à partir des paroisses de l’Église catholique, ce qui fut un coup dur pour le mouvement. 

Les activités du CLC ont réussi à fédérer toute la jeunesse du pays ainsi qu’une grande partie de la société civile autour d’un idéal. Cette lutte a malheureusement fait des victimes, essentiellement des jeunes tués lors des manifestations du CLC. Les cas les plus emblématiques sont ceux de Rossy Mukendi et Thérèse Kapangala. Le premier avait 35 ans et était assistant à l’Université Pédagogique Nationale. Il a été touché par une balle à la Paroisse Saint Bénoît à Kinshasa dans la commune de Lemba. Sa célèbre citation : « le peuple gagne toujours » devint le mantra de toute contestation politique au pays. La seconde, Thérèse Kapangala, aspirante à la vie religieuse, à 24 ans, a été criblée de balles lors de la marche des chrétiens du 21 janvier 2018 à Kinshasa dans la commune de Kintambo, à l’entrée de la paroisse Saint François de Sales. Ces deux cas sont représentatifs de la répression du pouvoir aux actions du CLC. Cela met également en lumière l’engagement des jeunes hommes et femmes pour le respect de la constitution.

  1. Les acquis de la contestation

Joseph Kabila a fini par désigner un dauphin au nom d’Emmanuel Ramazani Shadary, la route des élections était donc certaine. Cependant, le CLC et les mouvements citoyens restèrent mobilisés pour avoir des élections crédibles. L’opposition politique, qui partit divisée, gagna tout de même celles-ci et le 24 janvier 2019 fut la prestation de serment de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Ce fut la première passation de pouvoir pacifique qu’a connue le pays depuis son indépendance en 1960. 

Isidore Ndaywel, membre du bureau du CLC dresse le bilan : « Le meilleur acquis à retenir à ce sujet a été et demeure l’éveil de la conscience populaire et la confirmation que le primat du souverain primaire n’est pas un simple slogan. Ainsi, par la volonté du peuple, il n’y a pas eu de troisième mandat ; par la volonté du peuple, il n’a pas été question du transfert du pouvoir à un dauphin. Et, la culture de la non-violence, qui a été le socle de toutes les marches et interventions du CLC, n’a pas manqué d’inspirer dans la suite l’organisation des meetings des partis politiques. Ce qu’il faut donc surtout célébrer dans l’aboutissement de ce processus, c’est la ferveur populaire pour les élections, la sortie d’une longue crise remplie d’incertitudes, la fin d’un véritable calvaire à la base d’une longue lassitude [29] ». Thierry Nlandu, un autre membre du bureau du CLC bondit dans le même sens en disant : « L’essentiel c’est qu’au moins le peuple s’était mobilisé et avait réussi à sauvegarder sa constitution et en sauvegardant la constitution le peuple a montré qu’une fois réuni autour d’un même objectif, nous pouvons arriver à obtenir quelque chose [30] ». 

  • Les stratégies de lutte de la société civile burkinabé  

L’annonce publique en 2010 par Roch Marc Christian Kaboré de la volonté du Président Blaise Compaoré de modifier la constitution en son article 37 déclenche une bataille de près de cinq (05) ans portée par des organisations de la société civile, des femmes et des jeunes. Elle s’articule autour trois stratégies. Les deux premières donnent lieu à des actions de communication et de « résistance active ». 

  1. Contenir l’émergence d’une opinion dominante favorable aux mandats de trop : la Bataille de l’Opinion publique

La lutte contre le mandat de trop de la société civile au Burkina Faso passe par l’opposition à la modification de l’article 37 de la constitution burkinabè en vigueur. La lutte se mène en deux étapes. Cette première consiste à contrer l’émergence d’une idée dominante promulguée par la majorité dans l’opinion publique. L’anticipation et la réplique orientent les actions des OSC contre le processus d’instauration du mandat de trop ». En effet, les partisans de la modification de l’article 37 de la constitution de la 4ème république engagent une offensive de communication axée sur les risques de chaos autour de l’Après Blaise Compaoré. C’est contre la construction d’une telle opinion de chaos que la société civile lance la contre-offensive à travers deux types de communications : la communication médiatique (1) et la communication sociale (2).

  1. Les campagnes de communications médiatiques

  • La campagne de communication médiatique de la société civile se résume en des conférences et des déclarations de presse (a) et des animations de plateaux médiatiques (b). 
  • Les conférences, les déclarations et communiqués de presse des OSC au Burkina Faso de 2010 à 2014

Les OSC ont animé une trentaine de conférences de presse et fait plus d’une centaine de déclarations de presse. A l’analyse, les objets de ces activités avec la presse nationale et internationale renvoient à l’exposition des raisons de leur opposition à la modification de l’article 37. En termes de rythme, il est graduel. Ainsi, le rythme des communications médiatiques menées par les OCS opposées à la modification de l’Article 37 est devenu très intense à l’approche de la fin de mandat au point qu’à « trois mois du jour de vote à l’Assemblée Nationale,  nous avions trois à cinq conférences de presse par jour, du lundi au samedi de la semaine et sur le même sujet ». En ce qui concerne les objectifs, ils sont de deux ordres : « alerter et dénoncer ». Par exemple, pour interpeller la CEDEAO sur le caractère non consensuel de la convocation du Cadre de Concertations des Réformes Politiques (CCRP), elles ont organisé une conférence de presse. Cette dénonciation vise à mettre en lumière le non-respect par le Burkina Faso des accords additionnels de Bamako sur la démocratie et la bonne gouvernance.

  1. Les animations des plages et plateaux médiatiques

Les leaders des OSC sont les invités les plus réguliers sur le sujet de la limitation du mandat présidentiel au Burkina Faso. Ils ont été très présents dans les presses privées et plus particulièrement dans les journaux « Le Pays », L’observateur Paalga, les radios Savane FM, Salankoloto FM, Oméga FM, Ouaga FM, Horizon FM et les télévisions Canal 3 et BF1.

Les types d’émission sont les entretiens, les portraits, les interviews, les débats interactifs, des émissions interactives radiophoniques et télévisuelles. Pour gagner la bataille de l’espace médiatique, « notre responsable à la communication a fait un excellent travail d’identification de toutes les émissions politiques à grande audience dans un premier temps. Ensuite, nous avons élaboré une stratégie pour exploiter ces espaces d’audience à notre profit». Les animations sont tantôt des droits de réponse au camp présidentiel tantôt des explications sur les préparatifs ou les bilans des activités de leurs organisations.

  1. Les activités de sensibilisation et de conscientisation

  • Les organisations de la société civile ont engagé des activités de proximité. Ainsi, ce sont des sorties de terrain (a) et des activités de réflexion (b).
  • Les offensives communicationnelles en milieu socio-politique

Elles s’inscrivent dans une logique de conscientisation des masses populaires. Ce sont les soirées de thé-débats et des rencontres publiques. Les soirées de thé-débats se sont déroulées dans les « grin de thé » des secteurs ou des quartiers notamment des villes de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Koudougou et Ouahigouya, etc. Les thé-débats ont permis d'accroître la base sociale de la mobilisation contre la modification de l’Article 37. 

Quant aux sorties politiques de terrain, les leaders de la société civile ont parcouru de 2010 à 2014 l’ensemble du territoire burkinabè pour expliquer des décisions, sensibiliser sur les méthodes de lutte et conscientiser leurs bases. Ils ont dirigé des rencontres de leurs représentants installés à l’intérieur du pays. Ces rencontres sont des séances d’information et de formation en leadership des responsables locaux. En termes de formes, ce sont des AG et des réunions des OSC.

Les OCS ont aussi initié des audiences, des visites de courtoisie avec des autorités politiques, diplomatiques, coutumières et religieuses. A travers ces rencontres, elles ont échangé sur les enjeux de la modification avec les partenaires techniques et financiers notamment l’UE, le mogho-naaba, le cardinal (Eglise catholique) et les présidents de la communauté musulmane (FAIB) et de la fédération des églises évangéliques et protestants du Burkina (FEME). 

  1. Les activités de réflexion

Il s’agit essentiellement des panels, symposium, des études commanditées, des colloques. Elles sont œuvres des centres de recherche et des mouvements associatifs sankaristes. En réplique au colloque international du camp présidentiel autour des « 20 ans de renaissance démocratique » à PÔ, un contre-colloque sur les 20 ans de l’assassinat du président Sankara est organisé pour situer « l’origine des dérives autocratiques du président dans les événements du 15 octobre 1987». 

L’autre acteur prolifique en termes de productions intellectuelles est le CGD. En organisant un panel sur « Les révisions constitutionnelles en Afrique ; les cas du Niger, du Burkina Faso et du Sénégal » en juillet 2010, le CGD lance une série d’activité de réflexions dénommés les dialogues démocratiques. Les dialogues démocratiques sont mensuels et se poursuivent de nos jours. 

Enfin, dans cette catégorie d’activité, il y a le Forum international sur la citoyenneté d’un groupe intellectuel, dirigé par l’enseignant de droit communautaire le Pr Luc IBRIGA. Au-delà des activités de sensibilisation, de conscientisation, la société civile a été active sur le terrain des actions.

  1. La résistance active de la société civile contre le mandat de trop au Burkina Faso

Au fur et à mesure que l’échéance de 2015 approchait, la société civile change de stratégie face à la détermination du président Compaoré de modifier l'article 37. Elle abandonne la parole, les discours pour engager des démonstrations de force. Elle fait parler la rue par l’art (1) et les courses-poursuites (2)

  1. Les productions artistiques contre le mandat de trop

Les organisations de la société civile suscitent dans le monde artistique des productions qui incitent au rejet du mandat de trop du Président Blaise Compaoré. Les graffiti's occupent les jeunes et les œuvres d’art (pont, chaussées) de Ouaga sont des supports d’expression pour le « Non à la modification de l’article 37 ». 

En plus de l’art, il y a la musique des « artistes engagés ». Des textes de chants des artistes comme Smockey et Jean ZOE avec son titre « gama-gama » participent à la lutte contre la modification de l’article 37. Elles servent de stimulant aux jeunes manifestants.

  1. La résistance active

Elle renvoie aux mouvements de grèves et de marches-meeting des OSC. Il s’agit essentiellement des sit-in, des arrêts de travail et des grèves, menés par les syndicats du monde professionnel notamment dans le secteur de l’éducation, de la santé, de la télécommunication, etc. Les structures qui se sont les plus illustrées dans ce domaine sont l’Association Nationale des Etudiants du Burkina (ANEB) et l’Association des Elèves et Scolaires de Ouagadougou (AESO). Au motif de réclamer la justice pour leurs camarades Flavien Nébié et Dabo Boukary, les principaux syndicats des étudiants et élèves ont été « les bras armés » des OSC contre le mandat de trop du Président Compaoré.

Au titre des marches-meeting des OSC, il faut retenir celle du 28 octobre 2014. En fait, les organisations syndicales, sous le prétexte de la dénonciation du « continuum » ont trouvé la belle occasion de s’exprimer sur la question de continuité du pouvoir du Président Blaise Compaoré. Au cours de cette manifestation, les slogans, les chants, les invectives des animateurs sur le podium traduisent l’opposition des manifestants et de leurs leaders syndicaux au mandat de trop. Elle est la plus importante en termes de contestations populaires après celle des 30 et 31 octobre 2014.

  1. Focus sur la participation des jeunes et des femmes à la lutte contre le mandat de trop de Blaise Compaoré au Burkina Faso

  • Les rôles de communicant, de « bras armés » et de guides

Les jeunes et les femmes ont été des communicants. Ils ont animé les conférences de presse, répondu aux sollicitations de la presse pour les débats et les interviews sans oublier les messages des organes centraux des partis de l’opposition qu’ils ont portés aux structures de bases. 

Au cours des activités de communication de proximité, ils ont assumé les rôles de guide en adossant le costume d’hôtesse. C’est ici, qu’une différence apparaît entre les jeunes et les femmes. En fait, seuls les jeunes se sont occupés des questions de sécurité. A ce titre, ils jouent aux piquets de sécurité, forment les cordons de sécurité et se transforment en garde de corps des leaders, ou même en responsable de la sécurité des parkings, des lieux (bâtiment, salle, siège), des participants (manifestants).

  • Les leaderships des femmes et des jeunes lors des manifestations contre la modification de l’article 37 au Burkina Faso

Les jeunes et les femmes ont été des organisateurs des rencontres d’échanges politiques et des manifestations de contestation. Dans les cités universitaires, ils ont pris les initiatives d’organiser avec les étudiants résidents des débats politiques sur le thème de modification de l’article 37 avec les artistes engagés tels que le rappeur Smockey et le reggaeman Sam’s Ka le Dja. A ce niveau, les femmes se sont occupées de l’organisation des causeries-débats entre femmes sur la question du mandat de trop du Président Blaise Compaoré. Les femmes et surtout les jeunes sont de grands mobilisateurs les jours de meeting ou de marches : ils mobilisent et convoient les manifestants sur les sites de la protestation. 

  1. Discussion 

La première idée est que les trois pays partagent en commun le fait d’avoir été le théâtre de manifestations contre les mandats de trop. L’entrée en action des acteurs, l’intensité des actions, les moyens mobilisés et la temporalité ont varié d’un contexte à un autre en fonction des trois pays : Sénégal, RDC et Burkina Faso. Toutefois, quel que soit le pays, la société civile à travers ses multiples déclinaisons et composantes reste la figure de proue de cette lutte contre le troisième mandat. La mise en pratique des différentes stratégies déployées par les Organisations de la Société Civile (OSC) a été déterminée par la conjugaison de plusieurs situations et actions qui ont eu une influence prépondérante dans sa mise en place. Cette lutte a été possible un peu partout grâce à un essor et un développement d’une conscience constitutionnelle et démocratique dans les différents segments du peuple dont la jeunesse, les femmes et les mouvements religieux en constituent la quintessence. 

La deuxième idée est que les protagonistes dans la lutte contre les mandats de trop connaissent une variation d’un pays à un autre. Au Sénégal, ils demeurent les jeunes, les femmes, des politiques et des figures de la société civile. Ils ont constitué l’ossature de la plateforme citoyenne qui a réussi à phagocyter toutes les appartenances et obédiences pour ne laisser émerger et exister que le peuple. En RDC, outre les opposants politiques, l’église a été la force fédératrice et porteuse de la lutte contre un troisième mandat. 

Les pays partagent en commun les manifestations dans les rues comme stratégie commune. Pour autant, il n’en demeure pas moins que des spécificités existent dans chaque pays. En RDC les figures religieuses et les mouvements citoyens de jeunes naissant ont porté la lutte. Quant au Sénégal, c’est une société civile très forte, une jeunesse héritière de mouvements sociaux urbains et des organisations féminines ingénieuses qui se sont réunies en une plateforme pour exiger le respect de la constitution qui a limité le nombre de mandats à deux. 

Conclusion

Les acteurs de la société civile ont joué dans les mouvements de contestation contre les mandats de trop dans les différents pays concernés par l’étude. C’est face à la détermination des jeunes, des figures de la société civile, des organisations féminines et des religieux (Église) que la volonté de certains Présidents, dont Macky SALL au Sénégal, Joseph KABILA en RDC et Blaise COMPAORE au Burkina Faso, de se présenter pour un troisième mandat n’a pas pu s'exprimer et se matérialiser. Jeunes, femmes, syndicats, ONGs, mouvements citoyens, opposition et religieux, bref le peuple, ont réussi à faire reculer les partisans des mandats de trop et parvenir à faire respecter la constitution. 

Cette victoire est également celle des jeunesses des trois pays, embarquées dans les mouvements citoyens naissants. Ils ont été le moteur de la contestation et les acteurs dans la mobilisation et dans l’occupation des rues. Mieux, ils ont pris désormais le relais des politiques dans les combats citoyens et démocratiques. S’il y a un constat général qui se dégage au cours de cette étude, c’est bien que la souveraineté appartienne au peuple. Et ce dernier quel que soit la nature des dirigeants, il continuera de garder jalousement ce qui l’appartient en l’occurrence le nombre de mandat présidentiel, leur durée et la constitution. 

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 [1] GOERG Odile, Femmes africaines et politique : les colonisées au féminin en Afrique occidentale, CLIO, 1997, 6, pp. 105-125

[2] HAVARD Jean-francois, Ethos «bul faale» et nouvelles figures de la réussite au Sénégal, Politique africaine n° 82 - juin 2001, pp 63-77

[3] SARR F.2010, La véritable histoire de Nder racontée aux enfants, Laboratoire genre et recherche scientifique de l’IFAN, Dakar, UCAD.

[4] EBOKO Fred, L’État camerounais et les cadets sociaux face à la pandémie du sida, Politique africaine  Année 1996, N°64, pp. 135-145]

 [6] GHONDA Antoine, Joseph Kabila mythe ou réalité ?, Kinshasa, CT Editions, 2011, p. 24.

[7] COHEN Herman, L’esprit de l’homme fort américain mémoire d’un diplomate, Trad. Christophe Seiler, Kinshasa, Médiaspaul, 2016, p. 114.

[8] IBAKA Philipe, La gestion foncière de Kinshasa ville-capitale, plaidoyer pour l’adaptation des institutions traditionnelles, Londres, Editions Universitaires Européennes, 2023, p. 96.

[9] Phrase en lingala qu’on peut traduire littéralement par : Kabila nous ne nous sommes pas encore rassasiés de toi.

[10] Il faut noter que la société civile congolaise a toujours été divisée. Il y a généralement une branche proche du pouvoir et une autre proche de l’opposition.

[11] Majorité présidentielle.

[12] NDAYWEL Isidore, La saison sèche est pluvieuse l’audace de dresser le front pour un autre Congo, Kinshasa, Médiaspaul, 2017, p. 151.

[13] Mot lingala qui signifie demeure

[14] En lingala yebela signifie sois sur tes gardes.

[15] Kabila, soit sur tes gardes, le mandat est terminé !

[16] Il ne s’agit pas  de  l’actuel président Félix Antoine Tshisekedi, mais plutôt de son père.

[17] NDAYWEL Isidore, Brève histoire du Congo des origines à la République démocratique, Kinshasa, Médiaspaul, 2015, p. 266.

[18] NDAYWEL Isidore, Le Congo dans l’ouragan de l’histoire combat pour l’Etat de droit des femmes et des hommes de bonne volonté, Paris, L’Harmattan, 2019, p. 167.

[19] DIABIKULWA Yves, Entretien, Kinshasa, le 11 février 2024.

[20] EBOTOKO Cyrille, Entretien, Kinshasa, le 05 mars 2024.

[21] MONSENGWO Laurent, Attestation de reconnaissance provisoire, Kinshasa, le 17 novembre 2017.

[22] Cela à cause de la transhumance politique. Ceux qui critiquent le pouvoir le matin, deviennent les fervents soutiens de ce même pouvoir le soir.

[23] YOLA Lewis, Entretien, Kinshasa, le 15 février 2024.

[24] Le Comité Laïc de Coordination fonctionnait avec la couverture juridique de l’archidiocèse de Kinshasa.

[25] NDAYWEL Isidore, Allocution finale à la messe d’action de grâce, Kinshasa, mardi 29 janvier 2019.

[26] CLC, Jusqu’au bout nous irons !, Kinshasa, le 12 mars 2018.

[27] NLANDU Thierry, Entretien, Kinshasa, le 15 février 2024.

[28] MALUNDAMA Rachidi, Entretien, Kinshasa, le 05 avril 2024.

[29] WENDA Rabby, Entretien, Kinshasa, le 24 janvier 2024.

[30] Dans les habitudes, chaque 16 janvier, journée fériée en commémoration de l’Assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila (héros national), la famille politique et privée de Joseph Kabila se réunit toujours à la Cathédrale Notre Dame du Congo et la messe diffusée sur la radio et la télévision nationale. La brouille entre l’Eglise catholique et le pouvoir fit que cette fois-là, contrairement aux habitudes, la commémoration a été faite à la Cathédrale du Centenaire (Eglise Protestante). La cérémonie était diffusée en direct sur la radio puis la télévision nationale et fit grand bruit dans le pays, dans ce sens que les paroles de ce pasteur étaient identiques à celles du Cardinal Laurent Monsengwo.

[31] NDAYWEL Isidore,  Op cit., p. 270

[32] NLANDU Thierry, Entretien, Kinshasa, le 15 février 2024.

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