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Discours de légitimation, discours de délégitimation du troisième mandat en Afrique de l’Ouest au Sénégal : entre manipulations et reniements

Equipe de recherche :

  • Mamadou Dramé (Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal )
  • Moussa DIÈNE (Université d’Ottawa, Canada)

Résumé : 

La présente étude se veut une contribution à la compréhension d’un phénomène : Discours de légitimation, discours de délégitimation du troisième mandat en Afrique de l’Ouest : cas du Sénégal. C’est une situation qui pose un problème d’éthique mais aussi de religion dans ce pays. L’étude porte sur l’analyse des discours tenus des acteurs pour y déceler des choix linguistiques, des motivations et des implications. Ainsi, nous avons essayé de déchiffrer les différentes stratégies mises en œuvre par les différents acteurs, qu’ils soient des défenseurs ou des pourfendeurs pour légitimer ou légitimer le droit de briguer un troisième mandat présidentiel.

Mots-clés : Sénégal – Constitution – troisième mandat - politique – morale – wolof – français – Président de la République. 

Abstract : 

This study is intended to be a contribution to the understanding of a phenomenon: Legitimization discourse, de-legitimation, de-legitimization discourse of the third mandate in West Africa. This is a situation that poses a problem of ethics but also of religion in this country. It will focus on the analysis of the speeches made by the actors to detect linguistic choices, motivations, and implications. Thus, we will try to decipher the different strategies implemented by the different actors, whether they are defenders or opponents, to legitimize or de-legitimize the right to run for a third presidential term.

Keywords: Senegal - Constitution - third term - politics - morality – Wolof – French – President of the Republic. 


Introduction : 

Il demeure vrai que la question linguistique ne peut se départir de la question sociale et qu’elle pose en même temps le problème de la communication dans les anciennes colonies africaines devenues indépendantes. Dans ces pays, plusieurs langues sont parlées et entrent très souvent en conflit : dans le cas du Sénégal, plusieurs chercheurs l’ont déjà. Alors que le cas de l’Inde a été abordé par John Gumperz. Mais ceux-ci ont été devancés par Pierre Dumont. Les populations de ces pays font face à au moins deux langues, à savoir le français qui est la langue officielle, celle de l’administration, vestige de la colonisation et les langues locales dont l’une (le wolof) une super véhiculaire. 

Au Sénégal comme dans la plupart des pays d’Afrique, la majorité de ces populations se trouve en situation de bilinguisme et diglossie. Dans le cadre de la dynamique des langues, des stratégies de communication propres simplement aux groupes restreints sont créées. Ce bilinguisme d’office influence beaucoup les pratiques discursives, surtout dans le champ de la politique. Ainsi, des stratégies de persuasion sont mises en œuvre pour justifier des postures et positions et définir des options à imposer au reste de la population par les protagonistes.

La question du troisième mandat est restée pendant longtemps dans ces pays des casse-têtes pour les populations et pour les dirigeants, tiraillés entre le désir de se maintenir au pouvoir et l’envie de montrer à la face du monde leur engagement pour des transitions démocratiques dans un espace temporel défini par les lois fondamentales. Ainsi, beaucoup d’entre les dirigeants se rendent compte que les deux mandats auxquels ils avaient droit ne pouvaient pas leur permettre de réaliser toutes leurs ambitions. Et ils sont tentés par une volonté de revoir les lois fondamentales pour prolonger leurs séjours à la tête de leurs pays. Parfois, n’y arrivant que difficilement, ils se créent une horde de partisans prêts à défendre le droit de briguer un ultime mandat. Mais ils se trouvent ainsi en face d’une armée qui estime être dans le droit de défendre la légalité constitutionnelle pour refuser toute prolongation des durées prévues. De ce fait, on se trouve devant deux camps qui vont tenter chacun en ce qui le concerne de défendre ses positions en utilisant des stratégies argumentatives, pas toujours différentes, mais tout aussi convaincantes. Aussi, se rappelant le contexte multilingue dans lequel ils se situent, ils vont tenter de faire usage des langues pour convaincre les populations de la pertinence de leurs choix et positions.

Dans cette contribution, il s’agira de relire les processus argumentatifs employés par les partisans de chaque camp pour défendre leurs positions. Dans cette logique d’analyse de discours, nous allons essayer de nous appuyer sur les discours tenus par les uns et les autres, discours qui ont été transcrits et traduits avant d’être analysés de même que l’utilisation des langues dans le but de toucher un public plus large et de convaincre les plus sceptiques. Les textes seront puisés dans les journaux, mais aussi dans les débats publics et télévisés où les hommes politiques et leurs affidés peuvent s’exprimer avec liberté pour livrer leur « part de vérité ».

Précautions méthodologiques

Nous nous sommes appuyés à la fois sur les discours officiels, et les discours dans les médias sociaux pour y déceler des éléments permettant de convaincre des cibles différentes mais complémentaires. En effet, la problématique des discours de légitimation et de délégitimation vue sous un angle sociolinguistique pose le problème de la langue de communication employée par les auteurs concernés. Il est évident que ces discours ont une grande influence sur les différentes sociétés étudiées.

Ainsi, nous avons essayé d’analyser les discours savants, mais aussi moins compliqués qu’on retrouve dans les réseaux sociaux et utilisent des stratégies de contournement faisant que sa compréhension est à rebours. Alors nous avons tenté d’explorer les textes pour déceler ces mots et expressions qui constitueront notre corpus.  Ainsi, dans ce travail, nous nous sommes aussi appuyés sur des textes publiés dans les journaux, des extraits de discours tenus lors des débats télévisés, des extraits retrouvés dans les réseaux sociaux.

Entre 2010 et 2021, la présence dans les réseaux sociaux a connu un boom extraordinaire au Sénégal. Cette présence a été renforcée par le développement de Technologies de l’Information et de la Communication et la démocratisation de l’accès au réseau Internet. En effet, de juste quelques utilisateurs à ses débuts, ils sont maintenant plus de 50% de la population à avoir accès à Internet. Ce qui a favorisé la présence des jeunes dans les réseaux et surtout dans Facebook qui est la plateforme de communication la plus répandue et la plus utilisée. 

Les hommes politiques ont compris leur électorat et ont vu qu’il était possible de puiser dans ce vivier composé essentiellement de citoyens en âge de voter. Ainsi, ils ont chacun un compte Facebook qui leur sert de moyen de communication en même temps qu’il est un outil de propagande et d’entretien de la clientèle politique parfois volatile. C’est aussi un espace où chaque citoyen peut exprimer ses idées, partager ses opinions et créer le débat autour des sujets qui l’intéressent.

Durant les campagnes électorales, comme en dehors des joutes, les hommes politiques et les partisans ont investi les réseaux sociaux pour capter des voix mais aussi montrer l’évolution de leur campagne. L’enjeu est aussi de leur faire accepter leurs idées. Ainsi, la question du troisième mandat est revenue assez souvent dans les discours et chacun en fonction du camp où il se trouve a tenté, parfois au-delà des questions de droit et de légitimité des requêtes, d'imposer un discours.

Cette recherche s’intéressera aux stratégies de persuasion employées par les acteurs politiquespolitique mais aussi aux images utilisées pour convaincre les électeurs d’adhérer ou pas à l’idée du troisième mandat. Mais, toujours est-il que ces stratégies peuvent résister quelquequelques temps à la censure du public mais pas trop longtemps. Cette situation pose un problème politique mais aussi moral dans un pays où la morale joue un rôle incontournable dans le quotidien des populations et où tout est lu à l’aune de ce paradigme.

Le troisième mandat : une question de démocratie en Afrique 

Selon Nicolas Sorba, parlant des démocraties européennes, le régime démocratique semble être une évidence pour les sociétés occidentales, même si, toujours selon lui, l’histoire et l’actualité montrent que la notion, pour peu que l’on s’y intéresse avec sérieux, demeure et demeurera toujours à reprendre, peut-être même à réinventer. Donc c’est un concept qui, même s’il existe dans leur arsenal juridique depuis des siècles, doit toujours être repensé à l’aune des réalités de chaque époque.

« La démocratie dans ses formulations philosophiques ou scientifiques, dans ses réalités effectives, ses applications, ses fluctuations, ne cesse pas, en effet, d’interroger. 

Ses effets sociétaux aussi font l’objet de nombreux questionnements : qu’en est-il de ses incidences sur les comportements, les usages sociaux – la langue notamment –, sur les imaginaires ?.

Cela révèle une conception diversifiée de la démocratie qui sous-entend une dynamique modelée selon les contextes. Si dans des pays comme les États-Unis ou la France, au nom des acquis démocratiques, le mandat du Président de la République demeure, pour l’instant, irrévocable, dans d’autres, le mandat est parfois sujet à des changements encadrés par des processus juridiques du pays. Néanmoins, cela laisse apparaître, en même temps, une polémique problématique autour du mandat de trop pour le Président en exercice. Élu en 2014 comme premier président turque au suffrage universel direct, R. T. Erdogan a procédé à une révision constitutionnelle en 2017 pour que son pays passe d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Ayant été réélu pour une deuxième fois en 2018, la légitimité de mon mandat suivant alimentait les débats en Europe et partout dans le monde de manière générale. De la même manière, en plus de sa victoire en 2018, Vladimir Poutine avait proposé un changement constitutionnel par référendum en 2020 lui permettant d’effectuer deux autres mandats présidentiels. 

En effet, avec les avancées démocratiques notées dans certains pays, les citoyens ont mis un point d’honneur à la préservation des acquis qui passe inévitablement, selon leur entendement, par le respect de ce principe sacro-saint- qui assure la bonne vitalité de la démocratie. Ainsi, cette fièvre est très dynamique et a divisé les pays en « partisans du troisième mandat » et « pourfendeurs du troisième mandat » selon des interprétations de la Constitution de leurs pays respectifs. Chaque camp développe un raisonnement fondé sur des arguments juridiques, politiques, moraux ou éthiques pour défendre ses positions et convaincre le public du bien fondé de sa posture et du caractère républicain de ses convictions.

L’Afrique n’a pas été en reste de ces considérations. Dans les années 1990, beaucoup de pays ont commencé à expérimenter la réalité de la démocratie à l’occidentale, rejoignant les autres pays qui avaient déjà une longue tradition de démocratie, ou d’élection, puisque beaucoup de chercheurs estiment que la fréquence des élections n’était forcément pas le gage d’une bonne santé démocratique.


En Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, la question du troisième mandat a aussi été une réalité vécue par les Ivoiriens. Ainsi, alors qu’on pensait que le Président Alassane Dramane Ouattara allait se retirer et passer le flambeau aux jeunes, conformément à ses déclarations antérieures, il allait se représenter en invoquant un « cas de force majeure », pour briguer un troisième mandat à l'élection présidentielle. Une possibilité que l'opposition lui conteste le droit en vertu de la Constitution. Il pose son argument sur l’exigence d’une large frange de la population de proposer sa candidature. Ainsi, déclare-t-il « J'ai décidé de répondre favorablement à l'appel de mes concitoyens me demandant d'être candidat. Je suis donc candidat à l'élection présidentielle du 31 octobre ».

Cette candidature allait avoir des conséquences fâcheuses même s’il va gagner l’élection suite au boycott de l’opposition de l’opposition représentative (PDCI de Henry Konan Bédié et FPI de Pascal Affi N'guessan). Il dut également faire face à des militants de l'opposition, qui avaient appelé à la « désobéissance civile », ont saccagé ou bloqué environ 5.000 bureaux de vote, 17.601 bureaux des 22.381 bureaux ont pu ouvrir, et le nombre d'inscrits pouvant voter est donc passé de 7.495.082 à 6.066.441 inscrits, selon la CEI.


Au Burundi

Bien que beaucoup d’observateurs de la scène politique burundaise aient estimé que le Président Pierre Nkurunziza en était à son second et dernier mandat présidentiel, il fut désigné par son parti (au pouvoir), le Conseil National pour la Défense de la Démocratie - Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), comme son candidat à l’élection présidentielle de juillet 2015. La cour constitutionnelle valide cette candidature qui place le Burundi au centre des discussions autour de la question du troisième mandat. En conséquence, les troubles importants occasionnés conduisent à la mort de 2 opposants sans que cela ait une incidence sur la réélection de Pierre Nkurunziza avec 69 % des suffrages valablement exprimés, même si la victoire a été contestée par l’opposition. Tout ceci est passé par la manipulation du discours ethnique par le haut et a eu des répercussions importantes sur la société burundaise déjà très fragilisée présageant une situation humanitaire de crise selon les analyses de l’International Crisis Group. 


Au Rwanda

Au Rwanda, contrairement aux autres pays où le troisième mandat est toujours un sujet débattu, cette question semble être passée dans les méandres de l’histoire depuis que les députés rwandais ont voté à l'unanimité, jeudi 29 octobre pour une réforme constitutionnelle annulant la limitation des mandats présidentiels. Ainsi, le Président Paul Kagamé brigue un troisième mandat en 2017 et même au-delà. Selon l’Agence Reuters, cité par RFI : 

« Le texte prévoit de ramener la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et de limiter à deux le nombre de mandats successifs, mais il fait une exception pour Paul Kagame. Le nouvel article 172 de la Constitution permet désormais à ce dernier d'achever son mandat actuel de sept ans et de briguer un troisième mandat de même durée, puis deux mandats successifs de cinq ans, a expliqué un député à l'agence Reuters. »

Ce qui est une exception en Afrique, et une surprise pour le Rwanda considéré par les jeunes comme l’exemple à suivre. En définitive, on remarque que le Sénégal n’est pas une exception. En effet, la question du troisième mandat n’est pas débattue seulement ici mais aussi dans d’autres sphères comme le Burundi, le Rwanda, la Côte d’ivoire, la Guinée où la tentation du troisième mandat a conduit à un coup d’État contre Alpha Condé le 5 septembre 2021 et à la mise en place d’un régime militaire. Mais quand il s’agit de défendre l’indéfendable, des acteurs vont surgir de partout pour défendre ou refuser la possibilité de cette extension des mandats présidentiels en faisant usage de toute sorte d’arguments.


Aux origines de la polémique sur le troisième mandat au Sénégal 

Le Sénégal s’est vu avec Macky Sall, dès le lendemain de sa réélection à la présidentielle de 2019, embarquer dans cette dynamique qui voulait que ce dernier tenterait de se présenter une nouvelle fois pour avoir une « troisième mandat ». Le pays est ainsi plongé dans une longue période d’incertitudes émaillées d’incidents mortels ; tout acte posé est lu sous le prisme de cette volonté que lui-même n’aura démenti à quelques mois de l’élection de 2024.

Durant la campagne électorale de 2012, le candidat Macky Sall avait proposé au peuple sénégalais de revoir certains acquis de la démocratique du Sénégal qui n’ont pas été solides au vu de la troisième candidature du Président Wade. Il s’était décidé à appliquer certaines recommandations des assises nationales de 2009 qui suggéraient : 

« Pour garantir sa nécessaire stabilité, la Constitution doit : indiquer clairement les domaines qui ne peuvent pas faire l’objet de révision ; identifier les domaines de révision soumis obligatoirement au référendum. »

Une fois élu, le Président Sall, pour consolider les acquis démocratiques, s’inspire des Assises et met en place une Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI), confié à Amadou Mokhtar Mbow, dont l’une des missions est de « mettre la Constitution sénégalaise à l’abris des modifications intempestives et des manipulations diverses ». Dans son document final, la CNRI résume certaines préoccupations des populations : 

« L’idée de prévoir, dans la Constitution, des domaines non révisables est largement préconisée par les citoyens, qui de surcroît indiquent lesdits domaines. Il s’agit des principes de la République et de l’État de droit, des principes de souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale, de la séparation des Pouvoir, de la laïcité, de la durée et du nombre de mandats du Président, de la concertation comme principe de base de la gouvernance étatique, des règles de succession du Président de la République en cas de vacance du pouvoir, du calendrier électoral et des mandats électifs. » 

En s’appuyant sur les données analysées, les experts (professeurs d’universités, magistrats, juges, journalistes, inspecteur du trésor, instituteur, acteur de la société civile, administrateur civil, et économiste) recommande l’imposition d’un référendum, quand il s’agit, par exemple, de la durée des mandats électifs et le mandat du Président de la République, pour l’adoption d’une nouvelle Constitution dont le projet doit être traduit dans les différentes langues nationales du pays et soumis au peuple pour qu’il puisse se l’approprier avant le vote. Ainsi, le Président Macky Sall retint 15 points soumis à l’approbation dont le sixième point est « la restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel » mais il choisit de faire une révision de la Constitution. Après la proclamation des résultats du référendum du 20 mars 2016, le Président de la République promulgue la Constitution révisée dont l’article 27 stipule que « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Il faut signaler, par ailleurs, que la Constitution de 2001 reconnaissait en son article 27 que « la durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois ». Toutefois, une certaine partie de la population était convaincue que le Président Wade n’avait pas droit à une troisième candidature bien qu’il ait eu une disposition transitoire, à savoir l’article 104 : « Le Président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables ». Une disposition que le Conseil constitutionnel a trouvé inadapté dans le fond dans son avis de conformité du projet de révision de 2016 « à l’esprit de la Constitution du 22 janvier 2001 et aux principes généraux de droit ».

« La disposition transitoire prévue dans l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle, « Cette disposition s’applique au mandat en cours » doit être supprimée ; elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution, ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours. »

Après les élections présidentielles de 2019, le Président de la République Macky ne déclara pas qu’il voudrait avoir un troisième mandat. Il réitère l’esprit de la révision constitutionnelle à l’oral comme à l’écrit. Il fait la promesse fait promesse de ne pas se présenter pour un troisième mandat qu’il avait farouchement combattu en 2012. Le Professeur Babacar GuèyeGueye estime que le Président Sall pourra se candidater pour un troisième mandat car  

« Quand a été rédigée la Constitution, on a dû oublier certainement de prévoir des dispositions transitoires. Il fallait ajouter des dispositions transitoires pour préciser que le mandat en cours fait partie du décompte des deux mandats que l’actuel président peut avoir ».

La polémique du troisième mandat secoua l’espace public à une époque où le Sénégalais avait cru être à l’abris d’un épilogue sur la « durée de vie » de l’exécutif à la Magistrature suprême. Les populations qui s’étaient décidées à soutenir le « oui » étant alors convaincus que leurs voix demeurent déterminantes pour accompagner le pouvoir exécutif dans la consolidation des acquis démocratiques voient ceux-ci remis en question. Le silence sans nom du Président Macky Sall pendant plus de trois ans fait que certains lui ont prêté l’ambition d’une candidature en 2024 après deux mandats à la tête de son pays. Si certains voyaient que les interrogations autour du mandat étaient vaines étant donné que le Président Sall avait proposé de limiter les mandats et n’a pas toujours parlé de sa candidature, d’autres y réfléchissaient et argumentaient. En conséquence, l’objectivité et l’utilité de la révision de la Constitution révisée en 2016 sont remises en question.


La Constitution à l’épreuve de la politique et de la morale 

L’histoire du troisième mandat au Sénégal dans ce siècle-ci découle, en grande partie, d’un vote référendaire. La polémique qui a fait irruption dans l’espace sociétal divise les Sénégalais en deux camps opposés dont, parfois, les acteurs changent d’interprétations jusqu’à arriver à se dédire sans pour autant le reconnaître explicitement. Cela révèle donc des postures et des discours multiformes, tant dans la classe politique que dans les différentes catégories socio-professionnelles, dont les enjeux qui se recoupent et se corrigent, ont trait à la justice, à la morale, à la culture et à la politique. Ceci est, d’une part, pour certains, à des points soumis aux citoyens qui faisaient office de pièges. D’autre part, pour d’autres, aussi bien l’histoire des rendus de la Constitution que ses articles consolident une légitimité juridique d’un troisième mandat. Ce qui est important est le fait que ce ne sont pas seulement les juristes qui traitent de cette question.  


Une foi juridique biaisé

La posture juridique ne manque pas être le moteur crucial pour défendre ou pour s’opposer à la légitimité d’un troisième mandat dans le contexte politique contemporain du Sénégal. De ce fait, le considérer demeure l’opposition entre deux perceptions de la question juridique qui relèvent, d’une part, et en grande partie, du parti au pouvoir, et, d’autre part, de l’opposition, ou encore la société civile. Mais cette confrontation d’idées ne semble si importante que nous pouvons en déceler une dynamique évolutive de prises de positions selon les appréciations que les acteurs ont du droit, et particulièrement de la Constitution, d’une période à l’autre et. Cela reflète les déterminismes circonstanciels qui sont quasiment politiques.

En octobre 2017, le ministre de la Justice du Sénégal, Ismaïla Madior Fall, à la question des journalistes sur la possibilité d’un troisième mandat du Président Macky Sall, retorquait ceci : 

« La constitution du Sénégal est très claire sur la question et ne laisse place à aucune interprétation. L’article 27 de la constitution dit : « le Président de la République est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Je vais répéter la phrase « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Je vais répéter la phrase une troisième fois « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Est-ce qu’il y a place à une interprétation ?. »

C’est le même point de vue qu’il avait défendu au lendemain du référendum à la télévision publique sénégalaise en notant que ceux qui épiloguent sur le troisième mandat « sont de bonne foi » étant donné qu’ils n’ont pas lu le projet de révision constitutionnelle. Ces deux déclarations évacuent toute la polémique en gestation dans l’espace public autour du troisième mandat. Ce n’était plus question de mandat pour le Président en exercice car l’homme est un des artisans de la révision constitutionnelle de 2016. Il demeure alors un gage et a autorité dans le domaine jusqu’à ce qu’il revienne à relativiser en notant que, « en principe », le Président Macky Sall était à son second mandat ; ce qui, en conséquence, rebat les cartes et conduit à un changement qui, au seuil de L’élection présidentielle de 2024, devient complet à l’image de la levée du soleil. 

Dans son premier discours, Ismaila Madior Fall s’est voulu catégorique. Il a cherché à se montrer clair et sans équivoque à l’image de la répétition pour évacuer totalement la polémique. Mais en considérant son changement de posture, il est facile de déceler deux arguments. Soit, lorsqu’il tenait de tels propos, c’est l’universitaire dans toute sa liberté intellectuelle qui parlait d’une conviction tirée de son domaine, soit l’homme n’avait pas tout à fait pensé à l’idée que le Président Sall serait tenté par un troisième mandat. Mais quel que soit l’une de ces deux hypothèses, le projet de révision constitutionnelle était clair sur la vision du Président Macky Sall. En effet, comme le rappelle le Professeur Fall, toute cette polémique est née du rejet de la disposition transitoire qui était incluse dans le projet de révision pour prendre en compte le premier mandat premier. 

Après avoir suivi l’avis du Conseil constitutionnel, le Professeur Fall, tout comme le Président de la République, restait conscient que, dans cette dynamique, le Conseil ne rejetterait pas le dossier de candidature du Macky à un troisième mandat. Le problème ne pourrait être résolu que par la décision de Macky Sall de renoncer ou non à ce troisième mandat. Mais, à ce stade, on pourrait concevoir l’idée que l’exécutif a caché toute cette subtilité juridique au public tout en martelant que la victoire du « Oui » règlerait définitivement le problème du troisième mandat au Sénégal. En ce sens, la partie de l’opposition qui a fait campagne pour le « non » avait bien vu cette polémique. Mais, malgré tout cela, c’est la foi juridique qui guide toute cette posture de l’exécutif dont Ismaila Madior Fall, la tête pensante, substitue la limpidité et clarté de la Constitution qu’il louait en 2016 à une raison dialectique. 

« J’ai remarqué qu’il y a des gens qui défendaient l’irrecevabilité de la candidature du Président Macky Sall en 2024 parce que la Constitution est claire etc. Je les rappelle juste qu’en droit aucun texte n’est clair ; la raison juridique est une raison dialectique. Quand j’entends des gens dire que c’est très clair que l’on ne l’interprète pas. Non. En droit, il n’y a pas de texte clair ; tout texte est susceptible d’interprétation. Ça les exégètes le savent bien. »

S’il est vrai qu’il peut faire valoir une pensée dialectique des textes juridiques qu’il adosse à une posture doctrinale faisant en sorte que chacun puisse donner sa thèse et l’étayer avec des arguments juridiques, il est, tout de même, autant important qu’il prouve, de la même manière, l’irrecevabilité de la candidature qu’il avait émise en 2016 en se fondant sur la Constitution qui, quant à elle, reste toujours la même. Pour ce faire, rien ne semble plus convaincant à Ismaila Madior Fall, dans certains de ses propos, que de se rabattre sur une interprétation de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de révision de la Constitution et de son rendu concernant la candidature du Président Abdoulaye Wade en 2012 à laquelle il s’était scientifiquement opposé. En faisant foi au Conseil, il se dit qu’il ne pourrait accepter que la décision du Conseil car, dans un État de droit, seul le juge peut décider en dernier ressort. Autrement dit, toute la polémique ne peut en aucune manière résoudre le problème vu que celui qui est habilité à décréter le sort du troisième mandat n’est que le Président lui-même, le juge et, en dernière instance, le peuple sénégalais à travers les élections. Tout cela pour que la question ne soit pas taboue dans le milieu scientifique d’où il est issu tout comme pour une frange de la population. Néanmoins, la matière constitutionnelle relève des prérogatives des juges constitutionnels. Ainsi, note-t-il, la question dépasse l’entendement du peuple qui a délégué ses pouvoirs à un homme pour en décider. Fall réduit toutes les opinions qui fusent de partout, que cela vient de son parti, de la société civile ou d’autres partis, à une simple position citoyenne ou doctrinale. Tout ce qu’on peut dire est que Fall a su trouver une porte de sortie pour ne se dédire directement mais en situant tous ses propos dans leurs contextes. Mais que vaudrait dire ce soi-disant contexte ? Toutes ces deux postures qu’il a défendues c’était en tant que ministre de la République contrairement à certains comme Alioune Sow qui a changé de posture en devenant ministre.

La perception de Me Doudou Ndoye va beaucoup plus loin que celle de Ismaila Madior Fall. L’ancien ministre de la Justice du Sénégal note qu’aucune loi ou Constitution ne s’oppose à une candidature du Président Macky Sall. Mais il est très clair dans sa position car il attire l’attention sur la notion de « candidature » qui est traitée, en grande partie, par le Code électoral, et celle de « mandat » dont la Constitution s’occupe plus. 

Toutefois, nous remarquons que son point de vue est aussi subtil du fait qu’en fin 2023, il a indiqué clairement l’irrecevabilité d’une telle candidature par la simple raison que, d’une part, de toute façon Macky aura fait deux mandats (2012-2019 et 2019-2024) quelle que soit leur durée. Ce qui valide alors l’invalidité de sa candidature. D’autre part, pour lui, ce sont les lois et les décrets qui sont rétroactifs et non la Constitution qui est toujours applicable dans l’immédiateté. Vu qu’il n’existe pas de lois constitutionnelles, selon lui, on ne peut pas parler de rétroactivité car la constitution n’a pas une application directe mais elle pose toujours le principe d’une applicabilité au présent. 

Par ailleurs, il affirme que, si toutes ces deux options font défaut à cause du texte qui est « incompris », il faudrait chercher l’esprit dans le contexte qui demeure la révision constitutionnelle proposée par le Président Sall pour éliminer toute problématique d’une polémique d’un troisième mandat. A ce niveau, il s’oppose, sur toute la ligne, à Ismaila Madior Fall pour qui la Constitution ne relève même du droit et que toute personne peut se l’approprier, ce que dernier a renié dans ce qui suit. Malgré tout son développement, au regard des décisions rendues par le Conseil constitutionnel depuis son existence, Ndoye reconnaît que ce dernier ne va jamais à l’encontre de l’exécutif qui l’a nommé, sauf quand cela l’arrange. Son intime conviction est que si le Président Macky Sall déposait sa candidature, elle serait acceptée par le Conseil constitutionnel mais tout le problème surviendrait, en conséquence, s’il remportait l’élection puisqu’il serait difficile pour les membres du Conseil de dire que Macky entamera un troisième mandat, ce que la Constitution elle-même évacue totalement. Et finalement, il renchérit que, contrairement en 2001, l’inexistence du dispositif transitoire va même jusqu’à remettre en question la complétude de la révision constitutionnelle de 2016. Il trouve alors que cette Constitution est inapte à décider de la question d’un troisième mandat de Macky Sall. 

Souleye Macodou Fall, avocat au barreau de Paris, et le professeur de droit constitutionnel, Babacar Gueye, abondent dans le même sens. Me Soulèye Macodou Fall argumente que 

« L’article 27 de la Constitution dit que la durée du mandat du président de la République est de 5 ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs » a rappelé d’emblée l’avocat. Il poursuit en disant que le président Macky Sall avait posé la question au Conseil Constitutionnel avant l’élection présidentielle de 2019 pour lui demander s’il peut appliquer la nouvelle durée de 5 ans du mandat présidentiel à son mandat en cours ? Dans sa décision numéro 1-C-2016 du 12 février 2016, le CC lui répond dans le paragraphe 30 des motifs : « (…) le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors portée de la loi nouvelle. »

Contrairement à Ismaïla Madior Fall qui disait que les dispositions transitoires étaient impossibles aux yeux du Conseil constitutionnel, Professeur Babacar Gueye estime que si le Président Macky Sall voulait que son premier mandat fasse partie du décompte, il devrait ajouter une disposition transitoire comme dans la nouvelle Constitution de 2001. Finalement, on note que, au fil de ses entrevues médiatiques, Ismaïla Madior Fall n’arrivait plus à faire valoir son point de vue avec des arguments juridiques qui ne réfutent pas ceux d’octobre 2017. Ainsi, il se déclara qu’il se rabattra sur la décision que prendrait le Président Macky Sall ou celle que donnerait le Conseil constitutionnel si le Président déposait sa candidature. Par ailleurs, vu la déclaration de Fall (2017), on aurait pu concevoir que, en ne mettant pas une disposition transitoire, le commanditaire de la révision constitutionnelle, le Président, aurait caché son ambition de concourir à un troisième mandat à Ismaila Madior Fall qui était son conseiller juridique. Car, en 2017, il disait ceci : 

« Nous devons être très sérieux dans ce pays lorsque nous voulons apporter une contribution positive à la marche de notre pays. Je suis encore à mon premier mandat qui finira en février 2019, plus précisément en avril. Nous avons, il y a un an, engagé une réforme majeure de la Constitution par voie référendaire. C’était juste pour arrêter le débat parce que nous avions une majorité totalement qualifiée au parlement mais nous avons choisi de consulter directement le peuple sur une réforme très sérieuse, très constructive, très consolidante de la Constitution pour régler principalement la question de la durée et du nombre de mandat du Président de la République ainsi que du mode d’élection. Cette question a été définitivement fixée dans cette Constitution. D’ailleurs, en 2016, ce dont il était question c’était moins le nombre de mandat que la durée. On devait passer du septennat au quinquennat bloqué mais le nombre de mandats est réglé depuis longtemps. C’était deux mandats. Donc le nombre de mandats n’a pas été modifié. Pourquoi engagerengagé une discussion sur un débat de 2024, un débat qui n’a pas lieu d’être puisque je suis dans la logique de ne pas dépasser deux mandats si le peuple sénégalais me fait confiance en 2019. Donc, ce débat ne doit pas nous faire perdre du temps. » 

À l’approche des élections de 2019, on aurait été conscient que laisser le flou sur le nombre de mandats lui aurait été certainement fatal au Président. Néanmoins, cela n’explique pas le fait qu’il ait été catégorique sur le mandat. En revanche, dans la deuxième moitié de l’année 2023, le Président Macky Sall note que sa candidature pour un troisième mandat est juridiquement légale. Son premier était un septennat et, en conséquence, sa réélection de 2019 était le premier quinquennat. En somme, en 2024, il aurait pu être candidat pour concourir à un second mandat de cinq ans comme le note alors la Constitution. Ce qui pourrait nous faire que Macky Sall aurait eu l’ambition de se présenter en 2024 mais son passé l’a rattrapé. En revanche, dans cette dynamique, l’hypothèse de Doudou Ndoye semble très pertinente car, si sa candidature avait été recevable en 2024, aurait-on dit, évidemment s’il avait aussi été élu, de deux mandats consécutifs ? Évidemment, il aurait eu trois mandats consécutifs dont un de sept ans et deux de cinq ans. En somme, de toute façon, la posture de Macky Sall, théorique soit-elle, met à l’épreuve la Constitution révisée de 2016. On comprend alors que la constitution relève de la politique ou encore d’un principe politique malléable selon les perceptions 


Flottement interprétatif des non-initiés  

En 2016, avant le référendum, Barthélemy Dias est l’un des premiers hommes politiques à dire que le Président Macky Sall aurait droit à un troisième mandat si le « Oui » remportait les élections pour la simple raison que la Constitution révisée qui proposait deux mandats de cinq ans ne reconnaîtra plus son mandat en cours étant donné qu’il est de sept ans. C’est donc, un recommencement et toutes les dispositions antérieures devenaient caduques ; d’ailleurs il défend l’idée que ceci est évidemment la principale motivation du projet de révision. Mais Dias ne fonde pas son point de vue sur une analyse pointue et approfondie en donnant des arguments détaillés même si, à cette période, le débat ne s’était pas posé dans toute sa dimension. Il n’est pas alors satisfait et s’oppose à la première déclaration de Ismaïla Madior Fall. 

Ayant battu campagne pour le « Non », on pourrait également émettre l’hypothèse que sa posture ne constituait qu’une sorte d’opposition politique du fait qu’il stipulait que la découverte des gisements de pétrole et de gaz aurait amené le Président Sall à vouloir rester plus longtemps au pouvoir. Il s’appuie sur sa compréhension de la Constitution. Toutefois sa posture n’est pas pérenne, vu que l’actuel maire de Dakar avait commencé à faire des sorties au cours desquelles il s’était complètement dédit et surtout en faisant semblant de nier ses propos de 2016. 

Barthelemy Dias commence à changer de posture en 2019. Il s’appuie toujours sur la Constitution mais en remplaçant sa posture sur la durée du mandat par le nombre de mandats. Il se limite à soutenir que « nul ne peut faire plus de deux mandats successifs ». Autrement dit, son point de vue manque également de justifications détaillées ou d’arguments juridiques mais il s’était forgé une expression dans un ton péremptoire : « on interdit le troisième mandat au Sénégal ». Étant à bout d’arguments, il aurait misé sur le jeu politique en sachant que ce mandat est aussi recevable comme celui du Président Wade qu’il a fortement combattu avant de dire, quelques années après, qu’il savait tout à fait que Wade en avait droit en 2012. 

L’homme est arrivé à renier ses propres propos lors d’une entrevue avec le journaliste Pape Ngagne Ndiaye sur la légitimité du troisième de Macky. Il disait n’avoir jamais dit que ce dernier en avait droit avant d’ajouter qu’il fallait prendre ses propos dans leur contexte référendaire. Bien que Barthélemy ait apporté un éclaircissement en 2023 sur sa volte-face en disant que c’est un de ses amis juristes qui l’a corrigé, on aurait pensé qu’il était dans une posture d’opposant qui veut toujours inciter les populations à voter contre le camp présidentiel. En notant que c’est un professionnel du droit qui l’avait véritablement convaincu en lui faisant comprendre que la candidature de Wade avait été acceptée par le Conseil constitutionnel parce que la loi n’est pas rétroactive par le seul fait que la Constitution était nouvelle, il donne un caché juridique à sa posture pour convaincre son auditoire. C’est le contraire de Ismaïla Madior Fall qui stipule que la disposition transitoire proposée dans le projet de révision constitutionnelle n’a pas été acceptée par le Conseil constitutionnel étant donné la non-rétroactivité de la loi. À ce stade, on a ainsi deux interprétations différentes des rendus similaires du Conseil constitutionnel à propos de la rétroactivité même si Wade avait proposé une nouvelle Constitution alors que le Président Sall soumettait une révision. Par ailleurs, ce qui donne à réfléchir est pourquoi Barthelemy Dias n’a pas expliqué tout cela en 2019 dès qu’il avait été rectifié par ce juriste dont il parle au lieu d’attendre jusqu’en 2023. Cela ne serait-il alors qu'une une porte de sortie afin de revoir sa tire ou de s’opposer simplement.  

« Président Macky Sall, bu muy falu lan la constitution bi doon wax 2012, ci jamomo boobu muy voter référendum ? La constitution disait que mandat yi deux mandat la. Lan moo fi soppeeku ? Dara. Premier mandat bu Macky Sall ñaata at lawoon ? Ci 7 ans yooyu, 5 ans am na ci wala amu ci ? Lima doon wax rekk : su ngeem voter OUI, porox-ndoll la. » 

(Notre traduction : Quand le Président Macky Sall se faisait élire, que disait la Constitution en 2012 ? C’est à cette période qu’il a fait voter son référendum. La Constitution disait qu’il ne pouvait y avoir que deux mandats. Qu’est-ce qui a changé entre-temps? Rien. Son premier mandat a duré 7 ans. Dans ces 7 ans, n’y a-t-il pas 5 ans ? C’est juste ce que je vous disais : si vos votez OUI, c’est une issue pour lui). 

Il va jusqu’à critiquer les professeurs et juristes qui ne sont pas d’accord alors que lui-même il l'est dans la dynamique de ceux qu’il critique. Dias note ailleurs, face à un journaliste d’Afrique 24 qui lui rétorque que Macky n’a pas fait deux mandats de cinq (5) ans mais un, que nous ne sommes pas dans un terrain d’académiciens mais de politiciens. Ce qui signifierait qu’ils vont faire usage des mêmes armes et subterfuges que ceux de Macky Sall pour s’opposer à lui. On sort en effet du cadre purement juridique pour emprunter le terrain de la politique et de la communication pour faire adhérer l’opinion à sa cause.

Au lot des non-initiés au droit, on peut aussi donner Alioune Sow qui ne cherche pas à se faire une lecture de la Constitution. Il ne fait qu’interpréter le troisième mandat en se fondant sur le livre de Macky Sall. Pour lui, la surcharge « second et dernier mandat » montre que ce dernier ne cherchait en 2019 qu’à avoir un autre mandat mais il révèlera toutes ses intentions de troisième mandat qu’au moment opportun pour lui. Et il note aussi que ce serait indécent pour lui de vouloir se présenter alors qu’il s’opposait à la troisième candidature de Wade à la présidentielle de 2012. Néanmoins, lorsqu’il devient ministre de Macky Sall, il affirme. 

« Le troisième mandat, Conseil constitutionnel moo ciy wax, du way, du man. … ba ma bokkulee ci guvernement Macky Sall, maa moomoon sama bopp carrément. Waaye bi ma ci bokkee man aka sama ñoñ am na loo xam ne moomatu ñu ko muy « ngor » … nee naa ko, te laaju ma ko, ak looy dogal ci ëllëg, xammee naa sama xammee ak raññee ak sa bëgg réew mi, dama la ciy japle. » 

(Traduction : C’est le Conseil Constitutionnel qui doit se prononcer sur le troisième mandat. Ce n’est ni vous ni moi … Quand je n’étais pas membre du gouvernement de Macky Sall, j’étais libre de mes propos. Mais, comme j’en suis membre, mes collègues et moi avons une obligation de loyauté … Je lui ai dit, même s’il ne m’a pas demandé mon avis : quelle que soit votre décision, pour l’avenir du pays, en mon âme et conscience et en toute responsabilité, je vous accompagnerai).

A partir de ce moment, il se montre très virulent contre l’opposition en déclarant qu’elle craint que Macky Sall gagne les élections dès qu’il se présente. Pour interpréter ce changement, il faudrait prendre en compte deux aspects : 

  • soit Alioune Sow se montre « démocratique » dans sa culture politique vu qu’il était convaincu que Macky Sall était le seul libéral à pouvoir gagner contre l’opposition à laquelle il reprochait un discours incendiaire ; 
  • soit il voudrait critiquer Macky Sall sur l’éventuelle candidature juste pour avoir un poste de responsabilité dans le gouvernement qu’il a obtenu et, ensuite, se range à ses côtés. Le second aspect semble évidemment plus proche de la réalité politique. 

Madiambal Diagne, est aussi dans la dynamique d’Alioune Sow. Juste après l’élection de Macky Sall en 2019, il était très catégorique sur la non-légitimité de la troisième candidature de ce dernier. 

« Man nak débat troisième mandat, dama jàpp ne ñun press bi ñooy créer débat artificiel. Président de la République Macky Sall ñépp dégg nañu ko mu ni « damaa ñëw ne damay verrouiller mandat bi ba nga xamante ne bi benn doomu-aadama du def lu ëpp ñaari mandat yu tegaloo. Loola mu wax ko bind ko ci constitution bi ci anam yi nga xamante ne bi ku ne leer na la ni lepp luy matukaay wala luy aar aar na ñu ko ci, ñepp gis nañu ko … »

(Notre traduction : En ce qui me concerne, j’estime que c’est nous de la presse qui entretenons le débat artificiel sur le troisième mandat. Tout le monde a entendu le Président Macky déclarer : « Je suis déterminé à verrouiller le nombre de mandat, de sorte que personne ne puisse plus faire plus de deux mandats consécutifs. C’est ce que j’ai mis dans la Constitution de façon claire de sorte que toutes les précautions soient prises. » Et tout le monde l’a vu).

Il s’appuie sur des propos de professeurs d’universités qu’il a entendus à la radio sur la question pour argumenter son point de vue. Diagne réfute alors totalement la relativité du ministre de la Justice d’alors Ismaïla Madior Fall qui notait qu’en principe le Président de la République n’avait pas droit à un troisième mandat. Mais au fil des années, il change de posture : Macky Sall peut concourir troisième mandat vu la non-rétroactivité de la Constitution. Pour se donner raison, il critique la limitation des mandats parce que le peuple souverain doit déterminer son président. Pour lui, l’essentiel est alors que l’élection se fasse démocratiquement. L’Allemagne, la Grande Bretagne, la Russie lui servent de point d’appui pour bien démontrer son point de vue. Maintenant, concernant le droit, il note que, nulle part dans le monde, la révision constitutionnelle de 2016 ne puisse s’appliquer à Macky comme cela se fait en France ou ailleurs. Il réfute la morale, la parole donnée, étant donné que la constitution est au-dessus de tout, le peuple y inclus. De ce fait, c’est au Président Sall de faire ce qui lui semble bon. Sa posture pourrait être expliquée par son rapprochement au pouvoir et, singulièrement, sa proximité avec le Président de la République Macky Sall. Par ailleurs, il faut noter qu’il s’oppose totalement à la perspective de Ousmane Sonko surtout concernant son procès avec Adji Sarr. 

Du côté du pouvoir, Aminata Touré s’est toujours opposée à un troisième mandat de Macky Sall, même si elle ne s’en prononçait pas suite à l’ordre intimé par celui-ci à ses partisans. D’ailleurs, après sa courte victoire sa courte victoire à tête de la liste de la coalition présidentielle aux élections législatives de juillet 2022 qui est suivie du choix d’un autre député à la tête de la présidence de l’Assemblée nationale, elle s’est dit que cela était dû à son opposition au troisième mandat en est l’explication. En quittant la coalition, elle réitère ses propos. 


De la légitimité politique à l’illégitimité morale 

Au refus catégorique de briguer un troisième mandat avant les élections présidentielles de 2019, Macky Sall en substitue un silence sans nom qu’à une éventuelle candidature pour un troisième mandat. A l’interrogation du journaliste de la Radio Futurs Médias, Babacar Fall sur la question au début de sa deuxième réélection, il répondait : 

« Du nekk « oui », du nekk « non ». Waxtu wii daaw, laaj ngeen ma laaj bi, lu jiitu daaw, avant may dem campagne, nit ña ngi koy teg. Wax la joo xam ni ak lu ma ci mëna tontu du fey wax ji parce que dafa am ñoo xam ni dafa leen soxal. Te man dama japp ni danu ma dénk mandat boo xam ne ci kóolute dama ko wara liggéey, and ko ak ñi ma tànn ñu may gunge…. Te am na sunu benn Sëriñ, SëriñSeex Mbàkke Gaynde Fatma dafa daan wax ni : « nit ki, loo weesu, bu ci waxati. Loo nekk, nekk ca rekk tey liggéey. Lu ñëwagul nak màndu ca ndax mbiru Yàlla la. » … tey su ma leen ni dama nekk candidat est-ce que xam ngeen ni sama gouvernement kenn dootul liggéey, ñu wax ko ak ñu bañ ko waxa ci yem. … bu ma ne candidat laa coow li karr, marche yi gëna bëri. Kon wax ji dafa jotagul. »

(Notre traduction : Ce n’est ni « oui » ni « non ». L’année dernière, voir même avant la campagne électorale, les gens me posaient la même question. Quoique je puisse répondre sur la question ça ne va pas éteindre la polémique vu qu’elle intéresse certaines personnes. À mes yeux, le peuple m’a confié un mandat et que c’est le temps de démontrer que, avec mes collaborations, je mérite sa confiance. D’ailleurs, Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma disait qu’on devrait travailler au lieu de parler du passé. Il ajouta qu’on ne devrait pas aussi parler du futur car seul Dieu sait ce qui va arriver.  … qu’on se dise la vérité, si je vous dis que je ne me présenterai pas mon gouvernement ne va plus travailler. Si je dis que je me représenterai la polémique va enfler davantage et les marches de protestation vont se multiplier.)

Le 31 janvier 2020, il évoque une expression wolof attribuée à une figure de la royauté traditionnelle pour montrer son intransigeance : « Sama waxi daaw ja de mooy sama waxi tay rekk » (notre traduction) : mes propos de l’année passée sont toujours ceux de cette année maintenant). Évidemment, le peuple avait raison de se demander pourquoi le discours de son Président a changé alors que la Constitution que ce dernier mettait en avant était toujours la même. Les années se succèdent et le Président Sall garde le cap en maintenant le flou sur le troisième mandat. Toutefois, il n’a pas d’excuse en tenant en haleine toute l’opinion publique qui l’avait soutenu depuis quelques années pour des raisons quelques liées à ses ambitions de rétablir les acquis démocratiques. Le Président devrait être alors clair afin qu’il n’y ait pas une suspicion de violence préélectorale due au mandat comme cela était en 2012. Mais ce qui donne de la matière au public est le fait que tous les membres de la coalition présidentielle qui, en répondant aux journalistes, notaient que le Président Sall est en son dernier mandat étaient démis de leur fonctions. Le journaliste Serigne Saliou Gueye  fait une liste de quelques dignitaires du pouvoir dont Moustapha Diakhaté, Sori Kaba, Moussa Diop, etc. qui ont été également exclus de l’Alliance pour la République. D’ailleurs, Diakhaté notait que son exclusion est directement liée à ses propos sur le mandat présidentiel. Mais ceux qui disaient que la Constitution permettait au Président Sall de concourir à un troisième mandat sont indemnes. Serigne Saliou Gueye en donne l’exemple de Mbaye Ndiaye, Boun Abdallah Dione et de Sitor Ndour. Ce qui implique alors une campagne feinte pour le compte du Président de la République qui est orchestrée, sous ses yeux, par des responsables de son parti. En conséquence, les voix dissonantes dans son parti commencent à devenir presque inexistantes étant donné que la totalité n’ose plus s’exprimer sur la question du mandat. Le camp présidentiel, ses députés, ministres ou directeurs généraux, avance deux arguments que résume bien Ismaïla Madior Fall 

« Senegaal, ñii da ñoo jóg ne président Macky Sall sa liggéey rafetna, jik nga Sengaal, gis nanu li nga def ci koom-koom mi, gis nanu li nga liggéey ci infrstructure, gis nanu li nga liggéey ci wallu sante, gis nanu ni nga ame yërmande ci couche vulnerable dela population di leen japle. Ñu ne ko liggéey bi nga def yépp nak dañu bëgg nga contine sa liggeéy. Mu am ñeneen ñu jóg ne bugguñu nga def troisième mandat, Président Macky nak ne polik lañu nekk. Polik nak terrain la, politik mobilisation la, politik representativité la, politik ay nit la. Majorité des Sénégalais suñu taxawee, takku, ne président Macky Sall dañu bëgg nga contine, di nañu mobiliser wooteel la  ba 2024 nga nekk candidat nekkaat Président de la Pépublique, Président day nekkaat candidat te day  nekkaat Président de la République. Jaay kart bi njariñ li mooy suñu jaayee 2 millions de cartes, di nañu ne 2 millions de Sénégalais bëgg nañu Président Macky Sall nekkaat candidat. 2 millions de Sénégalais nak suñu taxawee ne Président bëgg nañu nga nekk candidat loolu kenn mënu ci dara  ndaxte c’est la majorité qui décide. Moo tax du ñu wax ay waxu yoon, ay waxu mëna ko, mënu ko, est-ce que la constitution est claire, loolu conseil constitutionnel moo ciy wax. Donc ñun loolu du suñu wax. Sunu wax politik la, politik nak mooy nekk ci terrain bi, politik mooy jaay sunu candidat, politik mooy wone li nga xam ne Macky Sall liggeey na ko depuis 2012, politik mooy wane ne am na bilan bu baax  boo xamante ne dafa jar  ñu porter candidaturam, mu nekkaat candidat à la Présidentielle  de 2024. » 

(Notre traduction : Au Sénégal, certains qui apprécient le travail du Président Macky Sall, tant dans l’économie, les infrastructures, la santé que dans le domaine social, aimerait voir qu’il continue à les servir à la tête du pays. D’autres disent qu’ils n’approuvent pas un troisième mandat. Ainsi, le Président s’est dit qu’en politique la représentativité et la mobilisation est la meilleure des armes. Et si la majorité des Sénégalais manifestent leur choix dans le but de réélire le Président en 2024, ce dernier sera candidat pour concourir à un autre mandat. Ainsi, si l’objectif fixé qui est de vendre deux millions est atteint, personne ne pourra interdire au Président d’être candidat. Raison pour laquelle nous ne sommes pas là à nous interroger sur la clarté de la Constitution que seul le Conseil constitutionnel peut déterminer. Donc, on descend sur le terrain pour promouvoir le bilan du Président afin que le peuple porte sa candidature.)  

Pour Ismaila et son parti, ceux qui défendent l’illégitimité d’un troisième ne font que donner leurs opinions. A cet effet, étant militants, ils peuvent aussi faire valoir les leurs en donnant des arguments solides même s’ils sont conscients que le dernier mot revient à leur chef, et en dernier recours au Conseil constitutionnel. Tout cela passe sous le regard du Président Sall qui avait interdit à ses partisans de parler du mandat. On a l’impression que Ismaila Madior ne fait que rapporter des propos du Président Sall vu le discours indirect utilisé. Ce qui montre alors que Macky Sall va dans le sens d’une éventuelle candidature à un troisième mandat. Le changement de discours du parti au pouvoir sur le mandat s’accompagne aussi d’un changement de vocabulaire. Parlant de sa réélection, le Président Sall élimine la notion de second mandat pour celle de premier quinquennat. Ce qui fait dire qu’il conçoit l’idée que concourir à son troisième mandat lui serait permis car une réélection en 2024 serait un second quinquennat. Il note par ailleurs dans son allocution de 4 juillet 2023 :  

« Ma décision, longuement et mûrement réfléchie, est de ne pas être candidat aux élections de 24 février 2024. Et cela même si la constitution m’en donne le droit. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2016, le débat juridique a été définitivement tranché par la décision du Conseil constitutionnel N1/C/2016 du 12 février 2016. »

Cela fait penser aussi à cette confidente de Ismaïla Madior Fall à propos de la réponse du Conseil constitutionnel sur le projet de révision de 2016 dont parle le président Sall : « 

« [Le Conseil disait que :] « il faut réécrire le texte et supprimer la disposition transitoire parce que le mandat en cours échappe à la loi nouvelle. Le mandat en cours échappe à la loi nouvelle, les lois ne sont pas rétroactives. Le mandat en cours ne peut pas être saisi par la loi nouvelle ». Cela veut dire qu’à partir de la prochaine élection présidentielle, il ne devrait plus avoir de problème parce qu’ici le problème qu’on a c’est une situation transitoire qu’on a voulu régler et on a enlevé la disposition transitoire. Mais à partir de la prochaine présidentielle, il n’y aura plus débat parce qu’il n’y aura plus de situation transitoire. » 

Si nous nous fions à cette déclaration, le camp présidentiel était sûr de la recevabilité de sa candidature pour un troisième mandat. Ainsi, pour eux, l’essentiel était de légitimer cette candidature en se fondant sur le bilan et les réalisations du président. Par ailleurs, il faudra aussi comprendre que le problème du mandat ne semble pas être, pour eux, une question juridique. En revanche, l’enjeu est à la fois moral et politique comme le note le Président de la République.

« J’ai une claire conscience et mémoire de ce que j’ai dit, écrit et répété ici et ailleurs c’est-à-dire que le mandat de 2019 était mon second et dernier mandat. (…) j’ai un code d’honneur et un sens de la responsabilité qui me commande de préserver ma dignité et ma parole. »

Mais avant que le Président décide de ne pas déposer sa candidature au Conseil constitutionnel, certains Sénégalais ont fortement défendu l’illégitimité d’un troisième mandat en donnant des arguments juridiques et moraux. Outre des experts du droit, ce sont des collectifs politiques, des activistes, des artistes et des organisations de la société civile qui ont insisté sur le respect de la parole donnée en plus des fondements juridiques. En effet, pour beaucoup d’entre eux, il est urgent d’éviter de tomber dans le « wax waxet » (« dire et se dédire ») du Président Abdoulaye Wade qui discrédite la valeur de la parole présidentielle. En effet, c’est une vertu africaine morale de respecter sa parole lorsqu’on l’a donné, surtout quand on occupe des fonctions aussi importantes que celles de Président de la République. Des expressions de la langue wolof que maîtrise la presque totalité de la population sont, dans la majeure partie, utilisées pour que le public soit conscient de la quintessence de leur dénonciation. Dans cette dynamique, Mary Teuw Niane exhorte le Président Sall en notant que « gor ca wax ja » (notre traduction : on reconnaît l’honnête homme que par le respect de sa parole). Il réaffirme que le Président de la République Macky Sall a déclaré partout qu’il ne briguerait pas un troisième mandat. Pire, il s’est donné pour objectif de verrouiller définitivement cette possibilité. 

Le silence du Président de la République et sa déclaration de « ni oui, ni non », même s’il l’a argumenté, a été interprété comme un désir de briguer un troisième mandat et tous les actes posés interprétés comme une volonté de « réduire l’opposition à sa plus simple expression » selon ses propres termes. C’est ainsi que l’affaire Adji Sarr a vite été interprétée comme une volonté de museler un ultime candidat sérieux à la présidence de la République. Ainsi, le collectif de la société civile autour de « Y’en a marre » a commencé à lancer des slogans comme « jàmm a gëm 3e mandat » (la paix, c’est mieux que le troisième mandat), « Bu ko sax jéem » (ne le tente même pas). Tout en mettant des arguments juridiques sur la table, le collectif rend visite aux chefs religieux du pays pour leur expliquer la situation mais aussi pour alerter sur les conséquences que le Sénégal pourrait survenir si le Président Macky Sall s'essayait à un troisième mandat.  Alioune Tine, ancien Secrétaire Général de la Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADDHO) et fondateur du Think Thank Africa Jom Center utilisait la métaphore de la prière musulmane et rappelait l’importance du mouvement de masse contre le troisième mandat de Wade et toutes ses conséquences. Il donnait l’image des « deux rakka » comme la tabaski et la korité. Il y note alors une sacralité » montrant par ailleurs l’impossibilité d’une troisième.   


Recommandations 

Sur la base de cette étude, il ressort qu’il est urgent de prendre des mesures concrètes pour éviter toute velléité de tenter de modifier les constitutions nationales, surtout sur le point que touche la limitation des mandats, quelles que soient les circonstances. Les recommandations suivantes sont proposées : 


  • Pour éviter de tergiverser sur la question des troisièmes mandats, il est essentiel de verrouiller définitivement la question en veillant à la rédaction claire de la disposition prise par le pays, sans laisser une possibilité de procéder à des interprétations multiples;
  • Demander aux dirigeants des pays de déclarer clairement leur intention de ne pas chercher à se représenter à des élections auxquelles ils ne devraient pas se présenter;
  • Éviter de donner des possibilités de modifier les constitutions pour ouvrir une brèche à une éventuelle possibilité de tripatouillage;
  • Emmener les institutions internationales à sanctionner les tentatives de Coup d’Etat constitutionnel;
  • Sanctionner les manœuvres visant à légaliser les actions illégales à travers les supports médiatiques, quelle qu’en soit la forme.

Conclusion

Quand, au soir du lundi 3 juillet 2023, le Président sénégalais Macky Sall annonçait qu'il ne se représenterait pas en 2024, c’est certes un soulagement mais aussi une délivrance de voir que le combat n’a pas été vain. Cette période de doute et d’incertitudes a permis de voir que les personnalités académiques, politiques, judiciaires pouvaient être capables de mettre leur science au service de leurs propres intérêts en essayant de défendre parfois l’indéfendable ou de changer de casaque en fonction des époques, des postures et des intérêts du moment. La question de la démocratie ne saurait être un luxe pour les Africains et ne peut être limitée à celle du troisième mandat. Cependant, cette problématique lancinante reste une étape importante dans la consolidation des acquis de la République.

Pour rappel, après l’accession à l’indépendance des pays africains, la gestion des affaires publiques est dévolue aux élites nationales. Si d’aucuns, aidés par le monopartisme, sont restés au pouvoir pendant plusieurs décennies, d’autres ont très tôt senti le besoin de libérer l’espace politique tant en favorisant le multipartisme qui, en conséquence, a fini par amener des alternatives politiques au sommet de l’État, qu’en fixant des balises à la durée du mandat de l’exécutif. Néanmoins, la marche démocratique est accompagnée d’intervention de l’exécutif en vue de changer la loi fondamentale pour faire sauter le verrou déjà en place pour reconquérir le pouvoir. Au Sénégal, le dernier quart de siècle porte l’empreinte deux révisions constitutionnelles majeures, bien que déclenchées par l’exécutif fraîchement élu afin de pérenniser les acquis démocratiques, ont été entérinés par les populations malgré sans réserve par ailleurs. Toutefois, toujours à la fin du deuxième mandat, une incertitude et une polémique sur d'des éventuelles candidatures et recevabilités de l’exécutif sortant alimentent les débats dans l’espace publique. Cela révèle des postures et des discours sur la (dé)légitimité qui, évidemment, émanent des acteurs politiques mais ne laissent pas de marbre la société civile, les chercheurs, les juristes, les artistes, les intellectuels, les chefs religieux ou encore les activistes. En somme, par diverses manières, le peuple tente aussi de démêler la question sous des angles variés mais aussi à des fins partisanes. C’est en ce sens que notre étude analyse les postures ainsi les discours de ces « courtiers » ou « traducteurs » pour y déceler des motivations et des implications.

À l’issue de cette recherche, nous notons la création de stratégies de communication propres, simples mais équivoques. Ainsi, des techniques de persuasion sont mises en œuvre pour justifier des postures et des positions et définir des options à imposer au reste de la population par les protagonistes. Cette présence a été renforcée par le développement de Technologies de l’Information et de la Communication et à la démocratisation de l’accès au réseau Internet. Les « traducteurs » de la Constitution ont compris l’électorat et qu’il est possible de puiser dans ce vivier composé essentiellement de citoyens en âge de voter. D’autre part, la problématique constitutionnelle pose une problématique langagière et morale. De cette sorte, tout ce qui est dit est passé au crible de cette grille d’appréciation. Cela se justifie par le fait que la religion joue un rôle prépondérant dans la vie des populations. Elle fait partie du quotidien et influence tous les actes sociaux et langagiers.

Les positions ne sont pas toutes liées à la lecture stricte du droit mais sont souvent le fruit d’opinions culturelles, religieuses ou morales prises par les camps pour légitimer des postures politiques. Par ailleurs, les « traducteurs » utilisent des langues ou formules langagières et des stratégies jugées traditionnelles comme modernes pour mieux expliquer et persuader sans en sachant qu’on peut persuader sans avoir raison. En somme, la jurisprudence est quasiment reléguée au second plan par la morale, la politique et la religion.


TABLE DES MATIERES


Résumé : 1

Abstract: 1

Introduction 2

I. Précautions méthodologiques 3

II. Le troisième mandat : une question de démocratie en Afrique 5

II.1 En Côte d’Ivoire 6

II.2 Au Burundi 7

II.3 Au Rwanda 8

III. Aux origines de la polémique sur le troisième mandat au Sénégal 9

IV. La Constitution à l’épreuve de la politique et de la morale 12

IV.1 Une foi juridique biaisé 12

IV.2 Flottement interprétatif des non-initiés 19

V. De la légitimité politique à l’illégitimité morale 24

VI. Recommandations 30

Conclusion 31

Tables des matières 34

Référence bibliographique 35

Webographie 36




Référence bibliographiques 


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