EQUIPE DE RECHERCHE
Isidore Collins NGUEULEU DJEUGA,
Marielle KOLOKOSSO
Serge MONG
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier tout d'abord, les acteurs de la société civile notamment les défenseur.es des droits humains, les journalistes, les activistes qui ont volontiers accepté de remplir notre questionnaire et répondre à nos questions lors des entretiens.
Nos remerciements vont ensuite, aux équipes AfrikTivistes, pour leur assistance dans la réalisation de cette étude et plus particulièrement à l’équipe de coordination pour sa disponibilité et sa franche collaboration durant tout le processus d’élaboration du rapport de cette étude.
Nos remerciements à toutes les personnes que nous avons consultées de manière informelle et dont les réponses ont nourri les résultats inscrits dans l’étude.
ABRÉVIATIONS ET SIGLES
5G : 5ème génération de technologie cellulaire sans fil AFD : Agence française de développement
App : acronyme pour Application mobile
CENI : Commission Electorale Nationale Indépendante (République démocratique du Congo) CENCO : Conférence Episcopale Nationale du Congo (République démocratique du Congo) CFI : Canal France International
DEV : Dispositif Electronique de Vote Etc. : et cetera
GODI : Ghana Open Data Initiative IA : Intelligence Artificielle
IDO: Internet Des Objets
IEBC: Independent Electoral and Boundaries Commission IOT: Internet Of Things
MAV : Machine A Voter
OAIAR : Observatoire Africain de l'Intelligence Artificielle Responsable OSC : Organisation de la Société Civile
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement RCA : République Centrafricaine
RDC : République Démocratique Du Congo
SWAPO: South West Africa People’s Organization (parti politique namibien) TIC : Technologies de l’Information et de la Communication
UIT : Union Internationale des Télécommunications
USSD : Unstructured Supplementary Service Data ou Données de Service Supplémentaires Non Structurées
WFD : westminster Foundation for Democracy
RÉSUMÉ EXÉCUTIF
Les démocraties sont plus fragiles et plus vulnérables que par le passé. Le Rapport sur la liberté dans le monde montre que les démocraties du monde entier sont en crise. Parallèlement, le paysage numérique d'aujourd'hui évolue rapidement, à travers des technologies de pointe qui ont le potentiel d'avoir un impact significatif sur nos sociétés et leur gouvernance : transparence, responsabilité, participation citoyenne. Parmi ces technologies, le big data, l'intelligence artificielle (IA) et la blockchain sont apparus comme des outils puissants qui peuvent être exploités pour promouvoir et renforcer les valeurs démocratiques.
Si l’appropriation de ces technologies par les gouvernements africains est encore timide, on observe une ambivalence dans leurs choix. D’un côté, certains États y ont recours pour améliorer la transparence dans les processus électoraux et de gouvernance ; d’un autre ils s’en servent pour une surveillance accrue des activistes et adversaires politiques. Ceci empêche donc une véritable détermination à explorer la richesse de ces technologies et d’en tirer pleinement profit. En revanche, les initiatives citoyennes foisonnent en la matière et s’observent dans l’ensemble des secteurs de la gouvernance démocratique. De l’accès à l’information, à la participation citoyenne et au contrôle de l’action gouvernementale, on observe de nombreuses innovations favorisant une meilleure implication des citoyens dans la gouvernance.
Ce rapport explore l'impact potentiel du Big Data, l'intelligence artificielle (IA), la Blockchain et d’autres nouvelles technologies sur la démocratie en Afrique, en soulignant à la fois les défis et les opportunités.
Si ces nouvelles technologies ont le potentiel d'améliorer l'efficacité et l'accessibilité, sur le plan électoral par exemple, elles pourraient également renforcer les inégalités existantes et les exclusions subtiles. Il serait trop simpliste de prétendre qu’elles pourraient résoudre toutes seuls les défis démocratiques en Afrique. Les causes profondes des déficits démocratiques, comme les régimes autoritaires, les divisions sociales et l'injustice, sont complexes et contextuelles. Aucune solution technologique ne peut à elle seule les résoudre. Au contraire, leur contribution à l’essor démocratique dépend de la manière dont elles sont mises en œuvre, notamment à travers des garanties sûres et une surveillance adéquate.
Mots clés : Intelligence artificielle, Big Data, Block Chain, démocratie, démocratie numérique, technologies.
ABSTRACT
Democracies are more fragile and vulnerable than in the past. The World Freedom Report (2020) shows that democracies around the world are in crisis. At the same time, today’s digital landscape is rapidly evolving, with cutting-edge technologies that have the potential to have a significant impact on our societies and their governance: transparency, accountability, citizen participation. Among these technologies, big data, artificial intelligence (AI) and blockchain have emerged as powerful tools that can be exploited to promote and strengthen democratic values.
If the appropriation of these technologies by African governments is still timid, we observe an ambivalence in their choices. On the one hand, some states use it to improve transparency in electoral and governance processes; on the other hand, they use it for increased monitoring of activists and political opponents. This prevents a real determination to explore the richness of these technologies and to take full advantage of them. However, citizens' initiatives abound in this area and are observed in all sectors of democratic governance. From access to information, citizen participation and control of government action, there are many innovations that promote better citizen involvement in governance.
This report explores the potential impact of Big Data, artificial intelligence (AI), blockchain and other new technologies on democracy in Africa, highlighting both challenges and opportunities.
While these new technologies have the potential to improve electoral efficiency and accessibility, they could also reinforce existing inequalities and subtle exclusions. It would be too simplistic to pretend that they could solve the democratic challenges in Africa on their own. The root causes of democratic deficits, such as authoritarian regimes, social divisions and injustice, are complex and contextual. No single technological solution can solve them. On the contrary, their contribution to democratic development depends on the way in which they are implemented, in particular through secure guarantees and adequate monitoring.
Key words : artificial intelligence, Big Data, Block Chain, democracy, digital democracy, technologies
INTRODUCTION
Dans le paysage contemporain, la technologie émerge comme une force motrice capable de remodeler les fondements de nos systèmes démocratiques. À mesure que les sociétés se numérisent et que les avancées technologiques transforment notre façon de vivre, il devient impératif d'explorer comment ces innovations peuvent être déployées pour renforcer et protéger le jeu démocratique. Dans cette quête, plusieurs éléments clés émergent : la transparence, la participation citoyenne, et la responsabilité. Ces principes fondamentaux de la démocratie sont intimement liés à la manière dont la technologie est conçue, déployée et réglementée.
La transparence, tout d'abord, est cruciale pour garantir la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques. Les technologies telles que la Blockchain offrent des mécanismes innovants pour enregistrer et vérifier les transactions de manière transparente et sécurisée, réduisant ainsi les risques de fraude et de manipulation.
Ensuite, la participation citoyenne est un pilier essentiel de la démocratie, et la technologie peut jouer un rôle central dans son renforcement. Des plateformes en ligne permettent aux citoyens de s'engager directement dans le processus décisionnel, de soumettre des propositions, de voter sur des questions importantes et de tenir les représentants élus responsables de leurs actions.
Enfin, la responsabilité est essentielle pour garantir que la technologie est utilisée de manière éthique et conforme aux valeurs démocratiques. Des mécanismes de réglementation appropriés doivent pour cela être mis en place pour protéger les droits fondamentaux des citoyens, tels que la vie privée, la liberté d'expression et l'égalité devant la loi.
C’est donc tout l’intérêt d’une telle étude, car dans un monde en constante évolution, où les avancées technologiques jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans nos vies, il est crucial d'explorer comment ces innovations peuvent être mises au service de la démocratie pour garantir le respect du jeu démocratique. Trois de ces avancées technologiques suscitent particulièrement l'intérêt dans ce domaine : l'Intelligence Artificielle (IA), le Big Data et la Blockchain. Elles constitueront le socle de cette réflexion, pour comprendre quelles sont les applications potentielles de telles technologies, leurs dangers et défis dans le jeu démocratique.
Contexte de l’étude
En constante adaptation et évolution, la révolution numérique, comme le faisait remarquer le professeur de droit public Henri OBERDORFF, est en marche et touche désormais à tous les aspects de la vie en société, et plus que jamais refond le politique : l’art d’accéder au pouvoir, de l’exercer, de le conserver, de le transmettre mais aussi de le modeler. Ainsi l’usage du numérique s’est vu généralisé à toutes les formes d’expressions politiques mais aussi d’expression du pouvoir politique dans la société, y compris la démocratie.
S’agissant particulièrement du continent africain, celui-ci comme le font remarquer Gérald GEROLD et Matthieu MERINO dans leur étude dédiée aux nouvelles technologies en matière électorale reste le continent dans lequel on observe le taux le plus élevé de contestations politiques diverses (forme de l’Etat, légitimité du pouvoir en place, structure de la constitution, nombre et durée des mandats, agendas électoraux, déroulement des scrutins, etc.). L’actualité récente du Sénégal, de la République Démocratique du Congo et de l’alliance des Etats du Sahel traduit sans peine le sentiment d’illégitimité des autorités y installées sur la base des processus électoraux « traditionnels ». Cependant, la sélection naturelle devait désormais prendre en compte la sélection artificielle de l’ « ère où technologies numériques et humains sont entrés en symbiose », l’ère au sein de laquelle la technologie devient partie intégrante de nos vies : communication, information, études, divertissement, consultations/recherches, échanges commerciaux et fatalement participation au politique.
Face aux défis auxquels elle est confrontée à savoir : la corruption des élites, les violations des droits humains, la pauvreté, la manipulation électorale et la faible participation des citoyens, l’Afrique détient l’opportunité rare d’inverser la tendance mais aussi de transmettre/proposer au monde un modèle nouveau de gouvernance campée sur un modèle inédit de société et sur une nouvelle citoyenneté, obtenues au travers de l’implémentation des possibilités de renforcement de la transparence, de la responsabilité et de la participation citoyenne dans les processus démocratiques. Ces possibilités sont celles qu’offrent aujourd’hui les technologies dites émergentes telles que l’IA, la Blockchain et le Bigdata, etc. Ces dernières sont présentées aujourd’hui comme des leviers d’amélioration de la situation des gouvernements africains. C’est d’ailleurs ce qu’affirme l’AFD en ces termes : « ces outils constituent une chance pour la démocratie : usés à bon escient, ils pourraient améliorer le fonctionnement démocratique de nos sociétés et de nos communautés. »
La question qui se dégage donc clairement est celle de savoir : Comment faire des technologies (IA, Bigdata,Blockchain) des garanties au respect du jeu démocratique ?
Objectifs de l’étude
La présente étude s’est donnée pour objectif majeur d’explorer comment les technologies émergentes telles que le Big Data, la Blockchain et l’Intelligence Artificielle (IA) peuvent être utilisées pour renforcer et garantir le respect des principes démocratiques.
De façon plus spécifique, cela renvoie à :
- analyser les applications potentielles du Big Data, de la Blockchain et de l’IA dans le processus démocratique, notamment en matière de transparence, de responsabilité et de participation citoyenne ;
- identifier les défis et les risques associés à l’utilisation de ces technologies dans le contexte démocratique, y compris les questions de confidentialité, de sécurité et d’éthique ;
- étudier des cas concrets où ces technologies ont été utilisées pour soutenir le jeu démocratique ;
- proposer des recommandations pour une utilisation responsable et efficace de ces technologies dans le renforcement de la démocratie.
Champ et délimitation de l’étude
La présente étude trouve toute sa pertinence dans le fait qu’elle est une problématique mondiale. Les questionnements qu’elle soulève sont des préoccupations que l’ensemble des gouvernements démocratiques se posent à l’heure actuelle. Toutefois, il est judicieux de circonscrire le champ d’investigation au continent africain. En effet, l’Afrique revêt la particularité d’être le terroir où les technologies émergentes de l’IA, le Bigdata et la Blockchain sont encore nouvelles et demeurent dans un certain balbutiement. D’autre part, les démocraties africaines possèdent des singularités (instabilité politique, gestion controversée des ressources, institutions faibles, diversité ethnique et linguistique, etc.) qui rendent une telle recherche intéressante à couvrir dans cette région.
Sur le plan temporel, les technologies émergentes de l’IA, le Bigdata et la Blockchain ont commencé à prendre leur essor en Afrique dans la dernière décennie. Ce faisant, cette étude couvrira principalement la période de 2010 à 2024, date à laquelle elle est réalisée.
Par ailleurs, sur le plan conceptuel, il convient de relever que, bien qu’il existe de nombreuses technologies dites émergentes (IA, informatique quantique, la 5G, la Blockchain, le Bigdata, l’IoT ou IdO, réalité virtuelle, etc.), il s’avère pertinent de se focaliser sur les technologies ayant réussi à particulièrement pénétrer l’Afrique. Il s’agit de l’IA, le Bigdata et la Blockchain.
Brève définition des termes
L’Intelligence artificielle (IA) porte sur un ensemble de théories et de techniques d’imitation de l’intelligence humaine, lesquelles sont basées sur la création et l’application d’algorithmes exécutés dans un environnement informatique dynamique. En d’autres termes, l’IA désigne la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. De plus, elle permet à des systèmes techniques de percevoir leur environnement, gérer ces perceptions, résoudre des problèmes et entreprendre des actions pour atteindre un but précis. L’ordinateur reçoit des données (déjà préparées ou collectées via ses capteurs - une caméra, par exemple) les analyse et réagit. Il existe deux types de IA, selon la communauté européenne : les Logiciels (assistants virtuels, logiciels d’analyse d’images, moteurs de recherche, systèmes de reconnaissance faciale et vocale, etc.) et l’IA "incarnée" (robots, voitures autonomes, drones, l’Internet des objets, etc.).
Le Big Data désigne l’analyse de données massives collectées par des entreprises ou des industries, afin d’en extraire des informations précieuses. Les créations technologiques qui ont facilité la venue et la croissance du Big Data peuvent être catégorisées en deux familles. D’une part, les technologies de stockage, portées particulièrement par le déploiement du Cloud Computing. D’autre part, l’arrivée de technologies de traitement ajustées, spécialement le développement de nouvelles bases de données adaptées aux données non- structurées (Hadoop) et la mise au point de modes de calcul à haute performance (MapReduce).
Il faut relever cependant, qu’il existe une réelle convergence entre l’IA et le Bigdata. Cette convergence est relative au traitement de données massives, l’analyse prédictive avancée, l’automatisation des processus et la personnalisation des expériences utilisateur. En effet, comme le précise Noël Tossou, consultant en Ingénierie du Big Data : « la convergence entre l’IA et le Big Data repose sur l’utilisation conjointe de vastes ensembles de données pour alimenter et améliorer les systèmes d’intelligence artificielle. Les technologies de Big Data fournissent l’infrastructure nécessaire pour collecter, stocker et traiter de grandes quantités de données provenant de diverses sources. Ces données sont ensuite utilisées par les systèmes d’IA pour entraîner des algorithmes et améliorer leur précision et leur performance. » Cela explique la raison pour laquelle, certaines technologie/application/plateforme seront présentées sous le vocable IA seulement, mais cela sous-entend l’utilisation du Bigdata également.
La Blockchain, quant à elle, est également une technologie de stockage et de transmission d’informations. La mission d’information commune de l’Assemblée nationale français sur les usages des chaînes de blocs et autres technologies de certification de registre la définit comme de la façon suivante : « Une blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie. »
En d’autres termes, et comme l’illustre le mathématicien Jean-Paul Delahaye, la Blockchain est semblable à « un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible ». C’est dire que c’est une technologie qui fonctionne sans organe central de contrôle. Chaque utilisateur peut, à tout moment, à l’aide d’un système cryptographique, vérifier la validité des informations, rajouter des données et enregistrer une transaction.
Méthodologie
Pour réaliser efficacement et de manière efficiente cette étude, l’équipe de recherche, a adopté une démarche méthodique. Ainsi la présentation de la méthodologie de recherche se déclinera en deux points principaux : La présentation de la méthode d’analyse et La présentation de la démarche opérationnelle
La Méthode d’analyse
Pour s’assurer de la bonne conduite de cette étude, le processus méthodologique choisi en vue de son élaboration est une triangulation de deux approches principales : qualitative, et étude de cas.
- L’approche qualitative
La nature du sujet qui est soumis à analyse obligeait que l’approche qualitative soit convoquée. En effet, celle-ci n’a pas vocation à mesurer un phénomène, à convoquer et contrôler des variables. Elle consiste principalement à effectuer une description de l’objet de recherche étudié. Ainsi, appliquée à cette étude, elle avait pour but de conduire à une analyse descriptive du phénomène expansif de la technologie, devant être utilisée au service de la démocratie. Elle a ainsi permis de mettre en lumière les applications potentielles de l’IA, du Bigdata et de la Blockchain dans la démocratie, puis d’analyser les éléments pouvant constituer les défis et les risques découlant de leur utilisation. De plus, outre la description, elle permettait de mettre en relation les éléments permettant de garantir un respect effectif du jeu démocratique dans l’utilisation des technologies.
En effet, en mettant l’accent sur les significations, les expériences et les points de vue de tous les experts intervenant dans la question, l’approche qualitative s’est avérée indiquée pour parvenir à répondre à la question de savoir comment faire de la technologie une garantie au respect du jeu démocratique. Par son biais, l’équipe de recherche a procédé à la fois à l’observation, le recueil d’avis et d’impressions d’experts dans le domaine, la recherche documentaire, etc. des outils indispensables pour parvenir à obtenir des résultats pertinents sur la question de l’utilisation des technologies respectueuses du jeu démocratique.
L’étude de cas
C’est certes une sous branche de l’analyse qualitative, mais qui revêt une importance particulière, nécessitant qu’elle soit mise en exergue. Elle a été utilisée pour que l’accent soit mis sur un cas dans une communauté/société précise. En effet, l’une des missions attendues de l’équipe de recherche était celle d’étudier des cas concrets où ces technologies ont été utilisées pour soutenir le jeu démocratique. Ainsi, l’étude de cas a permis de relever plusieurs cas, de les étudier de manière individuelle, détaillée et approfondie, à travers toutes les méthodes jugées appropriées et disponibles (notes, d’entretiens, d’étude des documents et registres officiels, d’analyse de données quantitatives, etc.).
Ces différentes méthodes d’analyse ont été utilisées au cours de l’étude, à la suite du respect d’un cheminement opérationnel précis.
La démarche opérationnelle
L’objectif d’explorer comment les technologies émergentes telles que le Big Data, la Blockchain et l’Intelligence Artificielle (IA) peuvent être utilisées pour renforcer et garantir le respect des principes démocratiques, a conduit à adopter une démarche opérationnelle réfléchie et ordonnée. Celle-ci s’est articulée autour de quatre (4) phases principales : (-) La phase de cadrage méthodologique (-) La revue documentaire (-) La collecte et l’analyse des données (-) La rédaction et production des livrables
- La phase de cadrage méthodologique
Elle a été une étape cruciale dans la mise en œuvre de la mission de l’équipe de recherche, car déterminante pour la réussite de celle-ci. En effet, avant la signature du contrat, l’équipe de recherche a effectué un entretien avec l’équipe d’AfricTiviste pour convenir d’un certain nombre de dispositions. Par la suite, une autre rencontre s’est tenue avec le représentant de l’équipe de recherche et AfricTiviste, dans le but de circonscrire le travail à effectuer et de discuter sur tous les aspects pratiques de la mission. L’objectif était de fournir à l’équipe consultante, des orientations pratiques sur la mission à effectuer et de s’accorder sur le calendrier définitif de la mission.
- L’élaboration de la revue documentaire
Elle a consisté en la collecte et l’exploitation des documents qui ont été utiles pour cette étude. Il s’est agi donc des ouvrages de doctrine, des articles, notes de réflexions, des rapports des centres de recherche et d’institutions internationales qui ont mené des réflexions sur des problématiques similaires, à l’instar du CRDI (centre de recherche pour le développement international), l’UNESCO, l’UIT, l’OAPRI, etc. Cette étape a consisté également en l’identification des bonnes pratiques au niveau régional, afin d’une part de documenter les meilleures pratiques et d’autre part, d’identifier et de sélectionner les cas qui feraient l’objet d’études approfondies.
C’est aussi au cours de cette phase que les outils de collecte ont été affinés et améliorés en fonction des résultats de la recherche.
- La collecte des données primaires
Pour compléter les données secondaires recueillies à l’issue de la revue documentaire, l’équipe de recherche a opté pour la collecte des données primaires dans le but d’enrichir l’étude.
La typologie des acteurs a été définie dès la première phase. Il s’est agi d’experts dans les domaines de la technologie, des sciences politiques, du droit, etc. mais aussi d’activistes, leaders de la société civile, etc. C’est au travers des discussions avec ces experts qu’ont pu être mis en exergue les meilleures pratiques, les études de cas, ainsi que les variables et les indicateurs, les facteurs à prendre en compte pour une implémentation de ces pratiques. Cela a également permis de recueillir leurs avis sur la question des dangers et des risques découlant de l’utilisation des technologies dans l’exercice démocratique.
La particularité d’une telle recherche est qu’elle n’est pas circonscrite à une région ou un pays donné. Ainsi, le choix d’experts à auditionner a été large. Il s’est agi de vingt (20) personnes choisies pour leur connaissance aisée des problématiques abordées. Les personnes auditionnées étaient des responsables d’ONG, des entrepreneurs sociaux, des experts juristes, ainsi que des experts en science politique. La méthode choisie a été celle des entretiens. Ces derniers ont été effectués via tous les moyens disponibles et efficaces (courriel, vidéo call, appels téléphoniques, etc.) Les techniques de collecte préconisées pour collecter les informations auprès de ces acteurs ont été principalement des « entretiens semi directif ». A cet effet, des guides d’entretien ont été réalisés.
- La rédaction et la production des livrables
Sur la base de la revue documentaire et des concertations réalisées, l’analyse des données a été faite suivant les méthodes sus présentées. Cela a permis à l’équipe de recherche de rédiger le rapport provisoire à soumettre à l’équipe d’AfricTiviste, puis tenant compte des remarques et ajustements à effectuer, de procéder par la suite au dépôt du rapport final.
PARTIE I : LES TENDANCES ET MODÈLES D'UTILISATION DE LA TECHNOLOGIE DANS LA GOUVERNANCE DEMOCRATIQUE EN AFRIQUE
Partant de l’idée générale selon laquelle la technologie est une extension de la sociabilité inhérente à la profonde nature politique de l’homme, son impact sensible sur la vie politique de la société humaine n’était qu’une question de temps. En effet, le choix de son mode de vie, mais aussi des modes d’expression de ses droits étant soumis à de constantes remises en question, il était évident pour l’homme de se servir des avancées technologiques à sa portée pour exprimer ses besoins, ses craintes, ses objectifs, mais aussi son modèle de participation à la vie de la société.
Indépendamment des courants dits technophiles (passionnés du boom technologique), technophobes (aversion à l’égard de la technologie moderne), techno-modérés (conscients tant des opportunités que de risques apportés par la technologie), techno-neutres (seul l’usage de la technologie compte) et techno-agnostiques (jugement réservé), la question de la prégnance des nouvelles technologies dans le quotidien de plus de 70% de la jeunesse mondiale n’est plus à démontrer. Face une population africaine qui rajeunit de plus en plus, qui lentement mais sûrement s’émancipe des stéréotypes sociaux et qui montre de plus en plus de volonté de rompre avec les schémas politiques ancrés dans nos gouvernances, l’utilisation de la technologie comme levier est un phénomène prévisible qui ne demande plus qu’à être étudié dans son ensemble, mais aussi dans ses objectifs spécifiques. Son évolution particulièrement exponentielle montre un impact certain et déjà quantifiable sur les grands axes de la gouvernance mais aussi de la participation citoyenne.
La Démocratie, la gouvernance étatique et les nouvelles technologies en Afrique
L'Afrique est désormais un terreau en constante évolution de dynamiques issues de l’intersection entre démocratie, principes de gouvernance et nouvelles technologies.
En effet, les nouvelles technologies détiennent un potentiel certain pour transformer les dynamiques démocratiques et gouvernementales en Afrique. Cette transformation inclut le renforcement de la participation citoyenne et aboutit sur l’accroissement de la transparence et la redevabilité des institutions étatiques/publiques/gouvernantes.
La Technologie et la participation citoyenne : la gouvernance par la numérisation
La numérisation des services de gouvernance a largement transformé la participation des citoyens à la chose publique et accru l'engagement civique. Dans certains pays du continent,
La volonté politique a permis l'introduction de nouvelles opportunités de consultation et de participation des populations dans les processus politiques et la prestation de services. La participation du public est une dimension clé de la gouvernance digitale.
L'engagement actif des individus dans les affaires publiques et la vie démocratique de leur communauté ou de leur pays peut prendre diverses formes, telles que : le vote lors d’élections, l'implication dans des organisations de la société civile, la participation à des manifestations, l’émission d’avis sur les politiques publiques, ou encore la contribution à des projets communautaires. En cela, la participation citoyenne implique la prise de conscience de ses droits et responsabilités en tant que citoyen et l'action en vue d'améliorer la société dans laquelle on vit.
A côté de cette volonté se tient désormais la technologie et ses multiples facettes et utilisations. Son utilisation appropriée et dédiée aux modes d’expression de l’engagement démocratique évoqués plus haut peuvent déterminer de manière significative l’impact de la participation citoyenne en permettant aux individus, à la société civile dans son entièreté de s'engager plus facilement dans le processus démocratique et de contribuer à la prise de décision.
Dans cette démarche de mise au service de l’action citoyenne, la technologie, se déploie au travers d’une large palette d’applications potentielles.
L’E-Gouvernement
Le gouvernement numérique fait allusion à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour améliorer et transformer les services gouvernementaux, les processus administratifs ainsi que les interactions entre les institutions publiques et toutes les autres entités. Les plateformes d'e-gouvernement permettent aux citoyens d'accéder aux services gouvernementaux en ligne, tels que le paiement des impôts, l'inscription sur des listes électorales, l’obtention d’un permis, les demandes de subventions, etc. Cela réduit la bureaucratie et améliore l'accessibilité des services gouvernementaux.
Le projet Irembo est une plateforme de gouvernement numérique qui permet l'accès et la fourniture de services gouvernementaux aux populations rwandaises. Construite et lancée en 2015, Irembo héberge aujourd'hui plus de 40 e-services provenant de 6 agences gouvernementales différentes avec plus de 90 000 utilisateurs par mois. Les services sont disponibles en ligne, sur USSD et via un réseau d'agents d'assistance. En sensibilisant chaque jour, Irembo a également entrepris d'exploiter l'écosystème existant (télécoms, infrastructures, ressources humaines, passerelles de paiement, etc.…) en augmentant son nombre de canaux de paiement, de points d'accès et d'agents de terrain, ainsi que son taux d’utilisation global. Le service est conçu pour améliorer le mode de vie des citoyens en rendant l'accès aux services gouvernementaux plus facile, plus rapide et moins coûteux. Mise en œuvre par le gouvernement rwandais, il est le fruit du partenariat entre ledit gouvernement et la société CrimsonLogic.
Le gouvernement ghanéen quant à lui mène depuis plusieurs années un programme de transformation numérique, qui a fait du pays l’un des leaders de ce secteur sur le continent. C’est ainsi que depuis le 31 mars 2023, il dispose d’une plateforme numérique dénommée Electronic Tax Clearance Certificate, essentiellement dédiée à l’administration fiscale nationale. Elle permet aux contribuables d’accéder et de générer leur certificat de décharge fiscale en ligne, de déposer leurs déclarations fiscales et de vérifier leur statut de conformité fiscale. Ledit programme a permis également la mise en œuvre deux autres plateformes dédiées à la TVA électronique (e-VAT) ainsi que le système intégré de gestion de Douanes (ICUMS) dans les ports, ainsi que la Ghana Card en tant qu’identifiant unique des individus situés sur le territoire ghanéen.
La Blockchain pour la gouvernance
La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d'informations, décentralisée et sécurisée, qui fonctionne de manière transparente et sans nécessiter d'autorité centrale de contrôle. Plus concrètement, une blockchain est une base de données distribuée qui contient un enregistrement chronologique et immuable de toutes les transactions effectuées entre les participants du réseau. Cette technologie peut être utilisée pour accroître la transparence et la confiance dans les processus gouvernementaux en enregistrant de manière sécurisée les transactions et les décisions gouvernementales, en garantissant l'intégrité des données et en réduisant les risques de fraude et de corruption.
Quelques applications pratiques peuvent être étudiées ici.
Le vote électronique sécurisé
Le mouvement d’expansion des nouvelles technologies électorales se concentre essentiellement sur deux phases de cycle électoral, à savoir la constitution du fichier électoral et la transmission des résultats.
Le vote en ligne permet aux citoyens de participer aux élections et aux référendums à partir de leur ordinateur ou de leur appareil mobile (smartphone, tablette, etc.), apportant ainsi une solution concrète et fiable à des problèmes tels que : l’éloignement géographique du votant vis-à-vis de son pays, les climats sécuritaires instables ou encore la fluidité de la gestion des flux de votants. Bien que cette pratique soulève encore des préoccupations en matière de sécurité et de confidentialité, elle peut offrir une solution pratique pour accroître la participation électorale, en particulier parmi les populations moins susceptibles de voter en personne.
Par le biais d’un réseau décentralisé de nœuds, les votes sont enregistrés sous la forme de transactions indépendantes sur une blockchain, préservant ainsi sa confidentialité. Compte tenu du caractère immuable de cette technologie, les votes ainsi enregistrés sont protégés de toute altération ou suppression une fois qu’ils sont enregistrés. En ceci donc, les votes peuvent être vérifiés et audités de manière transparente, et le processus électoral voit son intégrité grandement assurée. A ce jour, seuls deux pays africains ont réellement introduit le vote électronique, à savoir la Namibie et la RDC, par le biais de la machine à voter. Le Nigéria quant à lui n’a pour le moment qu’été capable de procéder à l’enregistrement biométrique de ses électeurs et leur permet ainsi depuis près d’une décennie de jouir d’une smart card. Premier à ouvrir le bal sur le continent, la Namibie a à l’occasion d’élections procédé à un vote entièrement électronique. Largement contesté en décembre 2018, le recours au vote électronique connait depuis lors un écho plus favorable auprès de la population élective de la RDC. Le Kenya n’est pas en reste dans cette course à la fourniture de technologies électorales aux populations. L’IEBC (Independent Electoral and Boundaries Commission) par la bouche son Président d’alors indiquait clairement que la question de l’utilisation de la blockchain pour parvenir à une publication en temps réel des résultats électoraux était en cours de discussion.
- Les Smart Cities
Les technologies numériques peuvent être utilisées pour améliorer la gestion des services urbains tels que les transports, l'énergie, l'eau, les déchets, etc., ce qui contribue à créer des villes plus intelligentes et plus durables. Les citoyens peuvent également participer à la gestion urbaine en signalant les problèmes via des applications mobiles ou des plateformes en ligne.
- Les Applications mobiles
Une application mobile, souvent simplement appelée « app », est un programme logiciel conçu pour fonctionner sur des appareils mobiles tels que des smartphones et des tablettes. Ces applications sont développées pour des systèmes d'exploitation mobiles spécifiques (Android, iOS, Windows Phone ou HarmonyOS par exemple).
Les applications mobiles offrent un moyen pratique pour les citoyens de rester informés sur les questions politiques et de participer activement à la vie publique. Les applications peuvent fournir des informations sur les élections, les projets de loi en cours, les événements locaux et les opportunités de bénévolat. L’illustration la plus marquante est celle de Code for Africa. C'est une organisation qui travaille avec des développeurs, des journalistes et des gouvernements pour développer des outils numériques et des applications mobiles qui renforcent la transparence, la responsabilisation et la participation citoyenne dans plusieurs pays africains.
En février 2016, l’autorité fiscale ougandaise lançait AskURA, une application de facilitation de paiement des impôts, mais aussi de collecte et de comptabilisation des recettes fiscales et non fiscales. L’ensemble de ces données sont consultables, ainsi que le législation et ls politiques y relatives, à tout utilisateur.
En juillet 2022, la police kényane développait une application mobile pour aider les femmes, mais aussi toute personne témoin, à signaler des cas de menaces ou de commissions de délits. Géosensible, ladite application réagit à toute alerte en connectant l’utilisateur au centre de commandement le plus proche, avec obligation pour ce dernier de mobiliser les éléments nécessaires à la réponse adéquate. Dominick Kisavi, commissaire de police et également Secrétaire à la sécurité des élections du Service National de Police, a déclaré que des mesures adéquates avaient été mises en place pour garantir le maintien de la sécurité pendant et après les élections. Selon lui, les efforts ont porté leurs fruits lors des primaires du parti en mars et avril, où 114 cas de violence ont été signalés, contre 1 450 en 2017.
- Les Réseaux sociaux
Les réseaux sociaux sont devenus des outils puissants pour la mobilisation citoyenne et la sensibilisation aux problèmes sociaux et politiques. Ce sont des plateformes en ligne conçues pour faciliter la connexion, l'interaction et le partage de contenus entre individus, groupes et/ou organisations. Ces plateformes permettent aux utilisateurs de créer des profils personnels ou professionnels, de publier et de partager des messages, des photos, des vidéos et d'autres types de contenu, ainsi que de communiquer avec d'autres utilisateurs via des fonctionnalités telles que les commentaires. Ainsi, des plates-formes telles que X (ex-Twitter), Facebook et Instagram permettent aux individus de partager des informations, de se connecter avec d'autres personnes/groupes/réseaux partageant les mêmes idées et de diffuser des messages à grande échelle. Il en est de même pour les personnalités publiques et responsables d’institutions gouvernementales qui, au travers de ces instruments, entretiennent des interactions régulières avec leurs concitoyens et autres abonnés sur différentes questions liées à la gouvernance et autres sujets de société. Quelques cas localisés en Afrique mériteraient qu’on s’y attarde :
Avec environ 1,4 millions d’abonnés sur sa page Facebook, et presque le triple sur X, Paul KAGAME, président du Rwanda est une personnalité très médiatisée qui use de son aura pour interagir régulièrement avec ses compatriotes et échanger ses points de vue sur des questions de politique nationale et autres thématiques internationales, ainsi que renseigner le grand nombre sur les activités gouvernementales et les développements politiques y liés. A l’occasion, il n’hésite pas à toucher à des sujets plus personnels, sans manquer de générer autant de flux d’interactions.
Le gouvernement congolais, sous l’identifiant La Présidence RDC, a créé une page Facebook officielle pour diffuser des informations sur les politiques gouvernementales, les projets de développement, les annonces officielles et d'autres sujets d'intérêt public. Avec près de
- abonnés, Felix Tshisekedi et son équipe parviennent tant bien que mal à créer suffisamment d’émulation autour de cette initiative somme toute nouvelle dans le paysage institutionnel congolais.
Avec près de 795.000 abonnés sur sa page Facebook, le président nigérian Asiwaju Bola Ahmed Tinubu entretient une certaine proximité avec ses électeurs et échange avec ces derniers sur différentes questions politiques et nationales. C’était déjà le cas avec son prédécesseur, Muhammadu Buhari qui compte plus de 1,3 millions d’abonnés parmi ses concitoyens et autres personnalités.
- Le Crowdsourcing
Cette innovation technologique est utilisée pour solliciter des aides et des contributions diverses et multiformes pour résoudre des problèmes ou créer des modèles hybrides d’atteinte d’objectifs prédéfinis, au travers de la toile. Différents domaines peuvent être touchés, tels que la planification urbaine, la gestion des ressources naturelles et la résolution de problèmes sociaux. Les gouvernements et les organisations se servent désormais de cette technologie pour recueillir des données, générer des idées et mobiliser des ressources. C'est le cas de l’initiative kenyane Ushahidi, plateforme de crowdsourcing et de cartographie participative qui a été initialement développée en 2008 pour suivre les incidents de violence post-électorale. Depuis lors, Ushahidi a été utilisée dans divers pays africains pour surveiller les élections, signaler les violations des droits de l'homme, suivre les services publics et mobiliser les citoyens pour des causes sociales et politiques.
En combinant ces outils et en les adaptant aux besoins spécifiques de chaque communauté, les gouvernements, les organisations de la société civile et les citoyens peuvent exploiter le pouvoir de la technologie pour renforcer leur participation et promouvoir une démocratie plus inclusive et participative.
- La Numérisation de la démocratie : comment la technologie modifie la responsabilité et la transparence des gouvernants ?
Le renforcement de la transparence et de la responsabilité grâce à la technologie représente un objectif crucial pour ce siècle dans de nombreux domaines tels que les affaires, la santé, l'éducation, les finances publiques et bien d'autres. S’agissant de la gouvernance en Afrique, cette dernière souffre dans une très large mesure de la perte de confiance des populations en sa dédication à leur bien-être ou à tout le moins à la représentation de la volonté du peuple. Il suffit pour s’en convaincre de constater le déphasage criard entre la moyenne d’âge des populations africaines votantes et celle des gouvernants souvent aux commandes depuis plusieurs années, voire décennies. La numérisation des services peut renforcer les résultats de la gouvernance grâce à une transparence accrue, la redevabilité et la surveillance. La recherche montre que les efforts accrus de responsabilisation, les données gouvernementales ouvertes et la gestion publique peuvent avoir un impact sur les prestations sociales. Cela a d’ailleurs été observé pendant la pandémie du Covid19 durant laquelle de nombreux outils digitaux ont été mis en place pour faciliter l’accès à l’information, rendre disponibles et accessibles les lois et réglementations nationales, faciliter la transparence mais aussi permettre la continuité des services judiciaires. Il ne sera donc pas péremptoire d’affirmer au vu de l’actualité politico-sociale du continent que la seule voie de salut pour une gouvernance africaine se voulant à l’écoute de son peuple est de faire de la transparence mais aussi de la responsabilité des leviers de renforcement de la démocratie. Ainsi, en s’aidant des nouvelles technologies, la gouvernance se doterait de chances supplémentaires pour y parvenir.
Quelques-unes de ces technologies peuvent être présentées.
- L’Open Data
Cette technologie permet la collecte, le stockage et la mise à disposition de vastes ensembles de données (d’où l’appellation « open data ») sur des sujets tels que les finances publiques, les performances des entreprises, les données de santé publique, les résultats des élections, etc. Elle favorise la transparence en permettant au public d'accéder à des informations précieuses et de les utiliser pour surveiller les performances des institutions publiques, voire des gouvernements. C’est notamment le cas de l’initiative gouvernementale ghanéenne Ghana Open Data Initiative qui vise à promouvoir la transparence et l'innovation en mettant à disposition des données gouvernementales ouvertes sur différents secteurs tels que l'éducation, la santé, l'agriculture et les finances publiques, pour permettre aux citoyens de mieux comprendre et d'engager avec le gouvernement. Le GODI a débuté en 2012 après qu’une évaluation ait indiqué que le Ghana était prêt pour une initiative des données ouvertes. Avec le soutien de la Web Foundation, il a déployé son premier catalogue de données (septembre 2012) et l’a amélioré un an plus tard (mars 2013) en le dotant de fonctionnalités supplémentaires de visualisation des données en ligne. Dans le cadre du projet e-Transform Ghana, la refonte du GODI a débuté en 2018 et s’est terminée en avril 2019, la dotant désormais des livrables suivants :
- Un projet de politique nationale de partage de données ;
- Un rapport national révisé d'évaluation de l'état de préparation aux données ouvertes ;
- Un redémarrage et mise à niveau du portail de données ouvertes ;
- Plus de 150 fonctionnaires formés de 20 ministères, départements et agences dédiés à la question du traitement des données ;
- Des écosystèmes de données ouvertes au téléchargement de données et événement Hackathon sur l'utilisation des données ;
Une initiative similaire semble sur le point de voir le jour en Ouganda, le Uganda Open Budget Initiative
- La Blockchain
La technologie de la blockchain offre un registre distribué et sécurisé de stockage des transactions de manière transparente et immuable. Cela peut être utilisé pour garantir l'intégrité des données, suivre les processus de bout en bout et assurer la transparence dans divers secteurs. Cette technologie de dématérialisation et de stockage sécurisé des informations sous la forme de « blocs » et largement utilisée dans les domaines de la finance (voir les cryptomonnaies telles que le Bitcoin), de la logistique (suivi de produits), de la santé (gestion de dossiers médicaux) et bien d’autres encore offre des garanties de traçabilité, d’intégrité, de sécurité et de transparence des données, des qualificatifs qui n’ont eu de cesse de faire défaut à la grande majorité des processus électoraux sous nos cieux. Ce sont pour la plupart les raisons avancées en 2019 par Wafula Chebukati, président de la commission électorale kenyane qui révélait la décision du gouvernement d’alors envisager d’adopter cette technologie pour garantir la fiabilité et l’intégrité du processus électoral.
L’intégration de cette technologie à la conception/développement de solutions de gouvernance est porteuse de garanties supplémentaires :
- transparence et traçabilité des dépenses publiques : en usant de la blockchain, les institutions gouvernementales peuvent ainsi enregistrer de manière transparente et immuable toutes les transactions financières effectuées par les entités gouvernementales. Cette démarche donne ainsi la possibilité d’avoir une lisibilité et une traçabilité quasi complète des dépenses publiques, réduisant ainsi les risques de corruption, de détournement de fonds et de mauvaise gestion des ressources financières.
- automatisation des processus de gestion des finances publiques : grâce à la blockchain et la mise en place de contrats automatiques, certains processus financiers peuvent être automatisés, tels que l’allocation de fonds, le suivi de paiements et la gestion des subventions. Cette innovation en termes de processus apporte plus de garanties de d’efficacité, de transparence mais aussi de réduction des coûts traditionnels.
- inclusion financière : en utilisant la blockchain, les gouvernements sont désormais à même de créer des environnements financiers plus inclusifs, accessibles à tous les citoyens et surtout ceux n’ayant pas la possibilité d’être bénéficiaires des services bancaires traditionnels.
Les technologies de vérification
Les technologies de vérification font référence à un ensemble de techniques et de méthodes utilisées pour vérifier l'authenticité, l'intégrité ou la validité de différentes formes de données, d'informations ou d'éléments. Ces technologies sont souvent utilisées dans divers domaines pour garantir la fiabilité et la confiance dans les données et les processus. Les outils technologiques tels que l'analyse de données, l'intelligence artificielle et les algorithmes peuvent ainsi être utilisés pour détecter les fraudes, les abus et les comportements non éthiques. Ils peuvent ainsi contribuer significativement à la responsabilisation des acteurs impliqués dans les différents processus électoraux et à toutes les étapes de ceux-ci à savoir :
- constitution de la base de données du fichier électoral ainsi que sa mise à jour ;
- la phase de vote proprement dite ;
- la phase d’établissement et de vérification des résultats ;
Figurant au rang des solutions électorales innovantes, la biométrie est une technologie de vérification d’identité fondée sur l’analyse de caractéristiques physiologiques ou comportementales uniques. Utilisée dans de nombreuses applications, la biométrie permet de garantir tant la sécurité physique (accès à des bâtiments), que celle informatique (authentification des utilisateurs d’un appareil ou système électronique), financière (accès à des services bancaires) ou encore les systèmes de vote électronique (identification des électeurs). Lors des événements électoraux du 25 février 2023, les électeurs nigérians qui se sont présentés aux bureaux de vote se sont vus soumis à un contrôle biométrique de leur identité. Le système d’accréditation des électeurs, le Bimodal Voter Accreditation System
ou BVAS, utilisait à la fois les empreintes digitales et la reconnaissance faciale dans l’optique de réduire les risques de votes multiples. Bien que la consécration de Bola Tinobu à la tête du pays ait fait l’objet de vives contestations, le Nigéria traçait ainsi la voie à l’usage des technologies biométriques dans les processus électoraux.
S’agissant de l’établissement et de la vérification des résultats, Le cas de la Zambie illustre cette implémentation de solutions technologiques au travers du ZEIC (Zambia Elections Information Centre), qui fut partie prenante principale dans les élections nationales générales de 2016. Cette plateforme multipartite dont la raison d’être est de travailler sur l’observation et le suivi des élections a été créé pour fournir des informations opportunes et pertinentes sur la situation électorale à travers tout le pays grâce à une plateforme de communication intégrant les TIC. Cette plateforme fournit des informations en temps réel aux citoyens zambiens, y compris les résultats des élections, les rapports d'observation électorale, les informations sur les candidats et les questions politiques pertinentes. C'est également le cas avec le South Africa Local Government Elections Dashboard. Ce tableau de bord sud-africain en ligne fournit des informations sur les élections locales en Afrique du Sud, y compris les résultats des élections, les données démographiques, les cartes des circonscriptions électorales et les profils des candidats. Doté également d’une application mobile accessible sur les plateformes de téléchargement dédiées, ce tableau de bord interactif a couvert les derniers évènements électoraux sud-africains.
- La transparence dans les algorithmes
Il est de plus en plus important de rendre les algorithmes utilisés dans les décisions importantes (comme le crédit, le recrutement, la justice pénale, etc.) transparents et explicables. Cela garantit que les décisions ne sont pas prises de manière discriminatoire ou injuste et que les personnes concernées peuvent comprendre et contester les décisions qui les affectent.
Le POPIA ou loi sur la protection des informations personnelles 4 de 2013 est la principale réglementation en matière de protection des données et de la vie privée en Afrique du Sud. POPIA vise à promouvoir la protection des informations personnellement identifiables traitées en Afrique du Sud et donne des droits aux individus concernant leurs informations personnelles. POPIA s’applique à toute organisation, qui traite des informations en Afrique du Sud et réglemente spécifiquement le traitement des informations personnelles enregistrées des personnes physiques ainsi que des personnes morales. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 2021.
Ces illustrations non exhaustives traduisent de manière concrète la volonté affirmée de certains États africains de faire de la démocratie et de la responsabilité gouvernementale des piliers solides de développement. L’atteinte de ces objectifs inclut à n’en point douter le recours à toutes les solutions, classiques et innovantes, mises à la disposition des décideurs qui ainsi participeront par l’usage particulier des nouvelles technologies, du renforcement de la démocratie, de la transparence et de le responsabilité gouvernementale, mais aussi de l’inclusion active des citoyens dans la vie publique et la participation de ceux-ci à la prise de décision. Le renforcement de la confiance du public dans les institutions et les élus ne serait plus perçu dans cette perspective comme une utopie.
Analyse des données, intelligence artificielle et l'amélioration de l'administration publique et de la gouvernance sociale
Si les populations sont astreintes au respect des règles constitutionnelles, des processus démocratiques et de leurs résultats, il n’en est pas moins exigé des institutions étatiques détentrices de la puissance publique. En ce faisant, non seulement ces dernières renforcent le processus les ayant hissées au sommet de l’Etat, mais en plus elles le crédibilisent en le respectant.
En effet, tout au long du processus démocratique et parfois même avant, ces institutions publiques doivent baser leurs décisions, leurs actions et leurs politiques sur l’ensemble des informations récoltées des populations administrées et de la société civile. De cette manière, elles sont à même de se projeter vers l’atteinte d’objectifs concrets et mesurables en temps réel.
Ainsi, l’utilisation de l’analyse des données et de l’intelligence artificielle pour s’informer offre aux gouvernements ainsi qu’aux institutions publiques de nombreuses possibilités pour améliorer l’efficacité, la pertinence et l’impact des décisions prises.
La numérisation de la gouvernance a fortement contribué à l’amélioration des processus démocratique en Afrique. Elle a permis de recourir aux technologies numériques pour soutenir et transformer l’administration, les services, les processus politiques afin de lever les barrières existantes entre les gouvernants et les citoyens. On constate par exemple que le nombre de pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) dotés de niveaux élevés d’administration électronique a augmenté de 57 % depuis 2018. D’ailleurs, l’Afrique compte la plus grande proportion de pays progressés dans l’Indice de développement du gouvernement électronique (EGDI) supérieur (15 pays, soit 28 pour cent). Au Rwanda par exemple, les institutions publiques proposent 98 services en ligne. L’augmentation significative des investissements nationaux dans la fourniture de services en ligne a permis au pays de devenir un leader parmi les pays les moins avancés (PMA) et de rivaliser avec les principaux pays du monde en matière de développement de l’administration électronique.
Ici aussi, la part belle est donnée aux technologies innovantes qui, par le biais de leur usage isolé ou jumelé à d’autres solutions de même nature, créent des processus de facilitation, fluidification des processus classiques de prise de décision en matière de gouvernance.
La principale ressource qui fera l’objet de notre étude est l’analyse de données. Elle se définit comme un processus consistant à inspecter, nettoyer, transformer et modéliser des données dans le but de découvrir des informations utiles, de soutenir la prise de décision et de résoudre des problèmes. En d’autres termes, elle implique l'application de techniques statistiques, informatiques et mathématiques pour extraire des connaissances significatives à partir de données brutes collectées à partir de sources diverses (base de données, fichiers, enquêtes, systèmes d’informations, capteurs, médias sociaux, etc.). Une fois la collecte effectuée, lesdites données sont nettoyées, exploitées profondément et enfin modélisées pour orienter l’analyse.
S’agissant précisément de la gouvernance, l’analyse des données peut être utilisée pour identifier les tendances émergentes et prédire les futurs besoins et défis. Par exemple, en analysant les données démographiques, économiques et sociales, les gouvernements peuvent anticiper les besoins en matière de santé, d'éducation, d'emploi, etc., et élaborer des politiques proactives pour y répondre. Grâce à l’intelligence artificielle, plusieurs utilisations peuvent être intégrées comme autant d’outils au service de la gouvernance.
- Par le biais de l’analyse prédictive
Cette branche de l’analyse des données utilise des méthodes/techniques statistiques, des algorithmes d’apprentissage automatique et des modèles mathématiques pour prévoir les résultats futurs en se basant sur des données historiques et des variables connexes. L’objectif ici est de trouver des liens/relations cachées entre les données collectées, de sorte qu’elles puissent être utilisées pour faire des estimations sur des évènements futurs. Ce fut le cas notamment en 2017, lorsqu’avec le soutien de l’International Science Programme (ISP/IPPS), de l’Université des Sciences et des Techniques et des Technologies de Bamako (USTT-B) et de la Direction Nationale de la Santé du Mali, les chercheurs Koundioun DEMBELE, Souleymane SANOGO, Modibo SANGARE et Abdramane BA concevaient et évaluaient un modèle prédictif et d’alerte précoce des épidémies de méningite au Mali. Au faîte de telles informations et modèles d’obtention de ces dernières, les gouvernements peuvent anticiper les besoins des populations dans différents domaines, et élaborer des politiques proactives pour y répondre.
- Par le biais de l’optimisation des ressources
L'optimisation des ressources est le processus de gestion et d'utilisation efficace et efficiente des ressources disponibles afin d'atteindre des objectifs définis de la manière la plus économique et la plus rentable possible. Cela implique l'identification, l'allocation et l'utilisation judicieuse des ressources à disposition (le capital, les ressources humaines et matérielles disponibles, le temps imparti, les ressources énergétiques, etc.) pour maximiser la production de biens ou de services, réduire les gaspillages et les inefficacités, et garantir un rendement optimal.
L'IA peut aider à optimiser l'allocation des ressources publiques en identifiant les domaines où les investissements seront les plus efficaces. Par exemple, en utilisant des modèles prédictifs et des analyses de rentabilité, les gouvernements peuvent décider où investir dans les infrastructures, les services sociaux, la sécurité publique, etc.
Bien que cette application n’ait pas encore fait l’objet d’une implémentation concrète sur le continent africain, certains pays comme la Tunisie, mènent déjà des réflexions sur la question de l’entretien des infrastructures publiques basées sur l’optimisation des ressources disponibles. Par exemple, le pays a mis en place des systèmes d'IA pour la gestion des transports publics, la surveillance des infrastructures critiques telles que les ponts et les routes, et la prévision des besoins en énergie pour optimiser la production et la distribution d'énergie.
Il convient de relever ici que ces deux premières utilisations sont d’ailleurs soutenues dans un rapport UNESCO produit à la suite d’une enquête menée auprès de 32 pays du continent africain, relative aux besoins en intelligence artificielle en Afrique.
- Par le biais de la personnalisation des services
A l’origine, cette approche consiste à adapter des produits ou services en fonction des besoins, des préférences et des caractéristiques individuelles de chaque utilisateur ou cible. Ici la solution générique est troquée par la fourniture d’un service ou ensemble de services sur-mesure et destinés à une catégorie précise de la population.
En analysant les données sur les citoyens et en utilisant des techniques d'apprentissage automatique, les gouvernements peuvent personnaliser les services publics pour répondre aux besoins individuels. Par exemple, en utilisant des chatbots alimentés par l'IA, les gouvernements peuvent fournir des informations personnalisées et des conseils aux citoyens sur les prestations sociales, les services de santé, etc. C’est notamment le cas lorsqu’en mai 2020, le Ministère de la Santé nigérien, en collaboration avec Facebook Inc. et l’UNICEF lançait sur le réseau social Whatsapp un chatbot dont l’objectif était de permettre à ses utilisateurs de bénéficier de toutes les informations relatives à l’évolution du Covid-19 eu Niger et éventuellement sur toute autre maladies.
- Par le biais de l’analyse des politiques existantes
Encore appelée évaluation des politiques, c’est un processus systématique qui vise à examiner et à évaluer l'efficacité, l'efficience, l'équité et la pertinence des politiques publiques en place. Cette analyse permet de comprendre comment les politiques ont été mises en œuvre, quels sont leurs impacts et quels ajustements peuvent être nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.
En recueillant et en analysant des données sur l'impact des politiques sur différents groupes de population, les gouvernements peuvent identifier ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré. Par le biais de l’implication de l’intelligence artificielle, l’analyse des politiques existantes peut se voir exponentiellement optimisée et débarrassée de contraintes diverses. Ceci par le truchement de processus automatiques tels que : l’analyse des données massives, l’identification de tendances et préférences émergentes et l’analyse d’opinions. A haute échelle et sans contrainte de temps, l’IA permet aux gouvernements d’entrer en possession d’une grille de lecture assez étendue et offrant différents scénarii d’approche, afin de les rapprocher dans les meilleures conditions des objectifs visés par les politiques publiques mises en place.
L’Institut kenyan de recherche et d’analyse des politiques publiques (KIPPRA) a fait de l’intelligence artificielle un thème clé de sa conférence régionale annuelle de 2021, en mettant l’accent sur la manière d’intégrer les innovations numériques dans les politiques publiques, notamment dans des domaines tels que les incitations fiscales et la politique industrielle.
Le Nkafu Policy Institute a mené des recherches sur l’adoption de nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle et l’informatique en nuage, dans le contexte des perturbations économiques au Cameroun, ainsi que sur l’intégration de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle dans les réformes éducatives.
Sur la base d’analyses des politiques de santé existantes au Rwanda, le Fonds Rwandais pour l’innovation a investi dans la plateforme logistique de VIEBEG TECHNOLOGIES, qui sur la base de données évaluées et optimisées par l’intelligence artificielle a bâti un modèle d’accession à des soins et consommables de santé entraînant jusqu’à 40 pour cent d’économies pour les clients (personnes, établissements médicaux, états).
Bien qu’un grand nombre d’Instituts et de Centres de recherches africains dédiés ne fassent pas encore de la question de l’usage de l’IA comme levier d’élaboration et évaluation des politiques publiques locales, l’engouement est notable et sans cesse croissant.
- Par le biais de la prise de décision fondée sur les données
Également connue sous le nom de prise de décision analytique, c’est un processus consistant à utiliser des données empiriques, des analyses quantitatives et des méthodes statistiques pour guider la prise de décisions. A l'intuition ou à l'expérience, on substitue ici des preuves tangibles et des analyses approfondies pour évaluer les options et choisir la meilleure solution possible.
L'analyse des données peut aider les décideurs politiques à prendre des décisions plus éclairées et fondées sur des preuves. En utilisant des données factuelles et des analyses rigoureuses, les gouvernements peuvent éviter les décisions basées sur des conjectures ou des intuitions et maximiser les chances de succès de leurs politiques.
Toutefois, il est important de noter que l'utilisation de l'analyse des données et de l'intelligence artificielle dans les politiques publiques soulève également une question centrale qui est celle de l’éthique, notamment en matière de confidentialité des données, de biais algorithmique et de transparence décisionnelle. Ces trois concepts sont étroitement liés et sont tous des éléments importants à considérer dans le domaine de l'intelligence artificielle (IA) et de l'utilisation des algorithmes dans la prise de décision.
Le rôle de la société civile dans la digitalisation de la démocratie en Afrique
- Les initiatives citoyennes de participation à la gouvernance publique
La participation des citoyens est une composante fondamentale de la gouvernance. Le Livre blanc de la gouvernance européenne la met au nombre des cinq principes donnant naissance à la bonne gouvernance (avec l’ouverture, la responsabilité, l’efficacité et la cohérence). Dans les systèmes démocratiques, la participation citoyenne est un élément central. L'évolution numérique a profondément transformé même les dynamiques de participation citoyenne, offrant de nouvelles opportunités d'engagement dans la gouvernance publique. Les initiatives e-citoyennes sont devenues des leviers essentiels pour renforcer la démocratie participative, permettant aux individus de contribuer activement à la prise de décision politique et à la gestion des affaires publiques.
Les initiatives e-citoyennes de participation à la gouvernance publique sont des plateformes en ligne qui permettent aux citoyens de s'engager et de contribuer à la prise de décision politique et à la gestion publique. Elles peuvent prendre différentes formes, telles que des forums de discussion, des pétitions en ligne, des consultations publiques virtuelles et des outils de crowdsourcing pour la collecte d'idées et de suggestions. Ces initiatives visent à renforcer la démocratie en facilitant la participation citoyenne et en donnant aux individus une voix dans les processus de décision gouvernementaux. Il en existe plusieurs, mais il conviendrait d’en présenter quelques plateformes en ligne qui peuvent être utilisées pour recueillir les opinions, les idées et les préoccupations des citoyens sur une variété de questions politiques et sociales. Ces plateformes permettent aux individus de soumettre des propositions, de voter sur des initiatives et de participer à des débats en ligne.
- Le Kenya a déjà souscrit à une telle initiative au travers du projet M-Survey. C’est une plateforme de collecte de données mobile qui permet aux organisations, aux gouvernements et aux entreprises de recueillir des informations auprès des citoyens via des sondages et des enquêtes réalisés par SMS, applications mobiles et médias sociaux. M-Survey a été utilisé pour collecter des données sur divers sujets, y compris la gouvernance, la santé, l'éducation et l'environnement, dans plusieurs pays africains comme le Ghana et le Nigéria.
- Le Nigéria n’est pas en reste avec BudgIT. Créée en 2011, BudgIT est une organisation civique basée au Nigeria qui utilise des technologies numériques pour rendre les données budgétaires et gouvernementales plus accessibles et compréhensibles pour les citoyens. Ils fournissent des outils en ligne et des visualisations de données pour surveiller les dépenses gouvernementales, sensibiliser aux enjeux de gouvernance et encourager la participation citoyenne dans la prise de décision. Cette plateforme couvre également le Ghana, la Sierra-Leone et le Libéria.
- Mzalendo est une plateforme en ligne qui surveille les activités parlementaires au Kenya en fournissant des informations sur les députés, les projets de loi, les débats parlementaires et les votes. Les citoyens peuvent utiliser la plateforme pour suivre le travail de leurs représentants élus, exprimer leurs opinions et contribuer au processus législatif. Signifiant « patriote » en swahili, Mzalendo a été lancé en 2005 en tant que site web non partisan et, grâce à de multiples financements, il s’est relancé en tant que site web d’information parlementaire complet, dont la mission est d’informer les citoyens kenyans sur l’action réelle des élus parlementaire et au travers de plateformes secondaires dédiées de permettre aux populations kenyanes, mêmes les plus marginalisées de donner leur avis sur les textes et projets de lois en cours d’adoption. Cette vaste nébuleuse de solutions informatiques au service de la patrie est aujourd’hui un acteur incontournable pour le citoyen qui se veut informer en temps réel et voir son avis pris en compte. En effet, Mzalendo, c’est :
- Un site web de surveillance parlementaire ;
- Une plateforme d’information et d’interactions sur les projets parlementaires en cours, dénommée Dokeza et opérationnelle depuis 2017 ;
- Une carte interactive présentant les différents découpages de circonscriptions électorales, les élus y attachés et un moyen de les contacter directement ;
- Une entité juridique reconnue, Mzalendo Trust ;
- Un tableau de bord de suivi parlementaire, opérationnel depuis 2014 ;
- Les initiatives de contrôle citoyen de l’action publique et de la transparence gouvernementales.
Le contrôle citoyen de l’action publique et de la transparence gouvernementales fait partie des conditions fondamentales posées par les bailleurs de fonds dans le cadre des réalisations des programmes de développement. L’observatoire citoyen de la RDC présente une définition assez intéressante du contrôle citoyen en le présentant comme étant « un moyen pour les citoyens, à travers l’engagement civique, d’exiger du gouvernement, du parlement, de la justice, des médias, des entreprises ou des bailleurs de rendre compte. » Selon le PNUD, le contrôle citoyen trouve toute son importance dans le fait que les personnes (citoyens et membres de la société civile), ne se contentent pas seulement d’avoir leur mot à dire sur les décisions officielles, mais puissent aussi demander des comptes à leurs gouvernants.
Le concept de contrôle citoyen ainsi que les actions et les mouvements mis en place pour le réaliser ne sont pas récents. En effet, depuis de nombreuses années, les citoyens et les membres de la société civile s’emploient à développer des techniques pour assurer le contrôle citoyen. La révolution numérique et technologique a elle aussi impacté le développement de ces techniques et a depuis quelques années permis que naissent les Civic Tech en Afrique. Selon le rapport de la Knight Foundation de 2013, la « Civic Tech » (pour
« civic technolgy ») désigne toute technologie visant à accroître le pouvoir du citoyen ou à rendre un gouvernement plus ouvert. En d’autres termes, ce sont précisément initiatives publiques, associatives ou privées qui concourent au développement du pouvoir d’agir des citoyens, facilitent la participation citoyenne et donnent les outils nécessaires pour améliorer la transparence de la gouvernance. L’Afrique connaît une réelle prolifération des Civic Tech, lesquelles se déploient dans plusieurs pays et selon plusieurs domaines, en fonction de leur champ d’expertise. La figure suivante présente sommairement la typologie des interactions entre les Civic Tech et les autres acteurs de la société :
Figure 1 : typologie des interactions entre les Civic Tech et les autres acteurs de la société
Source: The emergence of civic tech: investments in a growing field, Knight Foundation, décembre 2013
Cette figure illustre le rôle central que jouent les Civic Tech dans la démocratie, car elle met en lumière les principales tendances qu’elles peuvent embrasser, à savoir : renouer le dialogue entre citoyens et élus, injecter plus de transparence dans le fonctionnement des institutions et réinventer les formes de pouvoir d’agir des habitants. Ce faisant, il convient de mettre en lumière à titre illustratif, des exemples d’initiatives africaines remplissant le rôle de contrôle en usant des technologies telles que l’IA, la Blockchain et le Bigdata.
- PesaCheck
Première initiative de fact-checking et de décodage des informations du budget de l'État en Afrique, créée par Eric Mugendi. PesaCheck effectue un suivi des promesses des personnalités politiques au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Le projet joue le rôle d'intermédiaire entre les experts capables de décomposer et d'analyser des chiffres et autres données complexes, d'une part, et les médias qui sont en contact direct avec le public, d'autre part.
- Al Bawsala
Al Bawsala, créée par Selim Kharrat, scrute les travaux des institutions publiques législatives et exécutives au niveau national et local en Tunisie. Les actions de l'organisation placent les citoyens au cœur de l'action politique en les informant sur la gestion des budgets publics et l'activité des élus. La diffusion de l’annuaire des élus, suivi de leurs activités et de leur présence au sein de l'Assemblée figurent parmi les actions menées par l'organisation.
- Winou Etrottoir
À l'origine, Winou Etrottoir (Où est le trottoir ?) de Rafik Al Falah, est un mouvement civique lancé sur les réseaux sociaux pour dénoncer l'incivisme, l'absentéisme des pouvoirs publics ou encore l'occupation illégale de l'espace public à travers des constructions anarchiques empiétant sur le domaine public en Tunisie. Le mouvement s'est transformé en groupe de pression sur les autorités locales avant de se constituer en association en 2016.
- Les cahiers de Ganiath
Le blog Les cahiers de Ganiath est un exemple de Civic Tech qui réinvente le pouvoir d’agir des habitants (ou du moins en présente des modèles pour se réinventer). En effet, il s'attèle à dénicher et à offrir de la visibilité aux porteurs d'initiatives innovantes dans le secteur du numérique, de la culture et de l'entrepreneuriat. Armée de son smartphone, Ganiath Bello, l’auteure du blog, braque les projecteurs sur de jeunes Béninois qui incarnent la volonté de forger leur propre destin. Ces derniers partagent des détails sur leurs activités, leurs motivations et leurs recettes pour contourner les difficultés auxquelles les entrepreneurs font généralement face dans le contexte béninois.
- Save Dakar
Ce Civic Tech est tourné principalement vers les citoyens. À travers des reportages photo et des publications sur les réseaux sociaux, Save Dakar alerte l'opinion publique sur les dégâts causés par le laxisme et l'absence de civisme des Dakarois. Ce collectif sensibilise à l'importance du respect du patrimoine et des biens publics. Le mode opératoire de ce projet participatif consiste en photographier les cas d'incivilité (insalubrité, occupation illégale des rues, violation du code de la route par les automobilistes) et créer le débat autour des cas signalés. Certaines publications font d’ailleurs régulièrement réagir les autorités qui se sont empressées de résoudre les problèmes signalés.
- Les initiatives citoyennes de participations aux processus électoraux
Aux côtés des Civic Tech qui œuvrent pour une participation citoyenne augmentée, se trouvent également dans le champ des initiatives citoyennes, les « pol tech » lesquels représente des technologies en ligne à visée électorale. Ces derniers en effet s’adonnent à œuvrer pour assainir les processus électoraux dans les pays qui constituent leurs champs d’actions respectifs.
Les pol. tech en Afrique représentent une évolution significative dans la manière dont les citoyens interagissent avec la politique et la gouvernance. Grâce aux technologies numériques basés sur l’IA, le Bigdata, l’USSD et la Blockchain, les électeurs peuvent désormais s'engager activement à différentes étapes du processus électoral, que ce soit pour s'informer, mobiliser d'autres électeurs, surveiller les élections, signaler des irrégularités ou encore participer à des initiatives de transparence et de reddition de comptes. Ces plateformes en ligne contribuent à renforcer la démocratie en favorisant une participation plus large et plus inclusive, tout en offrant des outils pour garantir des élections libres, équitables et transparentes. Cependant, leur efficacité dépend souvent de l'accès à Internet et à la technologie, ainsi que de la volonté politique de les soutenir et de les promouvoir.
Quelques exemples de Pol tech peuvent être relevés :
- Ushahidi
Créée en décembre 2007 par Stacy Gitau, la plateforme en ligne Ushahidi (témoignage en swahili) est un site de crowdsourcing qui permet de collecter et de cartographier les incidents et les anomalies constatés lors d’élections dans des zones ou des contextes sensibles. Concrètement, c’était à l'origine un outil destiné à signaler les rues à éviter lors des émeutes post-électorales au Kenya. Les utilisateurs pouvaient alors et peuvent maintenant encore alerter sur les incidents dont ils sont témoins par l'envoi d'un SMS. Les données récoltées sont affichées sur une carte interactive. La plateforme est devenue aujourd’hui une référence internationale dans le domaine du suivi électoral. Au-delà de la surveillance des processus électoraux, elle a évolué vers le suivi de catastrophes naturelles, de conflits, de discriminations, ou d’enjeux environnementaux. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a été utilisée dans des zones où se sont déroulées des crises importantes : tremblement de terre en Haïti, violences en République démocratique du Congo, élections au Burundi, tsunami au Japon, guerre en Syrie, etc.
- Keba
Les élections antérieures qui se sont tenues en RDC, ont fait l’objet de beaucoup de critiques, notamment liées au fait que les citoyens n’ont pas pu convenablement évaluer les offres politiques des différents candidats, les débats politiques entre candidats étant presqu’inexistants. C’est pour pallier à ces manquements que l’Institut Congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence dénommée EBUTELI, s’est attelé à créer la plateforme Keba, en vue de rendre le processus électoral de 2023 meilleur. Il s’agit d’une application d’aide au vote, qui recense les programmes et offres politiques des candidats, en les rendant plus compréhensibles pour les citoyens. Ensuite, ces derniers sont invités à répondre à un certain nombre de questions (environ 26) sur la santé, l’éducation, la sécurité, l’armée, les institutions, etc. ; en fonction des réponses, l’application indique de quels candidats l’on est le plus proche. Cela permet de faire le tri entre le grand nombre de candidats qui se présentent aux élections.
- Transparence229
A l’initiative de Franz Okey, la plateforme transparence 229 a été lancée en juillet 2017 par une équipe d'alumni YALI (Young African Leaders Initiative) du Bénin. Elle vise à améliorer la contribution des jeunes à la transparence et à l'intégrité des processus électoraux. Parmi les actions menées on peut citer : la Formation, le Plaidoyer, le Monitoring du cycle électoral, ainsi que l’Observation et le rapportage. Le projet assure également la formation de jeunes béninois sur les principes de transparence et d'intégrité des processus électoraux.
- MonElu
MonElu au Mali est une plateforme e-citoyenne créée en 2019, qui vise à promouvoir la participation citoyenne dans le processus électoral au Mali. Cette initiative utilise les technologies numériques pour informer, mobiliser et engager les citoyens dans la vie politique de leur pays. Grâce à "MonElu", les électeurs peuvent accéder à des informations sur les candidats, suivre les événements liés aux élections, poser des questions aux candidats et partager leurs préoccupations. Cette plateforme contribue ainsi à renforcer la transparence, la responsabilité et la démocratie en favorisant un dialogue ouvert entre les citoyens et leurs représentants.
- Vote229
Au Bénin toujours, le collectif Vote229, la plateforme électorale des OSC du Bénin, est un outil puissant et fédérateur qui permet à la société civile d’avoir un impact considérable sur le processus électoral. Plusieurs initiatives sont à noter à leur actif, à l’instar de l’e- observateur. Il s’agit d’un outil qui travaille à la veille citoyenne, par le biais d’autres outils découlant des technologies (Réseaux sociaux, blogs, sites interactifs, etc.). Concrètement, en plus du rôle classique d’un observateur électoral, il se charge, de la collecte des informations crédibles et fiables et les met à disposition de tous. Il permet donc de fournir à la population locale et à la communauté internationale un outil en vue d’évaluer le déroulement du scrutin de manière objective.
La contribution des fournisseurs de technologie dans la digitalisation de la démocratie
Il est impératif de faire un arrêt dans cette partie, sur la contribution des fournisseurs de technologie dans la digitalisation de la démocratie. En effet, aux côtés des acteurs tels que les gouvernements, la société civile, les Big tech48 se positionnent aussi comme ayant un impact significatif sur la façon dont les gens communiquent, consomment de l'information, font des affaires et interagissent dans la démocratie numérique.
La digitalisation de l’espace civique
Les pays d’Afrique subsaharienne font face à des défis importants en matière de gouvernance, ce qui impacte considérablement la liberté d'expression et l'engagement civique de leurs citoyens. Les médias traditionnels ayant montré leur limite, car pour la plupart accusés d’être à la botte du pouvoir en place, ont laissé place aujourd’hui aux médias sociaux (en ligne). Dès lors, la fourniture de réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, Twitter (X), TikTok, etc. représente une réelle opportunité pour l’ouverture de l’espace civique dans ces différents pays. L’espace civique en ligne s’avère derechef crucial pour favoriser une participation citoyenne accrue et renforcer les sociétés ouvertes et inclusives.
Les réseaux sociaux apparaissent dès lors comme des canaux de communication et des catalyseurs de mobilisations sociales et politiques dans des pays où les espaces politiques sont confisqués par le pouvoir central50. C’est sans doute pour cela que, Alexandre Amani déclarait : « les outils numériques sont nos premiers alliés dans notre combat pour la promotion de la démocratie », Il dit encore que « dans un pays comme le nôtre, où les médias publics sont la chasse gardée du parti au pouvoir, nous avons, grâce aux réseaux sociaux notamment, un canal d’expression à nous. » En effet, les Etats africains ne disposent pas encore de l’influence sur les BigTech pour pouvoir ordonner la surpression d’une page ou d’un Post.
48 Le terme "Big Tech" fait référence aux plus grandes entreprises technologiques du monde, qui dominent souvent leurs secteurs respectifs grâce à leur taille, leur influence et leur pouvoir économique. Ces entreprises sont souvent caractérisées par leur empreinte mondiale, leurs vastes ressources financières et leur capacité à innover rapidement.
Les entreprises Big Tech les plus connues comprennent des géants tels que Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft. Elles opèrent dans divers domaines, notamment les moteurs de recherche, les systèmes d'exploitation, les médias sociaux, le commerce électronique, le cloud computing, les logiciels et les services numériques.
49 Africa CSO Network, https://www.opendev.africa/activit-s-details?recordId=recYyXFfzhUhoh92b, consulté le 28 avril 2024
50 Heungoup Hans De Marie & Tanda Theophilus, Réseaux sociaux numériques et processus démocratiques en Afrique centrale : entre systèmes hégémoniques et nouveaux régimes de dissidence, EGMONT, septembre 2019, p.7
La jeunesse urbaine africaine a saisi l’opportunité qui lui était présentée, pour améliorer les espaces d’expression. Ainsi, l’on assiste aujourd’hui à une explosion du nombre de blogueurs, journalistes indépendants, lanceurs d’alerte, etc., lesquels offrent une nouvelle tribune aux militants de la société civile. En 2016 déjà, une étude portant sur "la citoyenneté numérique" en Afrique avait recensé 4.000 "cyberactivistes" dans sept pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, RD Congo, Ghana, Madagascar, Sénégal). Les réseaux sociaux les plus fréquentés étaient Facebook et Whatsapp, eu égard à leur facilité d’accès. Cheikh Fall, un activiste sénégalais disait d’ailleurs à cet effet : "Chez nous Facebook est plus qu'un réseau social, c'est devenu un média car tout le monde y a accès". Il est fondateur du réseau panafricain de cyberactivistes africtivistes.org (150 membres dans 35 pays). Facebook héberge ainsi plusieurs groupes, à l’instar de : "Jeunesse consciente" qui débat de l'actualité en RD Congo (292.000 membres), "Police secours" en Côte d'Ivoire (546.000 membres autour des accidents de la route, de la corruption policière), ou "Méritocratie malienne" (55.000 membres contre le piston et pour le recrutement au mérite). A côté des groupes, Facebook héberge aussi des pages d’individus, à l’instar du compte de Boris Bertolt, un activiste opposé au régime Biya et qui appelle au soulèvement populaire, est suivi par plus de 299 000 followers.
Par ailleurs, "Le nombre de coupures de l'accès à Facebook, voire à l'internet, au cours des derniers mois en Afrique subsaharienne, est la preuve de l'importance prise par les réseaux sociaux dans la circulation de l'information", note cette étude menée à l'initiative de CFI, l'agence publique française d'aide au développement des médias du Sud. Il faut le souligner, les réseaux sociaux ont participé à l’ouverture de l’espace civique en ligne, mais le même espace civique a connu des tentatives considérables de fermeture. La figure suivante présente les cas d’ouverture et de fermeture de l’espace civique en ligne dans 10 pays d’Afrique en 2021.
Figure 2 : cas d’ouverture et de fermeture de l’espace civique en ligne dans 10 pays d’Afrique en 2021
Source: Roberts (2021[2]), Digital Rights in Closing Civic Space: Lessons from Ten African Countries, Institute of Development Studies (IDS), https://doi.org/10.19088/IDS.2021.003.
Au total, il en ressort que, les études menées dans les 10 pays d’Afrique ont mis en évidence 65 cas d’utilisation des technologies numériques pour ouvrir l’espace civique, mais aussi 115 pour le fermer. Car, les technologies numériques porteuses de libertés et d'opportunités sont les mêmes que celles utilisées pour la répression (notamment la surveillance de masse, la désinformation et les fermetures de l’internet, qui sont autant d’obstacles à la citoyenneté numérique).
Il est important de noter également que, les BigTech assurent également le rôle de régulateurs dans le jeu démocratique. Cela permet de lutter contre les fake news, les contenus à tendance haineux et/ou violents, etc. Les réseaux sociaux ne représentent donc pas des lieux où tout est permis aux cyberactivistes au nom de la liberté d’expression. En effet, ces derniers encourent des sanctions en cas de non-respect des règles et politiques. Ces sanctions peuvent aller de la suppression d’un post (signalé), à la suspension (temporaire ou définitive) d’un compte.
La formation et soutien technique
Les BigTech participent également au jeu démocratique en fournissant une formation et un soutien technique aux gouvernements, aux organisations non gouvernementales et aux institutions démocratiques pour les aider à utiliser efficacement les technologies dans le cadre démocratique. Cela peut inclure des programmes de formation sur la sécurité des données, la protection de la vie privée et l'utilisation des plateformes technologiques. L’on peut citer par exemple :
- Le partenariat entre Microsoft et La Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique, créée par Microsoft, destiné à soutenir les initiatives de formation ;
- le Founders Hub, lancé par Microsoft, qui est un centre en libre-service qui fournit aux startups une très large palette de ressources, notamment d'accès à des formations spécifiques, ainsi que de nombreux outils tels que Microsoft Azure et GitHub, et de l’assistance aux entreprises.
- Lancement du Centre de recherche en intelligence artificielle à Accra, au Ghana, en 2019
PARTIE II : LES RISQUES ET DÉFIS ASSOCIÉS À L’UTILISATION DES TECHNOLOGIES DANS LE CONTEXTE DÉMOCRATIQUE
Le monde entier est aujourd’hui séduit par l’utilisation des nouvelles technologies, lesquelles restructurent la société et les secteurs d’activités à l’instar de la démocratie. Il est clair comme présenté ci-haut que, l’utilisation des technologies (IA, Bigdata et Blockchain, etc.) représente une aubaine pour la démocratie. C’est d’ailleurs ce que certifie Henri Oberdoff quand il affirme à cet effet que « la démocratie a été augmentée par les nouvelles potentialités du numérique ». Toutefois, malgré ses innovations, l’usage des technologies dans la sphère démocratique reste de plus en plus contesté. Dans les pays africains particulièrement, la mise en œuvre de ces technologies fait face à un certain nombre de défis pouvant considérablement affecter leur efficacité, et même leur effectivité. Il s’agit en l’occurrence des défis liés à leur utilisation dans le jeu démocratique ; et des défis générés par les géants de la technologie. Aussi, comme toute œuvre humaine comporte des revers, les technologies elles aussi présentent un certain nombre d’enjeux et de dangers du fait de leur utilisation dans le jeu démocratique.
Les défis générés par l’utilisation des technologies dans la démocratie
L’espace numérique est le cadre dans lequel naissent et se déploient les technologies sans cesse grandissantes. Celles-ci connaissent une croissance exponentielle et impactent tous les secteurs de la société. En Afrique, les technologies ont été accueillies et présentées comme étant le levier de croissance économique, social, etc. du continent. Bien que cet état de fait ne soit pas erroné, il convient d’admettre dans le même temps que, ces technologies de par leur caractère immatériel, semblent insaisissables et exacerbent ainsi un ensemble de vulnérabilités observés dans la société. Ces vulnérabilités représentent des défis, des challenges considérables auxquels doivent faire face les Etats africains, impliqués dans les processus démocratiques, pour y garantir une utilisation efficiente des technologies.
La fracture numérique
La démocratie moderne repose sur l'accès équitable à l'information et à la participation citoyenne. Cependant, dans un monde de plus en plus connecté, la fracture numérique menace cette fondation démocratique en créant des inégalités d'accès à la technologie et à l'information. Cette disparité d'accès aux outils numériques crée des obstacles significatifs à la participation politique et à l'exercice des droits civiques pour de nombreuses populations à travers le monde et particulièrement en Afrique.
Il est important de prime abord de comprendre ce qu’est concrètement la fracture numérique, car elle est une notion pluridimensionnelle, avant de décrire en profondeur comment elle affecte le processus démocratique en Afrique. A cet effet, plusieurs auteurs ont depuis de longues années, contribué à la compréhension de ce concept en proposant des définitions assez concordantes de cette notion. La définition proposée par Michel Elie semble à la fois complète et assez explicite. Il définit la fracture numérique comme étant :
« une inégalité face aux possibilités d’accéder et de contribuer à l’information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités majeures de développement offertes par les TIC. [Il s’agit plus clairement d’un] (…) fossé numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison de facteurs socioéconomiques plus vastes, en particulier l’insuffisance des infrastructures, le cout élevé de l’accès, l’absence de formation adéquate, le manque de création locale de contenus et la capacité inégale de tirer parti, aux niveaux économique et social, d’activités à forte intensité d’information ». D’une manière encore plus explicite, Fulssack et al. abondent dans le même sens pour souligner que la fracture numérique est « le fossé entre ceux qui utilisent les potentialités des TIC pour leur accomplissement personnel ou professionnel et ceux qui ne sont pas en état de les exploiter, faute d’accès aux équipements et de sensibilisation ou de formation pour les maitriser convenablement. La fracture numérique revêt différentes formes et concerne à la fois l’accès, l’usage, le contenu et la prise de décision ». L’on peut aisément retenir de ces définitions que la fracture numérique est un concept qui décrit la disparité qui existe entre les pays, les populations, etc. tant pour ce qui concerne l’accès, l’usage, le contenu et même la prise de décision dans l’utilisation des technologies.
Il apparaît donc clair que c’est un phénomène qui constate les inégalités qui existent dans plusieurs domaines, entre les personnes. Or, l’explosion tant attendue des usages liés à l’IA est sur le point de renforcer la fracture numérique dans le monde. Il s’avère donc important de comprendre comment, de par ses dimensions ainsi évoquées, la fracture numérique participe à freiner l’efficience des technologies dans le jeu démocratique.
Les dimensions de la fracture numérique et l’impact dans la démocratie
Dans le contexte africain, la fracture numérique peut être constatée dans plusieurs domaines, lesquels impactent l’exercice du jeu démocratique. Sur la base des entretiens effectués et des travaux analysés, quatre domaines majeurs sont ressortis et mériteraient d’être présentés : la mise à disposition des infrastructures, la capacité d’acquisition, la capacité d’adaptation, le niveau de compétences.
- La mise à disposition des infrastructures
La problématique de la disponibilité des infrastructures se pose à deux niveaux principaux : D’une part, au niveau de la connexion aux grands réseaux de télécommunications internationaux (les liaisons satellitaires, câbles sous-marins qui relient les continents) afin de pouvoir communiquer avec le reste du monde. Comme le démontre Sagna, la complexité et l’imbrication des considérations d’ordre technique, financier, économique, mais aussi politique entravent le déploiement de ces infrastructures dans le contexte africain.
D’autre part, la disponibilité est à analyser à l’intérieur des pays africains, au niveau de leur lien étroit avec la configuration des infrastructures de base que sont les voies de communication et les réseaux de distribution d’eau et d’électricité. De ce fait, les populations habitant les zones rurales ou périphériques, difficiles d’accès ou peu peuplées, qui sont rarement desservies par ces infrastructures, se voient dans l’impossibilité d’accéder aux réseaux et services de télécommunications, et donc ont peu ou pas d’accès aux technologies. De plus, même dans les grandes villes où les infrastructures existent, la question de leur nombre et de leurs capacités techniques se pose avec acuité. Toutefois, il faut relever que depuis quelques années, l’accès aux infrastructures a été amélioré sur le continent africain par les gouvernements. En effet, selon une étude réalisée par Afrobarometer en 2022, la couverture par un réseau cellulaire est très répandue dans le continent. De nombreux pays ont en effet atteint le seuil de la couverture réseau quasi universelle (Maurice, Maroc, Botswana et Kenya), mais dans de nombreux autres pays africains, il existe des disparités importantes entre l’accès aux réseaux entre les zones urbaines et les zones rurales (les zones urbaines ont une longueur d'avance moyenne de 15 points de pourcentage sur les zones rurales pour la couverture réseau).
Il apparaît donc évident que le déploiement des technologies dans un tel contexte ne permettrait qu’à une seule frange de la population de participer au jeu démocratique, excluant de facto un certain type de population.
L’accès au réseau internet
Bien que les Etats africains fournissent de plus en plus des efforts considérables pour garantir à leur population une certaine couverture réseau, le défi majeur qui reste à affronter est celui de l’accès des citoyens à Internet. En effet, les technologies telles que l’IA, la Blockchain, le BigData, etc., ont en commun leur besoin d’Internet, et à un débit convenable.
Une enquête réalisée par Afrobarometer a permis de révéler qu’en 2022, sur 34 pays africains ayant fait l’objet d’enquête, 84% des personnes interrogées ont déclaré posséder un téléphone portable et 8% affirment que quelqu'un d'autre dans leur foyer possède un téléphone. Bien que ce taux de possession varie d’un pays à un autre (96% au Gabon pour 57% en Angola par exemple), il faut cependant retenir qu’il y a eu une énorme progression du taux de possession. Toutefois, pour bénéficier des avancées de l’IA ou de la Blockchain, il ne suffit pas de posséder un téléphone portable ou un ordinateur, mais il faut surtout que ces outils soient connectés à Internet.
Selon des données collectées auprès de l’agence Ecofin, le taux de pénétration d’Internet avoisinerait les 46% en 2023 et serait réparti ainsi qu’il suit:
Ces chiffres sont corroborés par l’enquête menée par Afrobarometer, laquelle en 2022 révélait déjà que, À peine plus de la moitié (45% sur 84%) des propriétaires de téléphones portables déclarent avoir accès à l'Internet sur leur téléphone. De même, pour ce qui concerne l’usage quotidien d’Internet, on observe des disparités importantes : Cet écart est le plus important par niveau d'instruction, avec une marge de 72 points de pourcentage entre l'usage fréquent de l'Internet chez les personnes ayant des qualifications post- secondaires (83%) et celles qui n'ont pas eu d'instruction formelle (11%). Les citadins (60%) sont deux fois plus susceptibles que les ruraux (24%) d'accéder régulièrement à Internet, et les jeunes (49%) sont trois fois plus susceptibles que les plus de 60 ans (16%) de se connecter. Le niveau de pauvreté est également fortement corrélé à l'usage de l'Internet : un écart de 38 points de pourcentage dans l'usage fréquent sépare ceux qui ne sont pas touchés par la pauvreté (66%) de ceux qui le sont fortement (28%).
Cela démontre ainsi la difficulté majeure qui est l’accès internet à tous, pour que les citoyens puissent pleinement être impliqués dans la démocratie numérique, à travers les réseaux sociaux et toutes les autres plateformes élaborées à cet effet. Et pourtant, la Banque mondiale estime qu’un taux de pénétration d’Internet de 75% dans les pays en développement pourrait créer 140 millions d’emplois.
Il convient toutefois de relever que, pour le cas particulier de la Blockchain, il existe des solutions alternatives permettant aux utilisateurs de ne pas dépendre d’Internet. En effet, il est par exemple possible d’utiliser des ondes radio, des satellites, ou des SMS, pour communiquer avec le réseau Bitcoin. Mais ces solutions ne sont pas sans risques, car elles sont réputées moins rapides, moins fiables et moins accessibles qu’Internet. De plus, elles nécessitent l’acquisition d’un matériel spécifique (antennes, téléphones, etc.) qui peut être coûteux et difficile à se procurer. Ajouté à cela, Matthieu Dumas ajoute le risque de fragmentation ou de fork du réseau, car selon lui, “ il est plus difficile pour les nœuds de se mettre d’accord sur l’état de la blockchain et de résoudre les conflits en cas de divergence. Il y a donc un risque de fragmentation ou de fork du réseau, qui pourrait compromettre la sécurité et la valeur du système.”
La capacité d’adaptation
Il est question ici de l’adéquation entre l’offre de services, les applications, les plateformes et les besoins réels et potentiels des populations. En effet, il ressort des entrevues réalisées que, les individus et particulièrement les africains, ont tendance à ne pas trouver les technologies utiles dans leur cadre de référence tant elles ne correspondent pas ou très peu à leurs attentes et à leurs capacités. C’est d’ailleurs ce que relevait Sagna quand il décrit que, dans les pays africains « il existe très peu de services en ligne utiles aux citoyens comme aux consommateurs, et les contenus locaux sont particulièrement rares. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que les TIC soient peu utilisées en dehors des applications de base que sont la bureautique, le courrier électronique, le chat et la navigation sur le Web ». C’est donc dire que les citoyens africains, pour la plupart, ont besoin de contenus locaux correspondant à leurs réalités. Bien plus, comme le précise J. Munga, “La reconnaissance vocale des langues africaines, dans un contexte de présence de l’illettrisme, peut aider à combler le fossé numérique et linguistique.”
Dans la réalité actuelle, sur plus de 7.000 langues parlées dans le monde, seules quelques centaines bénéficieront des outils de reconnaissance vocale et, plus largement, de l’ensemble des technologies d’IA. De même, malgré les avancées numériques, Internet ne parle couramment aucune des 2000 langues parlées en Afrique, ce qui fait que plus de 53 % des africains sont numériquement exclus. Pour fonctionner correctement, ces services nécessitent d’être nourris de données locales de qualité. Encore faut-il que ces dernières existent en quantité suffisante et qu’elles soient correctement annotées. Ces deux conditions ne sont pourtant pas remplies pour les pays émergents qui souffrent déjà d’un manque d’accès à la connectivité, pourtant essentiel à leur croissance économique.
Des pays comme la RCA en sont des exemples parlants, où seulement 29% de la population s’exprime en français, la langue annoncée comme officielle. Des technologies développées dans le cadre des élections par exemple en français ne leur seraient pas utiles, même si les citoyens réussissent à acquérir ces outils. Le principal défi serait donc de parvenir à la création ou la traduction au format audio et textuel, des interfaces, des logiciels, applications et contenus existants, en langues locales. C’est pourtant le défi que s’est lancé le nigérian Yinka Iyinolakan avec la création de CDIAL, qui a pu toucher des millions de personnes au Nigéria. CDIAL est une application qui propose ses produits et services révolutionnaires basés sur l'IA dans des langues africaines telles que le haoussa, l'igbo, le pidgin, le swahili, le xhosa et le yoruba ; aux décideurs politiques, aux créatifs, aux touristes, aux éducateurs, aux entreprises et aux monoglottes. L’on peut aussi mettre en lumière la startup togolaise Makifaa, cofondée par Charles Dzadu, qui se veut la première plateforme de ventes d’images, d’illustrations et de modèles graphiques typiquement africains pour la mise en valeur du patrimoine culturel africain. La startup vient de lancer un nouveau service pour créer des images artificielles qui correspondent mieux aux réalités africaines, afin d’éviter les clichés sur le continent et combler ainsi le vide laissé par les principales plateformes de création d’images virtuelles lorsqu’il s’agit de l’Afrique.
Le niveau de compétence
Pour utiliser les TIC et pouvoir participer au jeu démocratique « numérique », le minimum pour les populations est de posséder les connaissances de base à savoir la lecture et l’écriture. Or en Afrique, le classement des Etats d’Afrique par taux d’Alphabétisation fait état de plusieurs pays possédant un taux d’alphabétisation assez bas, rendant une grande partie de la population inapte à l’utilisation des technologies. Or, de nos jours, l’analphabétisme ne fait plus seulement référence à l'incapacité de lire et d'écrire. Eu égard aux avancées technologiques, on peut décliner d’autres formes, notamment
- l’illectronisme ou l’analphabétisme numérique: c’est l’incapacité qu’affiche des personnes qui ne maîtrisent pas les connaissances et les codes du langage et du matériel numériques, et dont l’aptitude d’usage est insuffisant pour leur permettre d’en tirer un bénéfice personnel ou d’exercer leur rôle de citoyen ; voire même, les écartent de divers domaines de la vie sociale.
Depuis quelques années, l’on a observé une forme d’analphabétisme en matière d’IA et des autres technologies. Cela se manifeste par exemple par le faible taux de pénétration des réseaux sociaux en Afrique, particulièrement en Afrique centrale, comme l’illustre la figure suivante :
Figure 3 : taux de pénétration des réseaux sociaux en Afrique
source:https://chedjoukamdem.com/2023/02/17/chiffres-reseaux-sociaux-afrique-2023/
L’on constate que l’Afrique centrale a le taux le plus bas de pénétration et donc d’utilisation des réseaux sociaux en Afrique, soit 7,4%
Il en est de même pour les utilisateurs de la Blockchain en Afrique. En effet, malgré son accélération sur le continent, l’utilisation de la cryptomonnaie reste l'apanage d’une faible minorité. Pour une population totale d’1 440 000 000, le nombre d’utilisateurs de cryptomonnaie s’élève à environ 55 000 000, soit environ 3,8%. Cet état de fait s’explique par le manque de connaissances de base dans le domaine, le faible taux d’alphabétisation (l’utilisation des applications demandent de savoir lire), le manque de maîtrise des langues étrangères, le manque de maîtrise des mathématiques, un minimum de connaissances en informatique, etc.
Il est donc clair que, outre les connaissances de base, l’observation du continent africain, malgré les avancées considérables réalisées, révèle que les citoyens ont le défaut de compétence dans le domaine des TIC. Or, pour parvenir à une utilisation efficiente des technologies de la démocratie, les compétences qui font défaut aux africains sont les compétences techniques, génériques et socio -culturelles, telles que conceptualisées par Vodoz et Reinhard.
Le coût élevé des technologies
Le coût élevé des technologies représente un défi majeur dans le contexte démocratique. En effet, il se manifeste de plusieurs façons :
- Coût d’acquisition élevé
Dans le domaine de l’intelligence artificielle, l’urgence est avant tout à explorer les nouveaux paradigmes de la technologie. Une approche qui nécessite d’énormes puissances de calcul et d’importantes capacités de stockage. De ce fait, les investissements nécessaires pourraient être assez lourds à supporter pour certains pays africains. Néanmoins, certains pays africains ont relevé le défi à l’instar du Maroc et du Bénin. L’exemple du Bénin est à relever car il a procédé à des investissements assez importants dans le domaine et a mis en place une stratégie de développement de l’intelligence artificielle et des mégadonnées, d’un montant prévisionnel de quatre milliards six cent quatre-vingts millions Fcfa (4 680 000 000), sur une période de cinq ans. Cela représente des coûts colossaux, que les pays dits en voie de développement semblent réfractaires à dégager, pour le développement de l’IA et des autres technologies.
Par ailleurs, dans le déroulement des campagnes électorales, l’utilisation des technologies liées à l’IA est onéreuse. Qu’elles se déroulent physiquement ou virtuellement, la réalisation de campagnes politiques engendre des coûts élevés. Dans le domaine numérique, les dépenses auxquelles peuvent faire face les candidats sont relatives à l’achat du matériel informatique et des technologies à la pointe, mais aussi des dépenses considérables pour les publicités en ligne, les stratégies de médias sociaux et autres formes de communication numérique. Il est aussi à relever qu’il est indispensable de pouvoir engager des ressources humaines capables de manier efficacement ces technologies et de les rémunérer convenablement. Or, insidieusement, cela crée un avantage pour les candidats et les partis politiques ayant accès à des ressources financières importantes, limitant ainsi la concurrence électorale et la diversité des voix politiques.
- Les coûts et entretien des machines
Les gouvernements doivent souvent investir des sommes importantes dans l’infrastructure technologique pour fournir des services en ligne, faciliter les processus électoraux et garantir la sécurité des données. En plus, le coût élevé de l’entretien des machines et de l’actualisation des logiciels présente également des défis certains pour des pays dits en voie de développement et endettés. A titre d’exemple, l’on peut citer le cas de la RDC qui a brillé par sa capacité à réaliser des élections presqu’entièrement numériques. En effet, dans un pays comme la RDC, où le corps électoral est évalué à 40 millions de personnes, l’enregistrement biométrique des électeurs et le système de transmission des résultats ont coûté plus de 430 millions USD lors des élections de 2018-2019. Cela revient à 263 milliards et 805 millions de Francs CFA (263 805 000 000 Fcfa).
De plus, dans le même pays, en plus de la phase de l’enregistrement biométrique des électeurs et la transmission des résultats, le gouvernement a procédé à l’achat d’un peu plus de 100 000 machines de vote auprès de la société Miru Systems, pour un montant de 176 millions USD, soit une équivalence de 107 milliards et 976 millions de Francs CFA.
C’est montrer à quel point l’utilisation des technologies dans le processus démocratique peut s’avérer extrêmement coûteux pour les gouvernements africains.
La crédibilisation des acteurs du jeu démocratique
Un autre défi considérable auquel font face les technologies dans la démocratie, c’est celui du manque de confiance accordée aux acteurs chargés de l’implémentation de ces technologies. Deux exemples concrets permettent d’illustrer cet état de fait
- Le cas de la Namibie
La Namibie est le premier pays à avoir organisé le premier vote entièrement électronique sur le continent africain à l’occasion des élections générales, présidentielles et législatives, du vendredi 28 novembre 2014. La Commission électorale namibienne, qui avait déjà testé ses machines à voter (MAV) lors de scrutins locaux, a déployé le jour du vote 4 000 MAV conçues et achetées en Inde pour recueillir les votes de 1 200 000 électrices et électeurs répartis dans tout le pays. Malgré une population majoritairement jeune, donc habituée à manier claviers et écrans, le temps de vote s’est élevé à 11 minutes en moyenne, provoquant d’importantes files d’attente et retardant l’ensemble des opérations de vote. Sans grand enjeu politique du fait de la domination qu’exerce la SWAPO sur la vie politique du pays depuis 1990, cette première africaine n’a soulevé que peu de contestations. Toutefois, réutilisée en 2019 dans un contexte politique cette fois beaucoup plus tendu, la MAV namibienne a fait l’objet de critiques plus sévères ; les candidats à la présidentielle arrivés en seconde et troisième positions derrière le Président sortant, MM. Panduleni Itula, dissident de la SWAPO, et Bernardu Swarbooi, du Mouvement des sans-terre (LPM), ont dénoncé des fraudes, critiquant notamment l’absence de bulletins de vote sur papier qui serait, selon eux, de nature à augmenter la fraude.
- Le cas de la RDC
En République démocratique du Congo, les conditions d’acquisition de la MAV ont fait l’objet de graves accusations en 2018. Les experts de la Fondation Westminster pour la démocratie (WFD) qui l’ont auditée l’ont considérée robuste et fiable, tout en faisant une quinzaine de recommandations pour en améliorer et en sécuriser le fonctionnement. Mais même si une partie des électeurs et les plateformes nationales d’observation l’ont mise hors de cause, la machine à voter congolaise reste, aujourd’hui, mise en accusation par les responsables de l’opposition et de nombreux experts dans une série de dysfonctionnements ayant contribué au désordre électoral général de décembre 2018.
Tout récemment encore, les élections de 2023 ont fait couler beaucoup d’encre. Les MAV ont été remplacées par les DEV (dispositifs électroniques de vote). l’organisme chargé du contrôle, la CENI a assuré bien avant les élections que tout était fait de manière à assurer le bon déroulement des élections. Toutefois, les électeurs ont fait face à de nombreuses difficultés, surtout dans l’Est du pays. C’est ce qui a sans doute motivé le communiqué du CENCO à la suite du déroulement du scrutin. Ainsi dans ce communiqué, la conférence épiscopale indique qu’il y a 31,37% de bureaux de vote qui n’ont pas ouvert à l’heure, 45,1% de bureaux de vote où le dysfonctionnement du DEV a causé l’interruption de vote, 9,8% de bureaux de vote où les observateurs ont été interdits d’accès, 7,84% de bureaux de vote qui ont enregistré des cas de violence, dont 5,88% de cas de bureaux de vote saccagés, 3,92% de bureaux de vote où le scrutin a été perturbé par la pluie, 1% de bureaux de vote où les électeurs admissibles au vote ont été empêchés de voter.
Ce faisant, les résultats annonçant Félix Tshisekedi réélu avec 73,34 % des votes, ont fait l’objet de vives contestations de la part des leaders de l’opposition congolaise. Ces derniers ont appellé leurs compatriotes au rejet des résultats publiés par la CENI, appel qui n’a donné lieu à aucune manifestation publique de la part de la population.
Il faudrait quand même relever que, en dépit de ces deux expériences aux résultats contrastés, il semble bien que les gouvernements et les commissions électorales en Afrique, regardent de plus en plus le vote électronique comme une réponse concrète et durable aux défis auxquels ils se trouvent confrontés au moment d’organiser des élections. Le défi ou l’enjeu majeur reste donc celui de sécuriser ces outils, d’assainir leur cadre d’utilisation (acteurs, institutions en charge de leur manipulation), d’assurer la transparence dans leur utilisation, ainsi que celle des autres technologies utilisées, afin de les rendre crédibles et utilisables aux yeux de tous les acteurs du jeu démocratique.
- La régulation / la révision des lois
La régulation est admise aujourd’hui comme étant la pierre angulaire de la « démocratie numérique ». En effet, l'avènement des technologies numériques a révolutionné la façon dont les sociétés fonctionnent, communiquent et prennent des décisions. Dans ce contexte en constante évolution, la régulation et la révision des lois deviennent un enjeu majeur pour assurer que ces technologies sont utilisées de manière éthique et équitable dans le cadre démocratique. Le challenge touche notamment les domaines suivants :
Protection des données personnelles et de la vie privée
L'une des préoccupations centrales de la démocratie numérique concerne la protection des données personnelles et la vie privée des citoyens. Les progrès rapides de la technologie ont créé de nouveaux défis en matière de confidentialité, de sécurité et de gestion des données. Une législation robuste est nécessaire pour garantir que les droits individuels sont protégés dans le paysage numérique complexe d'aujourd'hui. Bien plus, il est nécessaire de légiférer sur la responsabilité des acteurs qui sont chargés de la collecte et du traitement de ces données. C’est d’ailleurs ce que relève Saida Belouali quand elle affirme l’importance de la régulation de l’IA, du Bigdata et des technologies de la Blockchain en Afrique. Ainsi, reconnaissant l'inexistence de lois spécifiques dans ces domaines, elle affirme qu’ « aujourd’hui en Afrique, les pays ne disposent pas d’une loi dédiée spécifiquement à l’encadrement de l’IA et que les obligations à ce sujet relèveraient de réglementations diverses. Des législations peuvent s’appliquer à l’IA, spécifiquement celles qui couvrent le spectre des droits humains. » Or, en attendant une “AI Act africaine”, elle assure que « les cyberlois, en l’occurrence et tout particulièrement, les lois relatives à la protection des données à caractère personnel, sont utiles et peuvent répondre à des situations en lien avec l’IA en attendant de disposer d’un cadre global dédié à l’IA, si les pays le souhaitent. » S’agissant des lois relatives à la protection des données à caractère personnel, plusieurs pays africains ont compris l’urgence d’en adopter une, comme l’illustre la figure suivante:
Figure 4 : Panorama des pays disposant d’une loi dédiée à la protection des données en Afrique
Près d’une dizaine de pays traînent encore le pas en n’ayant aucune loi dans ce sens ou en se contentant d’un projet de loi sur cette problématique.
Sur le plan régional, le principal instrument continental africain présentant un intérêt pour l’IA est la Convention de l’Union africaine de 2014 sur la cyber-sécurité et la protection des données à caractère personnel (appelée communément la Convention de Malabo). Néanmoins les pays africains semblent être à la traîne, quant à la ratification d’un texte d’une telle envergure. C’est d’ailleurs ce qu’illustre la figure suivante:
Figure 5 : Pays ayant signé et ratifié la Convention de Malabo
L’on observe que 13 pays seulement ont à ce jour ratifié la Convention, tandis qu’une dizaine l’a signée. Or, les défis que posent les technologies telles que l’IA, sont à embrasser de façon communautaire et non pas individuelle, eu égard aux effets produits. Les Etats devraient donc ratifier cette Convention qui servirait de base pour la régulation. En attendant, il convient toutefois de relever avec le Professeur Belouali, que, « sur le continent, des pays ont adhéré à la Recommandation sur l’éthique de l’IA de l’UNESCO, qui est un cadre normatif holistique ancré sur 10 principes couvrant les droits fondamentaux. La Recommandation permet aux pays de gouverner l’IA en déclinant les principes dans des champs d’actions divers ». La nature juridique de la Recommandation exige pourtant que, malgré son importance, un texte de nature contraignante soit adopté par l’ensemble des pays africains.
Transparence et responsabilité
Dans une démocratie, la transparence et la responsabilité des institutions gouvernementales sont essentielles. L'utilisation de technologies telles que l'intelligence artificielle et les algorithmes de prise de décision soulève des questions sur la manière dont les décisions sont prises et sur la possibilité pour les citoyens de comprendre et de contester ces processus. Des lois claires et transparentes sont nécessaires pour garantir que les décisions prises par les gouvernements et les entreprises sont équitables, impartiales et responsables.
Éthique, Équité et accès
L'accès équitable aux technologies et à l'information est un principe fondamental de la démocratie. Cependant, les disparités économiques et sociales peuvent créer des inégalités dans l'accès aux technologies numériques et dans la capacité des individus à participer pleinement à la société numérique. Une révision des lois est nécessaire pour promouvoir l'équité et garantir que tous les citoyens ont un accès égal aux ressources et aux opportunités numériques.
En outre, l’utilisation de l’IA, couplée au BigData et de la Blockchain pose des problèmes éthiques considérables. Jérôme Ribeiro, président-fondateur d’Human AI, estime à cet effet que « l’éthique représente le défi de l’avenir de l’humanité dans le domaine de l’IA… Nous devons veiller à ce que nos technologies progressent dans le respect de la dignité, de l’équité et de l’autonomie individuelles, éléments qui doivent rester au cœur de toutes nos avancées ». Explicitant sa pensée, Saida Belouali a affirmé que « Au-delà des scénarios apocalyptiques, les technologies intelligentes présentent des menaces réelles sur les emplois, sur les droits fondamentaux et les libertés individuelles. L’IA est certes un facteur inestimable pour la compétitivité élargissant l’horizon des possibilités économiques et sociétales, mais elle peut également être à l’origine de pratiques intrusives et discriminatoires qui nécessitent des restrictions strictes ». Tout cela montre à quel point il faut préconiser la vigilance éthique et légale pour un environnement technologique respectueux des droits humains. Pour cela, les experts interrogés en entretien prônent la remise de l’humain au cœur des innovations. De ce fait, les innovations programmées en IA ou dans d’autres domaines, doivent se conformer aux exigences morales et légales et leurs concepteurs doivent veiller à ne pas porter atteinte aux droits humains et aux libertés individuelles.
Sur ce point, il faut saluer la prouesse effectuée par la Conférence de l’Unesco sur l’éthique en 2022, car elle a réussi à faire adopter un texte par 193 Etats membres.
- La prise en compte des nouvelles mesures technologiques
La plupart des législations africaines datent et semblent obsolètes, au regard de l’évolution exponentielle et du dynamisme des technologies. Dans le domaine des élections électroniques par exemple, il est à constater que, la nécessité de disposer d’une base législative nationale exhaustive et détaillée se trouve encore renforcée par le fait qu’il n’existe toujours pas de standards internationalement reconnus permettant d’encadrer des opérations de vote électronique. Or, l’important est dans un premier temps d’introduire dans la législation, les nouvelles mesures technologiques adoptées. Les pays africains devraient adapter la base législative (loi électorale) au contexte nouveau créé par l’introduction de nouvelles technologies. Cela concerne la terminologie employée dans le texte, mais aussi toutes les procédures et les règles pratiques qui garantissent à chaque phase du processus électoral l’application des principes de base que sont la transparence des opérations, la liberté et la sincérité des votes et, enfin, la crédibilité des résultats.
A titre d’exemple, le Cap-Vert, pour sa part, a introduit dans sa loi des dispositions concernant l’utilisation des nouvelles technologies, notamment pour l’inscription des électeurs, pour la gestion des scrutins et des résultats. Par ailleurs, la législation du Cap-Vert prévoit depuis 1999 la possibilité d’utiliser le vote électronique et l’identification biométrique de l’électeur lors du vote.
De ce qui précède, il ressort que l’utilisation des technologies est confrontée à plusieurs défis dans la démocratie dans le monde en général et en Afrique en particulier. Néanmoins le plus grand de tous reste celui de la diminution des risques induits par les technologies dans le processus démocratique.
- Les enjeux et dangers de l'utilisation des technologies dans la démocratie par les citoyens et la société civile
Il s’agit ici, de décrire et expliciter les dangers et déviances créés par l’utilisation des technologies dans le jeu démocratique par les citoyens et les organisations de la société civile. En effet, l’évolution rapide des nouvelles technologies induit un certain nombre de vulnérabilités qui fragilisent également la démocratie aussi bien au niveau des citoyens que des organisations de la société civile.
- La surveillance et le contrôle
Quatorze pays africains utilisent actuellement la surveillance par l’IA sous une forme ou une autre, que ce soit pour les villes intelligentes, la reconnaissance faciale et/ou les activités de police intelligente. Il existe également de nombreuses preuves que les forces de sécurité des États utilisent des outils d’IA sur les champs de bataille. En réalité, dans plusieurs pays confrontés à la menace terroriste, les forces de sécurité de l’État utilisent l’intelligence artificielle pour cibler et surveiller les communautés minoritaires, les opposants politiques et les journalistes. Les implications – ou menaces – d’une surveillance par IA de niveau militaire déployée contre les citoyens sous prétexte d’opérations de lutte contre le terrorisme et de prévention du crime sont graves et peut mettre en péril les libertés, les droits et la participation à la politique établis. Il n’existe à ce sujet pas encore de réglementations imposant des utilisations strictes et étroites des produits de surveillance de l’IA de qualité militaire et une surveillance indépendante notamment pour préserver la vie privée.
La tentation est grande, même dans les démocraties, avec le développement de nouvelles technologies, de procéder à des formes de surveillance numérique mettant en cause la liberté individuelle ou le respect de la vie privée. Même l’un des inventeurs d’internet, Tim Berners-Lee déclare, en 2019 que « sa création révolutionnaire lui a échappé, car à l’heure du Big Data, on assiste à un véritable casse mondial sur nos vies privées ». Cette surveillance est facilitée par de nouvelles technologies malléables aussi à cet usage, y compris de manière très discrète, comme la reconnaissance faciale. Les justifications de ces usages ne manquent pas au nom de la sécurité, la lutte contre le terrorisme ou contre une pandémie. Mais peu importe la raison avancée, il est clair que la surveillance technologique présente plusieurs dangers pour la démocratie.
- Intelligence Artificielle et surveillance de la vie privée privée
Premièrement, elle peut compromettre les droits fondamentaux à la vie privée, à la liberté de circuler et à la liberté d’expression des citoyens. Lorsque les gouvernements ou les entités privées surveillent de manière excessive les activités en ligne ou hors ligne des individus, cela peut créer un climat de peur et d’autocensure, sapant ainsi la libre expression et le débat démocratique. Pourtant, c’est cette voie que semble avoir choisi d’emprunter les gouvernements africains. Depuis 2019, plus d’une dizaine de pays africains ont opté pour l’installation d’un réseau de caméras de surveillance dans l’étendue de leur territoire. Les systèmes de surveillance par caméras de rue de Huawei, couplés à des logiciels de détection de comportements et de reconnaissance faciale, séduisent malgré tout de plus en plus de décideurs politiques. L’Algérie, l’Egypte, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Rwanda, la Zambie, etc. ont signé des contrats avec l’entreprise Huawei pour l’installation de ce réseau de surveillance dans leurs villes respectives. L’entreprise Huawei a couvert par exemple le centre de Nairobi de ses caméras de surveillance par intelligence artificielle, tout comme Kampala, la capitale de l'Ouganda. Cette dernière est désormais sous surveillance automatisée par les CCTV (caméras de télévision en circuit fermé, terme technique pour les réseaux de caméras urbaines de surveillance) chinoises à 85%, selon les autorités.
Les algorithmes installés dans ces technologies ont pour mission de collecter le moindre fait et geste des populations, jusqu’à la démarche de chacun, de façon à pouvoir même identifier ce que cette personne faisait et où elle se trouvait par exemple deux semaines auparavant. Le journaliste Simon Allison résume très bien cela en ces termes : "Leur vision s'articule autour de la surveillance, de l'intelligence artificielle et des réseaux de communication 5G, créant ainsi un monde où chacun de vos mouvements est suivi, enregistré et consultable."
- Intelligence Artificielle et répression des libertés fondamentales
Deuxièmement, la surveillance technologique peut être utilisée pour restreindre les droits des citoyens, en particulier ceux des groupes marginalisés ou dissidents. Les régimes autoritaires utilisent souvent la surveillance pour identifier, harceler ou réprimer les opposants politiques, les militants des droits de l'homme et les journalistes indépendants, compromettant ainsi la capacité des citoyens à participer pleinement à la vie démocratique. C’est notamment la suspicion qui avait pesé sur les gouvernements Ougandais et Zambien, qui étaient accusés de s’être alliés au groupe chinois Huawei afin de récupérer les informations clés sur les opposants politiques.
En Ouganda, la police avait investi 126 millions de dollars dans son réseau de caméras de surveillance par reconnaissance faciale auprès de Huawei. Les opposants ougandais n’ont pas tardé à déclarer leur mécontentement, à l’instar de Ingrid Turinawe, une dirigeante du Forum for Democratic Chang, le plus grand parti d’opposition ougandais, qui a affirmé à cet effet que : "Le projet de vidéosurveillance [ougandais] n’est qu’un outil pour nous suivre, nous chasser et nous persécuter".
Mais au-delà des persécutions et du contrôle, il est à relever que les données des différents pays sont aujourd’hui traitées par le régime chinois. L'ONG américaine Freedom House, a d’ailleurs accusé la Chine et ses entreprises de poursuivre une politique d’ « expansionnisme techno-dystopique » car pour cette organisation, "les autorités chinoises vendent aux responsables politiques locaux non seulement des produits pour contrôler leurs sociétés, mais également une vision de la manière de construire un État prospère et stable sans devoir céder le pouvoir aux citoyens." Ce qui constitue une menace réelle pour la démocratie. La figure suivante indique le type de menaces et de contrôle exercés par les gouvernements en Afrique.
Figure 6 : type de menaces et de contrôle exercés par les gouvernements en Afrique
Source : The African Digital Rights Network, 2021 site web de The African Digital Rights Network, https://www.africandigitalrightsnetwork.org/.
- La manipulation de l’opinion publique
Les algorithmes de recommandation et les plateformes de médias sociaux peuvent être exploités pour propager de la désinformation, manipuler les opinions et influencer les élections, sapant ainsi la crédibilité des processus démocratiques. C’est cet état de fait qu’a conceptualisé Henri Oberdorff en le présentant comme « l’amplification de la démocratie des émotions ». En effet, le numérique facilite l’amplification des contestations. On l’a observé à travers de nombreuses initiatives récentes au Sénégal par exemple avec les vagues de protestation contre le report des élections. Le droit de manifester s’est encore plus concrétisé.
Toutefois les réseaux sociaux sont le réceptacle sans limite des émotions, des frustrations, des fausses nouvelles et souvent des discours de haine. L’usage des réseaux sociaux ne permet pas forcément de débattre en s’appuyant sur la raison mais de se valoriser, de s’affronter et même d’affirmer des contre-vérités. La propagation très rapide de fausses informations alimente ce que certains appellent le séparatisme numérique. Les usages des réseaux sociaux se révèlent alors d’une certaine manière anti-démocratique. De ce point de vue, l’utilisation de Twitter par le président des États-Unis diffusant de fausses informations, pendant de nombreuses années, est exemplaire. Mais, il a fallu attendre la fin de son mandat pour que l’opérateur l’exclut de son compte numérique. Cela pose alors la question de la place de ces opérateurs numériques qui ne se considèrent pourtant pas comme des médias.
En Afrique, l’on a pu observer des cas de désinformation qui ont influencé le bon déroulement des élections et ont constitué ainsi des entraves à la démocratie. Ainsi, les campagnes de désinformation influencent de manière croissante les processus électoraux et leurs résultats en Afrique comme dans le reste du monde. Une enquête a montré par exemple que 87 % des Kényans interrogés avaient été confrontés à la désinformation au cours de la période précédant l’élection présidentielle de 2021. Aussi, en Ouganda en 2020, Facebook a procédé au retrait de 32 pages, 220 comptes d’utilisateurs, 59 groupes, et 139 profils Instagram, créés pour promouvoir le président ougandais Yoweri Museveni et son parti au pouvoir le, National Resistance Movement (NRM). Ces derniers ont utilisé des faux comptes, des doublons et des pages trompeuses pour cibler et orienter le débat public en faveur de leur candidat.
Par ailleurs, instiller la peur de la violence en diffusant de fausses informations pour faire baisser le taux de participation dans les zones favorables à un adversaire politique est une pratique courante, comme en Côte d’Ivoire lors de l’élection présidentielle de 2020. Ces dernières années, l’utilisation de bots s’est accrue et est devenue plus sophistiquée. Lors de l’élection de 2018 au Nigéria, des enquêtes ont montré qu’un assistant présidentiel était impliqué dans la diffusion de campagnes de diffamation contre le leader de l’opposition, Atiku Abubakr, en publiant des images et des informations falsifiées, par exemple en alléguant que ce dernier était impliqué dans des campagnes de vente d’enfants des rues.
Tous ces exemples illustrent le danger des technologies de l’IA dans la démocratie. Les citoyens malheureusement n’ont pas toujours la capacité de déceler le vrai du faux et se laissent le plus souvent manipuler, parfois au détriment de leurs propres convictions.
- La vulnérabilité aux cyberattaques
La révolution numérique impacte l’ensemble du fonctionnement de nos démocraties avec de nombreuses conséquences dans tous les domaines. En effet, nous sommes à l’ère du stockage à grande échelle de très nombreuses informations personnelles (BigData) sur les consommateurs, mais aussi sur les citoyens et les administrés. D’un côté, cela accélère de nombreuses procédures par exemple sur le plan administratif ou fiscal, mais d’un autre côté, cela augmente les fichiers informatiques et les traitements automatisés susceptibles d’être détournés de leur usage normal. On dénonce de plus en plus les cyber-attaques ou le cyber-espionnage, y compris entre les États. Cela suppose une nouvelle culture de la sécurité pour le monde numérique. Les systèmes d’IA peuvent être vulnérables aux attaques malveillantes, et il est crucial de mettre en place des normes éthiques pour guider le développement et l’utilisation de ces technologies.
En effet, l’on observe de plus en plus d’abus, sans que la vigilance des acteurs ne soit alertée. Au Kenya par exemple, des applications de crédit prêtent des fonds selon de hauts intérêts sans évaluer la solvabilité des emprunteurs, et récoltent massivement les données de ceux-ci, telles que la localisation, les messages textes, les contacts et l’historique d’appels, etc. Toutes cette masse de données collectées, si elles ne sont pas correctement sécurisées, permettent aux cyber-criminels de pouvoir se livrer à des activités répréhensibles telles que le phishing, le scaming, etc. Ainsi, la dépendance croissante aux technologies expose les infrastructures à des risques de cyberattaques, ce qui pourrait perturber les processus démocratiques et compromettre la confiance du public dans les institutions.
Bien plus, il convient de relever que, cette vulnérabilité aux cybers attaques est exacerbée par :
- Défaut de consentement des populations
L’Afrique est ciblée par les entreprises pour le « test bêta » de leurs innovations. Des populations qui ne sont pas toujours en mesure de donner un consentement libre et éclairé font office de cobayes. A titre d’exemple, l’on peut relever le cas de l’entreprise spécialisée dans le profilage psychologique et idéologique, Cambridge Analytica qui a ainsi testé sa capacité d’influence politique au Nigéria et au Kenya avant de s’attaquer au chantier de l’élection de Donald Trump, aux États-Unis.
Or, le non-recueil de consentement des populations, outre le fait que cela constitue une violation des droits de ces populations, peut entraîner une collecte excessive de données personnelles, ce qui augmente la surface d’attaque des cybercriminels. Cela peut également entraîner une mauvaise gestion des données, y compris un stockage inapproprié ou laxiste. Ce qui rendrait ces données accessibles en cas de violation de sécurité et fuite de données. C’est donc croire avec Oberdorff que l’on assiste à une réelle « déstabilisation de valeurs comme l’identité des personnes, la vie privée, les libertés individuelles ou la propriété intellectuelle » provoquée par les technologies électroniques et numériques.
Or, l’un des premiers enjeux de la démocratie numérique est celui de la protection des données personnelles des individus et la garantie de leur droit à la vie privée. Lorsque des algorithmes sont utilisés pour collecter, analyser ou traiter des données, il est essentiel de garantir que ces données sont protégées contre les accès non autorisés et les abus. Cela implique souvent de mettre en place des mesures de sécurité robustes, telles que le chiffrement des données, la gestion des accès et des autorisations, et le respect des réglementations en matière de protection des données personnelles.
- Exposition des utilisateurs aux crypto-arnaques
La Blockchain est communément perçue comme synonyme d’inviolabilité et de sécurité à toute épreuve. En effet, fondée sur les principes de décentralisation, de transparence et de sécurité, elle se présente comme étant une technologie sûre pour les citoyens et les entreprises. Toutefois, elle pourrait contenir des vulnérabilités, notamment quant à l’application dans le domaine de la cryptomonnaie. Comme le souligne le MIT Technology Review, les technologies blockchain sont « particulièrement attractives aux pirates car elles empêchent d’annuler les transactions financières frauduleuses a posteriori, comme on peut le faire avec les systèmes financiers traditionnels ».
En 2020, la plus grande arnaque aux cryptomonnaies s’est déroulée en Afrique du Sud et avait été perpétrée par Mirror Trading International. Liées par un système de Ponzi, des centaines de milliers de victimes se sont vues escroquer l’équivalent de 588 millions de dollars américains en bitcoins. Toujours en Afrique du Sud, une fraude à la cryptomonnaie plus importante encore a eu lieu en avril 2021, commise cette fois par une entreprise appelée Africrypt, dont les deux fondateurs auraient volé 3,6 milliards de dollars à des investisseurs, en l’espace de quelques heures seulement.
Par ailleurs, les deux principaux types de crypto-criminalité signalés en Afrique sont les attaques par rançongiciel et les arnaques aux cryptomonnaies, ce qui constitue également des dangers importants à la mise en oeuvre d’une gouvernance démocratique efficace.
- La centralisation du pouvoir
Le risque de centralisation du pouvoir induit par l’utilisation des technologies peut être observé à travers le déploiement de la Blockchain. En effet, la caractéristique la plus importante de la blockchain est sa décentralisation. Contrairement aux bases de données traditionnelles qui sont généralement stockées sur un serveur centralisé, la blockchain est distribuée sur un réseau de nœuds informatiques. Chaque nœud contient une copie de la blockchain complète, ce qui garantit que les données sont disponibles et vérifiables pour tous les participants du réseau.
La sécurité de la blockchain repose donc sur son architecture décentralisée et sur des mécanismes de consensus, tels que la preuve de travail ou la preuve d'enjeu, qui garantissent l'intégrité des données et empêchent la falsification des transactions. De plus, la cryptographie utilisée dans la blockchain garantit la confidentialité et l'authenticité des informations stockées. Ainsi, la blockchain est principalement connue pour être la technologie sous-jacente des crypto-monnaies comme le Bitcoin et l'Ethereum, mais elle a également de nombreuses autres applications dans des domaines tels que la logistique, la gestion des chaînes d'approvisionnement, la santé, les services financiers et bien d'autres. Elle est souvent considérée comme un outil révolutionnaire pour transformer les processus commerciaux en rendant les transactions plus efficaces, sécurisées et transparentes.
De par cette description, l’on comprend aisément que, la blockchain, bien que présentée comme décentralisée, peut également conduire à une concentration du pouvoir entre les mains de quelques acteurs influents, compromettant ainsi la transparence et la reddition de comptes. Au Nigeria, le Bitcoin a été utilisé par exemple pour envoyer des fonds obtenus par la corruption à l'extérieur du pays, et pour le blanchiment d'argent.
Par ailleurs, il faudrait rappeler que le numérique peut se révéler largement oppressif, formant peu à peu une nouvelle possibilité d’asservissement des citoyens. D’une démocratie « douce », on semble passer à une forme de démocratie « surveillée », dont le pouvoir est détenu par une catégorie de personnes, une sorte de « dictature douce » et consentie par les internautes insouciants et irresponsables, par laquelle la liberté d’utilisation se transforme en un redoutable instrument de répression et de contrôle portée par la « cybersurveillance ».
- Les défis générés par les géants de la technologie
Il est un acteur majeur assez inattendu dans le jeu démocratique mais qui aujourd’hui se présente comme incontournable dans la démocratie numérique. Il s’agit des concepteurs et fournisseurs des technologies, désignés comme les grands géants de la technologie. Il peut s’agir des fournisseurs d’IA (Deepmind, C3.ai, Nice, OpenAI, Amazon, Meta, etc.), des fournisseurs de Bigdata (Amazon, Microsoft, Google, Quantum, Dell, IBM, Hitachi, Huawei, etc.) , des fournisseurs de Blockchain (Alibaba, IBM, Hewlett, Oracle, SAPE, etc.), mais aussi de toute autre entreprise dans le monde qui constitue une puissance en matière technologique.
Ces entreprises, à travers les technologies qu’elles proposent génèrent elles aussi des vulnérabilités pour la démocratie, liées à ces technologies et comportant des risques pour les Etats et les citoyens.
- L’existence des biais algorithmiques
Les systèmes d'intelligence artificielle peuvent perpétuer des préjugés existants et amplifier les inégalités, en particulier dans des régions où l'accès à l'information et à l'éducation est limité. Les biais algorithmiques dans la démocratie numérique se réfèrent aux préjugés ou aux distorsions qui peuvent être introduits dans les processus de prise de décision démocratique par l'utilisation de systèmes automatisés ou d'algorithmes. Ces biais peuvent se produire dans divers domaines, tels que la sélection des informations présentées aux électeurs, la cartographie électorale, la collecte de données sur les électeurs et même dans les systèmes de vote en ligne. Ils peuvent avoir des implications importantes sur l'équité, la représentativité et la légitimité des processus démocratiques.
De manière générale, le travail des algorithmes consiste à analyser des données et à les classer en leur attribuant des scores et ainsi, à conférer à certaines d’entre elles plus d’importance qu’à d’autres. Pourtant, la nature et la source de ces données sont variées et ne découlent pas toujours des mêmes composantes du monde social que le travail des algorithmes prétend parfaitement numériser. On parle de biais algorithmique donc lorsque les algorithmes produisent des résultats ou prennent des décisions qui sont injustes ou discriminatoires envers certaines personnes ou groupes. Cela peut se produire lorsque les données utilisées pour entraîner les algorithmes sont biaisées ou non représentatives de la population réelle, ce qui conduit à des prédictions ou des recommandations inexactes ou discriminatoires. Il est donc essentiel de prendre des mesures pour identifier et atténuer les biais algorithmiques, notamment en examinant les données d'entraînement, en surveillant les résultats des algorithmes et en prenant des mesures correctives lorsque des biais sont détectés.
De ce fait, les biais algorithmiques représentent une menace à la fois pour les populations et pour les démocraties au moins à deux niveaux :
- Les différences dans les échelles de valeurs
Toute société est porteuse de ses propres valeurs qu’elle défend, entretient et perpétue. Or, ce n’est qu’un secret de polichinelle qu’à plus d’un titre, les valeurs occidentales et les valeurs africaines ne sont pas toujours identiques. S’il est donc constaté que la plupart des technologies sont développées à la « Silicon Valley » (aux Etats Unis), en Angleterre et en Asie, il est nécessaire de s’inquiéter quant à leur neutralité pour pouvoir être appliquées dans le monde entier et particulièrement en Afrique. En effet, selon plusieurs études, les algorithmes d’intelligence artificielle peuvent reproduire les biais – conscients ou non – des personnes qui les conçoivent. Les données qui sont utilisées pour entraîner les algorithmes peuvent également être biaisées, surtout si elles sont le résultat de discriminations déjà existantes au sein de la société. L’on se rappelle des critiques qu’avait essuyées Facebook en 2016, accusé de comporter des biais raciaux dans ses algorithmes.
Par ailleurs, Rachel Adams, fondatrice de l’OAIAR, présente l’urgence de participer à la
« décolonisation de l’IA » en Afrique. Elle affirme à cet effet, vouloir « identifier, dans le monde de l’IA, les dynamiques héritées du colonialisme, afin de les désamorcer». En effet, l’importation de technologies mésadaptées aux contextes locaux est un problème, dit-elle. Par exemple, les systèmes de reconnaissance faciale « entraînés » hors du continent sont susceptibles de commettre des erreurs. Cela est particulièrement inquiétant quand ils sont employés à des fins de surveillance policière, comme à Johannesburg, où plus de 5000 caméras assistées par l’IA de la compagnie danoise iSentry & Milestone enregistrent les faits et gestes des passants.
- L’exclusion de certains groupes ou catégories de personnes
L’équité des systèmes intelligents repose en grande partie sur les données avec lesquelles ils ont été entraînés. Comme l’affirme Rachel Adams, « les données disponibles en Afrique sont largement basées sur l’expérience des hommes ». Il faut donc en déduire que, par conséquent, les services sont biaisés. C’est pour contrer cette tendance que l’OAIAR s’est engagé à inclure la dimension de genre et de race dans tous ses travaux. De même, les outils technologiques développés peuvent contenir des éléments discriminatoires, ciblant disproportionnellement certains groupes en fonction de leur origine ethnique, de leur religion, de leur classe sociale, de leurs races ou d’autres caractéristiques. Cela peut donc renforcer les préjugés existants et aggraver les disparités déjà présentes dans les sociétés.
C’est d’ailleurs ce risque quant au respect des droits humains qu’a relevé M. Türk lorsqu’il appelait à la création d’un organe international chargé de la gouvernance de l’IA. Après avoir constaté que les initiatives fleurissaient par le monde mais qu’elles manquaient de coordination et ne mettaient pas assez l’accent sur le respect des droits humains, il a affirmé craindre qu’il y ait également par la suite des définitions divergentes de l’éthique et de la notion de « risque acceptable » vis-à-vis de l’intelligence artificielle.
- La colonisation numérique
Les fournisseurs de technologie ont un réel impact en Afrique, permettant au continent d’embrasser les technologies comme des leviers de développement et comme garant d’une démocratie certaine. Toutefois, cela présente un risque non négligeable qui est celui d’un retour à la colonisation, cette fois-ci s'agissant de la colonisation numérique. La colonisation numérique fait référence à l’utilisation de technologies numériques dans le but de dominer politiquement, économiquement et socialement une autre nation ou territoire. En effet, Les cas d’outils d’IA par exemple, contrôlés et/ou conçus par des étrangers dans un contexte africain sont de plus en plus perçus en termes néocoloniaux, c’est-à-dire comme des éléments de la « colonisation algorithmique », du « colonialisme des données » et comme du « colonialisme numérique ». Comme le souligne Seydina Ndiaye, “la plus grande menace est la colonisation. Nous risquons de nous retrouver avec de grandes multinationales de l'IA qui imposeront leurs solutions sur tout le continent, ne laissant aucune place à la création de solutions locales.”
Le premier élément de domination est celui de la dépendance aux infrastructures. Ensuite, le colonialisme digital est enraciné dans la domination de ce que le monde numérique englobe : les logiciels, le matériel informatique (hardware) et les réseaux de connexion. Il est aujourd’hui inséparable des outils traditionnels du capitalisme et de la gouvernance autoritaire, de l’exploitation du travail, des services de renseignements et de l’hégémonie des classes dirigeantes. Sur le plan politique également, il est une influence certaine des entreprises étrangères, lesquelles testent leurs technologies et techniques de contrôle des populations d’abord sur d’autres territoires. Aujourd’hui, ce sont les technologies de prises d’empreintes digitales en Inde et Afrique du Sud, ou bien les innovations dans la gestion des données et des statistiques pour l’appareil de surveillance étatique aux Philippines – innovations qui ont finalement été par la suite employées contre les activistes et contestataires aux Etats-Unis. Microsoft et ses partenaires suggèrent que les Africains continuent d’être les cobayes de leurs expérimentations sur les technologies numériques dans les prisons.
- La manipulation par la désinformation
Dans la manipulation des citoyens par le biais de la désinformation, les grandes puissances jouent également un rôle considérable, dans le but de biaiser les processus démocratiques en Afrique. Alors que le continent africain compte aujourd’hui plus de 400 millions d’utilisateurs actifs de médias sociaux et 600 millions d’internautes, les campagnes de désinformation ne cessent de prendre de l’ampleur. Sur les 189 répertoriées depuis les années 2022 par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, plusieurs d’entre elles sont orchestrées par les puissances étrangères à l’instar de la Chine et principalement de la Russie. La cartographie présentée dans la figure suivante met en lumière les auteurs des campagnes de désinformation en Afrique.
Figure 7 : Cartographie régionale de la désinformation en Afrique
Source : Centre d’études stratégiques de l’Afrique, avril 2024
Il ressort de cette cartographie que, près de 60 % des campagnes de désinformation menées sur le continent sont parrainées par des États étrangers, la Russie, la Chine, les Émirats arabes unis (EAU), l’Arabie saoudite et le Qatar étant les principaux sponsors. Les campagnes orchestrées par la Russie représentent 40% du total, montrant ainsi l’influence considérable de ce pays sur les processus démocratiques en Afrique. Cela confirme ce qu’affirmait Asma Malha, en disant que “C’est la grande faiblesse des démocraties dans cette histoire, car les réseaux restent par nature poreux. Une porosité qui représente une opportunité d’ingérence et d’influence à bas coût pour les régimes autoritaires. La démocratie peut, à terme, s’en trouver réellement fragilisée.”
PARTIE III : ETUDE DE CAS DES TECHNOLOGIES, SOUTIEN DU JEU DÉMOCRATIQUE EN AFRIQUE
SHAPE \* MERGEFORMAT
A travers des entretiens réalisés avec cinq acteurs de la société civile au Nigeria, au Togo, en Erythrée et en République démocratique du Congo (RDC), il apparait qu’à travers le continent de nombreuses initiatives citoyennes se basent sur les nouvelles technologies pour consolider la participation citoyenne au processus démocratique. Il apparait clairement que la Blockchain, l’intelligence, artificielle ont libéré le potentiel des citoyens à participer à la gouvernance politique et économique et à assurer un contrôle de l’action gouvernementale.
- Big data, l'intelligence artificielle et la responsabilisation gouvernementale
- A. B U D G I T, une technologie créative pour simplifier l'information publique et faciliter les réformes budgétaires au Nigeria
B U D G I T, est une organisation civique nigériane qui applique la technologie à l'engagement des citoyens avec l'amélioration institutionnelle pour faciliter le changement sociétal. BudgIt aide les citoyens à comprendre les finances publiques en décomposant le big data en infographies.
Les analphabètes et les pauvres ne peuvent pas comprendre les dépenses publiques et ne peuvent pas demander des comptes aux décideurs. BUDGIT les aide à leur expliquer ce que représente chaque ligne budgétaire et ce qu'elle peut réaliser concrètement. De cette façon, ils peuvent décider si une dépense ou un investissement spécifique est approprié ou non.
Il s'agit donc d'une technologie qui simplifie et facilite la participation des citoyens au débat public. Il aide également à mobiliser les entrepreneurs sociaux pour qu'ils s'attaquent aux problèmes sociaux et soutiennent le gouvernement et la prestation de services, mais de plus en plus, ces outils sont utiles pour mettre le pouvoir entre les mains des citoyens dans une démocratie. Il s'agit d'une application et d'une barre oblique à but non lucratif pour le profit. En 2017, le gouvernement du Nigeria a publié le budget pour la nouvelle année, qui comptait près de 3000 pages de documents, ce qui était trop pour le commun des mortels. Même les législateurs étaient censés exercer une surveillance. L'équipe budgétaire a pris toutes ces données et a résumé ce budget de 3000 pages en un document de 30 pages en utilisant une combinaison d'infographies, d'images et de graphiques pour expliquer les parties les plus importantes du budget. Il a ensuite été remis à 12 sénateurs qui se sont mieux préparés et mieux articulés pendant le débat au Sénat parce qu'ils pouvaient donner un sens à toute cette information à l'aide de ces résumés.
Budgit est donc en mesure d'influencer la façon dont les membres de la législature s'acquittent de leur responsabilité d'interroger le budget de l'exécutif en utilisant des informations simplifiées et le pouvoir de la technologie. Il n'est pas perçu par le gouvernement comme un combatif, mais plutôt comme une utilisation de la technologie pour faire progresser la démocratie.
L'équipe de Budgit dispose également d'un sous-bras appelé tracker, qui suit en fait les dépenses publiques. Il y a donc des gens sur le terrain qui vont comparer les éléments du budget et les dépenses du budget avec la prestation réelle sur le terrain.
Il est donc utile de s'assurer que ce que le gouvernement promet aux citoyens correspond réellement à la qualité de ce qui est réellement livré. Encore une fois, une partie de cela est manuelle. Cela est dû en grande partie à la technologie. En 2012/2013, il y a eu une manifestation d'Occupy Nigeria au Nigeria, le gouvernement a publié le budget et l'équipe de Budgit a créé un outil permettant aux citoyens de donner leur propre budget alternatif.
- Big Data, Intelligence artificielle et Participation et Suivi des élections
- U-S-H-A-H-I-D-I, Autonomiser les citoyens grâce au crowdsourcing et à la collecte de données numériques au Kenya
Ushahidi, qui signifie « témoignage » en swahili, a été créé en 2007 dans le contexte d'incidents violents survenus au lendemain des élections présidentielles kényanes. À l'époque, l'idée était de créer une plateforme de crowdsourcing permettant de soumettre des rapports de violence et de cartographier les événements via un téléphone portable ou Internet. Entre 2007 et 2008, 450 000 utilisateurs ont utilisé cette technologie. Après son lancement au Kenya, Ushahidi a été reproduit dans de nombreux contextes différents, de la géolocalisation des victimes après les tremblements de terre en Haïti à la coordination des manifestations pendant le Printemps arabe et à la dénonciation des violences commises en Syrie. Bien que les domaines de déploiement soient très divers, la plupart d'entre eux concernent la surveillance des élections, les interventions en cas de crise et d'urgence, l'activisme ainsi que l'engagement civique et le renforcement de la communauté.
Mais aujourd'hui, Ushahidi, qui est à la fois le nom de l’organisation et de la plateforme de crowdsourcing, s'est étendu et a développé des activités au-delà de cet objectif premier de crowdsourcing et de collecte de données. Il s'agit d'une entreprise de technologie civique à but non lucratif qui développe une large gamme de logiciels conçus pour gérer et analyser les données collectées par SMS, e-mail, Web et même Twitter. Par exemple, il a été développé Roll Call, une application d'enregistrement d'équipe pour se joindre et confirmer que tout le monde va bien, notamment en cas de crise. Quel que soit le logiciel, l'objectif ultime est de changer la façon dont l'information circule, responsabilise les gens et les aide à faire entendre leur voix.
Un groupe d'informaticiens et de blogueurs au Kenya a décidé de créer une plate-forme de cartographie des foules pour que les gens puissent cartographier les endroits où la violence se produit afin que d'autres personnes puissent éviter ces endroits. C'est donc un outil d'auto-assistance pour aider les gens à comprendre où les affrontements se sont produits autour des élections. Ushahidi a été conçu pour être utilisé à la fois dans les zones urbaines et rurales. Lors de son lancement au Kenya en 2007/2008, la technologie a permis de signaler les violences dans les villes ainsi que de recueillir des informations dans les zones rurales.
Les citoyens ont pu rendre compte des événements électoraux et partager leurs points de vue par le biais de canaux tels que WhatsApp, SMS, USSD et les médias sociaux. Par l'intermédiaire d'Uchaguzi, 93 236 rapports ont été recueillis, dont 12 387 ont été publiés. Pour garantir l'exactitude et la crédibilité, 91 volontaires d'intervention numérique du monde entier se sont engagés dans un processus de vérification rigoureux afin d'éliminer la désinformation, les rumeurs et les faux récits. Le succès d'Uchaguzi souligne l'importance de la technologie dans la promotion de la transparence, de la responsabilité et de la participation des citoyens aux processus électoraux.
Une grande partie de ces informations sont utilisées pendant les élections pour recueillir des preuves et géolocaliser les endroits où se produisent les incidents qui se produisent pendant les élections et qui mettent la vie des citoyens en danger ou qui pourraient avoir un impact important sur le résultat des élections.
- #RSVP, le contrôle citoyen des élections au Nigeria
Au Nigeria, un groupe fondé par Yemi Adamolekun, appelé Enough is Enough, a construit une plate-forme appelée #RSVP, qui signifie : Inscrivez-vous pour Votez et défendez votre vote. #RSVP est une solution mobile permettant aux citoyens de participer aux processus électoraux dans leurs différentes unités de vote, y compris pendant le dépouillement des élections, et de le transmettre à une base de données centrale afin de disposer d'une sorte de tabulation parallèle à côté de ce que la commission électorale publie. Parce qu'au Nigeria en particulier, une grande partie de la manipulation des résultats se produit entre la fin où les résultats sont comptés et lorsqu'ils sont rassemblés de manière centralisée et souvent, c'est parce que les gens n'ont pas d'informations sur ce qu'est le décompte dans les différents bureaux de vote à travers le pays.
La loi nigériane stipule que seul l'organe électoral a le droit légal de déclarer les résultats des élections. Mais ces outils de comptage parallèles sont en fait très utiles pour s'assurer que les citoyens peuvent au moins vérifier le système et que les autres partis dans l'élection peuvent également avoir des preuves lorsqu'ils doivent aller devant les tribunaux pour prouver si l'élection a été manipulée ou non.
- La plateforme GoVote, une mobilisation des électeurs
Femi Longe est un activiste nigérian qui travaille dans le bitcoin depuis maintenant deux ans. Il dirige un programme qui forme des ingénieurs logiciels africains autour du développement du Bitcoin.
Pour entrer dans le Bitcoin, il y a environ 14 ans Il a cofondé Co Creation Hub ou CC Hub, le plus grand centre d'innovation sociale et d'innovation technologique en Afrique, basé à Lagos avec des représentations au Rwanda et en Namibie.
L'organisation vise à mettre en relation les startups et les ingénieurs logiciels avec des personnes de l'industrie du développement, des organisations à but non lucratif, ainsi que des entreprises, afin de comprendre comment ils peuvent collaborer pour utiliser l'innovation pour résoudre de vrais problèmes africains.
En 2019, seuls 34,75 % des électeurs inscrits au Nigeria ont voté aux élections présidentielles. Cela signifie que, pour dix électeurs éligibles, moins de quatre personnes ont déterminé qui a gagné en 2019 . Au Nigéria, les jeunes représentent la frange de la population la plus nombreuse, mais ce n'est pas une représentation aux élections, car les jeunes électeurs et les nouveaux électeurs continuent de faire face à divers obstacles, ce qui a bloqué la participation significative des jeunes dans les systèmes démocratiques du Nigeria.
GoVote est une plate-forme et une campagne visant à éduquer les Nigérians sur la façon de s'inscrire pour voter aux élections générales du pays et à les mobiliser pour qu'ils le fassent. Au cours du cycle électoral général de 2019, la plateforme a été élargie pour fournir de l'information aux nouveaux électeurs sur ce à quoi s'attendre le jour de l'élection, de l'éducation des électeurs sur la conduite responsable avant et pendant les élections et l'agrégation de points d'information visant à aider les électeurs à faire des choix éclairés sur les candidats et à mener des sondages auprès des citoyens sur la gouvernance électorale. CcHUB, soutenu par Luminate Group et la National Endowment for Democracy, s'est fixé l'objectif ambitieux de tirer parti de GoVote.ng pour enregistrer 5 000 000 de Nigérians d'ici les élections de 2023.
GoVote est une campagne qui tire partie de la technologie et qui vise à simplifier l'information dont les citoyens ont besoin pour être prêts à voter le jour de l'élection. Parce que les organisateurs électoraux sont généralement très bureaucratiques, GoVote communique avec les citoyens en utilisant la technologie de l'ancienne bande, des SMS au Web, en passant par les appels vocaux automatisés pour décomposer et simplifier le processus et les questions que les citoyens se posent.
Lors des dernières élections générales nigérianes, l'administration électorale a tenté d'utiliser la technologie. Ils disposaient d'un système par lequel les résultats électoraux seraient centralisés et les citoyens pourraient voir les décomptes, automatiquement au fur et à mesure qu'ils sont téléchargés dans le système. Mais il s'est avéré que le commissaire électoral lui-même avait été compromis. Et le jour des élections, ils ont eux-mêmes saboté le système, soit en refusant de télécharger les résultats, soit en invoquant des pannes d'Internet.
Dans certains cas, ils ont numérisé la feuille de résultats, mais ont téléchargé des copies très médiocres qui n'ont pas pu être comptées, ce qui a contribué à manipuler les résultats. GoVote a aidé les électeurs à effectuer un décompte parallèle, en prenant les données que les citoyens eux-mêmes ont documentées dans leur propre bureau de vote, en extrayant ces données virtuellement, puis en les utilisant pour effectuer un décompte parallèle.
- Le bitcoin et la contribution des citoyens aux réformes politiques et sécuritaires
Le bitcoin est une cryptomonnaie, c’est-à-dire de l’argent virtuel, le bitcoin n’existe que sous forme numérique. La cryptomonnaie ne connaît pas de frontières puisqu’elle dépend d’Internet : les transactions sont enregistrées dans une base de données appelée « chaîne de blocs » (blockchain), soit un ensemble d’ordinateurs connectés qui génèrent un registre en temps réel. Les transactions se font sur le Web et peuvent donc avoir lieu n’importe où dans le monde.
Pour ceux qui vivent dans des pays politiquement instables et autoritaires, la cryptomonnaie représente une solution de contournement à la censure et au contrôle du système bancaire et financier traditionnel. De nombreuses organisations de la société civile font de plus en plus recours à cette monnaie virtuelle pour lever des financements et soutenir les droits des citoyens à participer à la vie citoyenne.
- La Feminist coalition, le Bitcoin et les manifestations contre la brutalité policière au Nigeria
En octobre 2020, au Nigeria, des manifestations massives ont éclaté dans la rue contre les violences policières. La jeunesse nigériane réclamait le démantèlement de la tristement célèbre unité SARS et la fin de la brutalité policière et d'un système judiciaire injuste. C'était sans précédent dans l'histoire du Nigeria parce que c'était la toute première manifestation décentralisée au Nigeria. Comme d'habitude, le gouvernement a essayé de trouver les leaders de la protestation pour les contraindre, les soudoyer, les attaquer et les discréditer, afin de mettre fin à la manifestation.
La Feminist coalition est un groupe de jeunes féministes nigérianes formé en juillet 2020 dont la mission est de défendre l'égalité des femmes dans la société nigériane, en mettant l'accent sur l'éducation, la liberté financière et la représentation dans la fonction publique. Ils luttent contre l'injustice par le biais de manifestations pacifiques, de collectes de fonds et d'organisations sur les réseaux sociaux. Ils ont une vision pour un Nigeria où l'égalité pour tous est une réalité dans les lois et dans la vie quotidienne.
La Coalition féministe a utilisé le bitcoin comme outil pour mobiliser des fonds afin de soutenir les manifestant·e·s en octobre 2020. Elle a reçu et déboursé des dons en bitcoins pour le mouvement #EndSARS pacifique. Ils aident à lutter contre l'injustice par le biais de collectes de fonds afin de soutenir les manifestations pacifiques et d'assurer la sécurité des Nigérians exerçant leurs droits civiques – en fournissant de la nourriture, de l'eau et d'autres rafraîchissements, des masques, une aide médicale et une aide juridique aux manifestants. Ils ont levé une somme totale de 1,28827988 BTC (NGN 62,643,663.05/11 474,34 dollars).
Ils ont maintenu cela grâce à une équipe inébranlable de femmes, à des efforts de collecte de fonds, à un réseau d'avocats bénévoles, de propriétaires d'entreprises et de Nigérians bien intentionnés.
En général, les manifestations ne durent pas longtemps parce que les manifestants manquent de ressources pour nourrir leur famille, payer leurs frais juridiques et accéder aux soins de santé. Mais lors de la manifestation EndSars, les organisateurs ont atteint cet objectif grâce aux fonds collectés via le bitcoin. Le gouvernement a suivi et gelé les comptes bancaires des personnes qu'il percevait comme les leaders de la manifestation, mais les gens continuaient à faire des dons en utilisant des bitcoins et des crypto-monnaies. L'utilisation du Bitcoin a permis de mobiliser et de s'assurer que les gens puissent participer aux manifestations sans crainte de représailles, car le gouvernement ne savait pas exactement qui soutenait la manifestation.
Même dans les cas où les activistes ont dû fuir le pays, ils ont liquidé leurs actifs et les ont convertis en bitcoins ou en crypto-monnaies. La plupart d'entre eux ont fui vers la frontière avec juste une clé USB ou leur téléphone dans leur poche. C’est le cas de David Ine, un journaliste Nigérian, qui a publié un certain nombre d'exposés, autour de la corruption dans les gouvernements, y compris en ce qui concerne l'actuel président du Nigeria et ses liens avec le trafic de drogue. Et il y a eu plusieurs menaces de mort. Il est actuellement demandeur d'asile, mais pour fuir le pays, il a dû convertir tous ses actifs en crypto- monnaies.
- Le rôle de Bitcoin Innovation Hub Africa dans la lutte contre la dictature en Érythrée
Meron Estefanos est une journaliste suédo-érythréenne de renom, auteure, militante des droits de l'homme et défenseure des victimes de la traite et de la torture. Elle est membre du Mouvement érythréen pour la démocratie et les droits de l'homme et a activement fait campagne pour la liberté et la démocratie en Érythrée. Elle a consacré son travail et ses ressources à payer la rançon des demandeurs d'asile victimes de la traite alors qu'ils fuyaient l'une des pires dictatures d'Érythrée.
Il y a deux ans, en juin 2023, elle a ouvert le Bitcoin Innovation Hub pour enseigner l'utilisation de Bitcoin aux réfugiés et aux activistes prodémocratie.
- Le bitcoin pour soutien des activistes prodémocratie en Érythrée et dans la région
Le Bitcoin Innovation Hub vise à soutenir les activistes clandestins dans de nombreux pays d'Afrique, dont l'Éthiopie, l'Érythrée ou l'Ouganda, qui travaillent dans des espaces très dangereux. Ils prennent des risques pour faire face aux dictatures et ont besoin d'être soutenus. Le hub paie ces activistes en bitcoins, en particulier dans les pays où les bailleurs de fonds étrangers sont interdits ou perçus comme des actes de trahison.
Donc, cela aide à se cacher de ces gouvernements et cela aide de nombreux activistes, à subvenir à leurs besoins en recevant ce genre de dons. En réalité, l'envoi des fonds aux personnes à travers les moyens légaux et formels en Érythrée peut être très difficile et dangereux en raison des limites mensuelles accessibles par personne. Le maximum autorisé par personne oscille entre 160$ et 350$. Même le système informel de transfert d'argent entre personnes appelé Hawala est contrôlé par le gouvernement. L'envoi d'argent à des activistes clandestins via Hawala les a exposés exactement comme par des moyens légaux. Ainsi, le bitcoin est apparu comme une opportunité de lutter contre la dictature en Érythrée.
Le Hub a formé des militants et des familles à l'utilisation de Paxful, une plateforme d’échange de bitcoins de pair à pair où les échanges se déroulent entièrement sous séquestre. Là-bas, ils n'avaient pas besoin d'une pièce d'identité et ils pouvaient facilement acheter et vendre sans avoir à enregistrer d'e-mail. C'était donc parfait pour eux de garder leur anonymat.
En Ouganda par exemple, depuis l'année dernière, il y a un projet de loi anti-gay, qui criminalise l’homosexualité avec des peines privatives de liberté allant jusqu’à 20 ans de prison. Ainsi les ONG LGBTQI, qui souffrent de l’adoption de cette loi reçoivent désormais les dons en bitcoins pour continuer leurs activités.
- Le bitcoin et la protection des victimes de la traite des personnes en Érythrée
L'Érythrée est connue comme une dictature dont les citoyens risquent continuellement leur vie pour fuir la répression politique, la conscription militaire illimitée et le travail forcé. Au cours des dernières décennies, des milliers d’Erythréens ont été forcés à l’exil et pendant leur fuite ils ont été exposés à la traite des êtres humains et la torture en Égypte et au Moyen-Orient, contre une rançon pour un minimum de 33 000 $ à 70 000 $ par personne.
Le Bitcoin Innovation Hub se concentre sur les réfugiés érythréens, fuyant leur pays, sans pièce d'identité. Ils dépendent d'un transfert d'argent allant jusqu'à 1 000 dollars par mois, principalement envoyé via le système Hawala, qui prend environ 20% de frais de transfert.
L'Ouganda compte la plus grande communauté de réfugiés au monde, avec 2 à 3 millions de réfugiés. Ainsi, le Hub leur apprend comment ils peuvent recevoir de l'argent par le biais de bitcoins.
Avant la création de BIH, Meron pouvait lever jusqu'à 120 000 $ à 200 000 $ en une journée, mais ne pouvait pas les transférer via les systèmes de transfert d'argent traditionnels tels que : Western Union ou MoneyGram ne permettant qu'une limite de transfert de 4 500 $ maximum à 7 500 $ maximum. Elle a même été mise sur la liste noire et bannie par ces entreprises. Elle a donc exploré la technologie de la cryptomonnaie comme moyen de mobilisation et de transfert de fonds vers les victimes pour les aider à payer leur rançon.
De cette façon, en moins d'une heure, Meron peut envoyer de l'argent à un membre de la famille d'une victime de la traite au Soudan, en Égypte ou en Libye, et ils sauront où le vendre en utilisant Paxful. Et puis il y a beaucoup d'autres marchés où vous pouvez vendre vos bitcoins, comme la carte jaune et d'autres. Donc, nous avons des options maintenant, tout de suite, donc les gens le vendent, et en moins d'une heure, les gens peuvent effectuer leur paiement à temps.
- Défis rencontrés.
En Afrique, il y a eu beaucoup d'escroqueries au nom du Bitcoin. Certains ont vendu leurs maisons, leur terrain, leurs entreprises pour investir dans le Bitcoin. Et le bitcoin ne leur a jamais été donné. Il y a beaucoup de manque d'éducation à ce sujet, ce qui affecte non seulement les activistes, mais aussi les personnes qui ont besoin d'une aide directe.
- Bitcoin contre la cybersurveillance et la censure financière des cyberactivistes au Togo
Pour réprimer les opposants et les activistes des droits humains, le gouvernement togolais a développé des techniques de criminalisation allant de l’adoption d’une loi sur la cybersécurité́ et la lutte contre la cybercriminalité au recours à l’espionnage digital. Ainsi, en 2021, le logiciel espion, Pégasus, développé par l’entreprise israélienne NSO Group Technologies a été utilisé pour espionner les appareils des opposants. Plus de 300 numéros togolais apparaissent dans la liste des cibles potentielles du logiciel espion israélien, Pegasus. Le Togo est l’un des pays africains les plus proches de l’État hébreu. Les personnes ciblées sont notamment des militants, des journalistes ou des opposants politiques.
Ainsi les activistes et cyberactivistes doivent développer des moyens de contourner pour échapper non seulement à l'espionnage mais à la surveillance digitale de manière plus large. Farida Bemba est une militante togolaise des droits de l’Homme. Elle a fondé le mouvement « Faure Must Go », appelant à la résistance civile dans l'intérêt de la démocratie au Togo. Elle est promotrice du Bitcoin Africa conférence qui est un programme de formation sur le bitcoin en Afrique (notamment au Ghana, au Benin, au Nigéria, au Kenya, en RDC…), l’objectif est de vulgariser l’outil pour avoir une alternative en termes d’outil de paiement à travers les frontières, notamment pour les cyberactivistes mais aussi pour l’épargne et les ressources financières des populations rurales.
Elle se sert du bitcoin comme un outil important pour favoriser l’émergence du cyberactivisme au Togo en offrant des financements aux jeunes blogueurs et activistes en ligne. En les payant à travers le bitcoin, elle évite le traçage, cela permet d’assurer la protection des données, c’est plus sécurisé, le gouvernement ne peut pas s’en saisir. Ce qui permet de protéger les organisations et les militants qui se servent des réseaux sociaux. Pour les militants qui doivent partir, le bitcoin permet notamment d’envoyer de l’argent directement sans être tracé, cela permet aussi une intervention rapide et de contourner la surveillance financière par les États autocratiques. Le gouvernement togolais écoute les conversations, mais il surveille également les mouvements d'argent. Le bitcoin permet de ne pas donner son argent aux institutions financières et de rester loin des radars, en toute sécurité.
Il y a des activistes qui se servent du bitcoin pour les activités citoyennes (activisme politique) mais il existe aussi des bitcoiners non-activistes (comme les coopératives d’agriculteurs). Farida Bemba n’a pas encore pris une initiative accès sur le bitcoin pour promouvoir la sécurité financière des activistes, car les activistes sont réticents sur la question de l’argent. Elle limite pour cette raison sa formation aux personnes intéressées sur le côté pratique et les opportunités.
Le bitcoin est un outil qui facilite l’accès à l’argent et permet de construire une société au sein de laquelle les peuples sont libérés des systèmes financiers établis. Les personnes qui défendent la démocratie, l’État de droit sont des proies pour le système. Il leur fallait donc une autonomie financière.
Au Togo, il est certain que des personnes sont activistes car elles y voient une occasion de gagner de l’argent, pour eux, le militantisme étant une activité commerciale. Cependant, ceux qui sont dans le militantisme par conviction sont ceux qui souffrent le plus, car ils ne demandent pas de l’aide, de l’argent même si c’est une question de vie ou de mort. Une couverture médicale, une formation pour les militants pourraient être une solution pour les aider à avoir une indépendance financière. Le bitcoin est utile, mais ça ne doit pas être le seul outil.
- Le bitcoin contre les arrestations et détention arbitraires en République démocratique du Congo (RDC)
Le mouvement La Lucha est créé en 2012 dans la ville de Goma, à l’est de la République démocratique du Congo par des jeunes activistes en quête de méthode innovante de participation citoyenne. Après avoir enchaîné les luttes sur des enjeux sociaux locaux (emploi, eau, sécurité), le mouvement acquiert une stature nationale au cours de l’année 2015, dans le cadre des mobilisations de la jeunesse contre la prolongation du deuxième mandat de Joseph Kabila (qualifiée de « glissement » du calendrier électoral).
Entre 2015 et 2018, La Lucha fait le choix des manifestations dans la rue pour dénoncer le non-respect de la Constitution en dépit de la répression policière systématique. Le collectif observe tant bien que mal un fonctionnement horizontal, à l’opposé des partis et des structures de la société civile (ONG et associations), qui « appartiennent » généralement à leur fondateur.trices.
En 2019 elle s’engage dans une mission de « responsabilisation des pouvoirs publics » à travers l’initiative de contrôle citoyen – la « Fatshimetrie » –, qui consiste à suivre systématiquement le degré de réalisation des engagements de la présidence. La Lucha est donc exposée à une forte criminalisation de la protestation à travers des arrestations et détentions arbitraires de ses militants.
Ayant fait le choix de ne pas s’enregistrer légalement, Le mouvement LUCHA ne peut disposer de compte bancaire, et ne peux aisément recevoir les dons pour l’assistance judiciaires de ses militants en détention. Les dons traditionnels, tels que les vivres ou la monnaie représentent encore 99.9%. Depuis Avril 2021, le mouvement citoyen accepte des dons en bitcoin pour soutenir “des actions pacifiques sur toute l’étendue du territoire national pour dénoncer l’insécurité à l’Est du pays ainsi que l’incapacité de l’armée et de la mission de l’ONU à protéger les civils massacrés quotidiennement”, peut-on lire sur le compte Twitter du mouvement.
En 2021, le mouvement a pu collecter 1500$ pour aider les militants en détention arbitraires. Les principaux donateurs sont les individus, les Congolais qui souhaitent participer à la lutte de la LUCHA et les militants.
Ce qui intéresse principalement la LUCHA dans le bitcoin est le fait que ce soit une monnaie indépendante, décentralisée, incensurable et moins contrôlée par les entités centrales. En effet, il est possible de recevoir des dons sans attirer l’attention du gouvernement. C’est aussi un moyen de contourner le système bancaire. La philosophie qui sous-tend le bitcoin repose sur un rejet de l’autorité gouvernementale et du recours aux banques comme unique tiers de confiance.
De plus, la crypto-monnaie est un domaine très peu réglementé en RDC. Les avantages de cette nouvelle monnaie résident essentiellement dans le fait que la transaction puisse être anonyme et qu’elle ne soit sous l’emprise d’aucun gouvernement, ce qui est une chose importante pour les activistes. Effectivement, les autorités locales ne s’intéressent pas encore à ces activités, notamment dû à une ignorance du fonctionnement. Il n’y a donc aucun moyen de contrôle.
RECOMMANDATIONS
L’utilisation des technologies nouvelles telles que l’IA, la Bigdata, la Blockchain, etc. participe à renforcer à plus d’un titre le jeu démocratique dans les Etats africains. Toutefois, comme épilogué ci-dessus, elle comporte des risques importants tant pour les Etats eux-mêmes, que pour la société civile. Bien plus, il est des défis majeurs auxquels ces derniers doivent faire face dans ce processus, car les technologies peuvent induire des effets pervers pour la démocratie en limitant la participation citoyenne éclairée, en accentuant les inégalités, en bafouant les droits humains, etc. Il s’avère donc crucial de proposer des solutions pouvant permettre que l’utilisation des technologies soit conforme aux idéaux démocratiques fixés par les Etats africains. Il faut toutefois reconnaître que la plupart des problèmes que soulève l’utilisation des technologies doit être traitée sur les plans politique, économique, juridique et surtout social, plutôt que sous le seul angle de la technologie.
Pour cela, les domaines devant faire l’objet d’attention plus accrue sont les suivants :
- Confidentialité et surveillance
Pour garantir aux utilisateurs la confidentialité de leurs données, il convient d’encourager les concepteurs à employer principalement des protocoles sans divulgation de connaissances (ou preuves à connaissances nulles, ou encore ZKP), qui visent à vérifier ou « prouver » l’identité sans collecter de données sur les participants (authentification par SMS ou via une chaîne de blocs). Les protocoles ZKP peuvent servir aux votes en ligne et dans le cadre de délibérations (par exemple pour partager des informations sensibles ou jouer le rôle de lanceur d’alerte).
- Réglementation
- Inciter/encourager les Etats à ratifier la Convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel (Convention de Malabo)
- Encourager les acteurs du jeu démocratique à élaborer et adopter les « Principes pour une IA responsable » en Afrique
- Proposer aux gouvernements des pistes pour l’adoption de formes règlementaires alternatives
- Mener des études approfondies pour déterminer des formulations innovantes de réglementations de plus en plus en adéquation aux technologies et à leur usage.
- Encourager les Etats africains à reformer leurs lois en matière électorale, pour inclure pleinement tous les aspects liés à l’utilisation des technologies.
- Transparence et responsabilité
- Réaliser une étude portant sur l’évaluation des pays basée sur l’indice mondial de l’IA responsable.
- Encourager les Etats à la création d’institutions éthiques qui assureront la responsabilisation de l’usage des technologies. Cette utilisation responsable s’accompagne de l’accroissement de la capacité des praticiens du développement et des populations locales à comprendre les interactions entre les humains et ces technologies.
- Encourager les concepteurs à fournir aux citoyens des informations claires sur la manière dont leurs données sont collectées, stockées, traitées et utilisées dans le cadre des processus démocratiques.
- Encourager la mise en place systématique des politiques de confidentialité détaillées et accessibles au public, afin de s’assurer que les citoyens donnent leur consentement éclairé avant de partager leurs données.
- Encourager les banques et acteurs du développement à promouvoir l’usage responsable de l’intelligence artificielle et des technologies. La culture de l'utilisation responsable des technologies émergentes doit être largement diffusée et mobilisée dans les cycles de projet opérationnels des acteurs du développement. Cela permettra d'inciter à l’élaboration de stratégies et politiques responsables
- Equité et inclusion
- Sensibiliser les plateformes sur l’importance que leurs algorithmes, leurs processus opérationnels et leurs modèles commerciaux garantissent le respect des droits humains.
- Encourager les gouvernements à adopter des politiques pour s’assurer que les plateformes technologiques utilisées dans le cadre démocratique sont accessibles à tous les citoyens, y compris ceux ayant des besoins spécifiques en matière d'accessibilité, tels que les personnes handicapées ou les personnes vivant dans des régions mal desservies par internet ; à adopter des normes d'accessibilité et fournissez des outils et des ressources pour faciliter la participation de tous.
- Encourager les plateformes technologiques utilisées dans le cadre démocratique à prendre en compte la diversité linguistique et culturelle des citoyens. Ce faisant, à proposer des versions multilingues des outils numériques et des contenus, et s’assurer qu'ils sont adaptés aux contextes culturels locaux pour garantir une participation équitable de tous les groupes linguistiques et culturels.
- Encourager les Etats à l’élaboration des politiques publiques visant à réduire les coûts d’accès aux technologies et aux outils numériques
- Education-Formation et sensibilisation
La formation est le levier de toute évolution. L'IA devrait être l'une des principales priorités de chaque gouvernement, parce que s’il n'y a pas assez d'investissements, s'il n'y a pas de programmes éducatifs, l’on risque de passer à côté de toutes les opportunités qui s'offrent actuellement. Pour pallier à cela il faudrait :
- Fournir une formation et une sensibilisation sur l'utilisation des technologies démocratiques à tous les segments de la population, en mettant particulièrement l'accent sur les groupes marginalisés et défavorisés. Cela pourrait consister en l’organisations des ateliers, des séminaires et des campagnes de sensibilisation pour aider les citoyens à comprendre comment utiliser les technologies pour participer à la vie politique.
- Mettre l’accent sur l’éducation des masses, particulièrement les enfants. Dès leur plus jeune âge, les former à l’utilisation de ces technologies. Cela doit commencer par la refonte et la réingénierie des systèmes éducatifs africains et des programmes scolaires, qui doivent s’atteler à produire des compétences capables de tirer pleinement profit de l’IA.
- Eduquer les politiciens, acteurs du jeu politiques, les parlementaires chargés de faire les lois. Ils doivent eux aussi être formés par les experts dans le domaine.
- Organiser des formations massives des populations sans distinction de sexe, d’âge, de niveau d’études, de situation sociale, de situation physique (handicapé ou pas) et de situation géographique (capitale, villes provinciales et village) à l’utilisation de l’outil informatique et d’Internet pour les sortir de l’analphabétisme numérique. Ces formations doivent également tenir compte de la réalité du nombre très élevé d’analphabètes. Ainsi, les formations devront être données en langues locales et les supports de cours traduits dans ces mêmes langues.
- Assurer de manière prioritaire le renforcement des capacités des citoyens, des universités locales et des décideurs politiques sur les questions de gouvernance de l'intelligence artificielle.
- Organiser la veille sur les enjeux relatifs aux technologies et à la démocratie. Elle peut se faire par l'organisation de conférences comme celle coordonnée par le groupe Agence française de développement (AFD) sur les « Droits humains et développement », réunissant en décembre 2021 quelque 500 acteurs du Nord et du Sud. Elle peut passer également par la rédaction de documents de recherches et la création de supports audio (podcasts par exemple).
- Processus électoral
- Encourager les gouvernements à associer tous les principaux acteurs du processus électoral (partis politiques, organes représentatifs de la société civile, associations d’électeurs, plateformes d’observation électorale, etc.) au choix des nouvelles technologies que l’on souhaite adopter. Par ailleurs, leur utilisation doit être encadrée par des garde-fous adéquats et soutenue par un cadre juridique adapté.
- Appuyer les administrations électorales dans l’élaboration d’un plan de continuité des opérations pour faire face à d'éventuelles pannes ou dysfonctionnements des systèmes de vote électronique. Pour cela, prévoir des mesures de secours telles que des bulletins de vote papier ou des centres de vote alternatifs pour garantir la poursuite du processus électoral en cas de problème technique.
- Encourager les administrations à assurer le renforcement des capacités de leurs agents permanents et temporaires puisque tous sont, à des degrés divers, concernés par les changements apportés : présidents de bureaux de vote, chefs de centres de vote, techniciens, responsables des données numériques dans les centres de compilation, informaticiens des antennes, personnel technique du centre de traitement des données, etc.
- Coopération
Sensibiliser les Etats sur l’importance et l’urgence de se doter d’outils régionaux, répondant aux besoins spécifiques de l’Afrique, à l’instar d’un « IA Act africain »
- Encourager les Etats à la création d’un organe régional chargé de la gouvernance de l’IA
- Sensibiliser les Etats sur l’importance de l’adoption d’une approche intégrée (coopérative) pour répondre de manière concertée aux défis générés par les technologies
- Encourager la coopération entre les acteurs de la coopération pour le développement, la société civile et les pouvoirs publics, pour contribuer à maintenir les espaces civiques en ligne ouverts et s'assurer que les entités publiques et privées qui déploient les technologies numériques respectent les droits des citoyens et l’état de droit.
- Encourager la coopération entre les gouvernements et les chercheurs, les entreprises technologiques, les universités et la société civile.
- Engagement citoyen
- Encourager les plateformes à permettre aux citoyens de participer aux processus démocratiques de manière anonyme ou sous un pseudonyme, lorsque cela est possible et approprié. Cela garantit que les individus peuvent exprimer leurs opinions et exercer leur droit de vote sans craindre de représailles ou de discrimination.
- Lancer des campagnes de sensibilisation pour informer les citoyens sur l'importance de leur engagement dans le processus démocratique et sur les possibilités offertes par les technologies pour y participer activement.
- Promouvoir la participation citoyenne en offrant des récompenses et des incitations pour encourager la participation citoyenne, telles que des prix pour les meilleures idées proposées, des reconnaissances pour les contributions significatives à la vie politique locale, ou pousser les Etats à accorder des réductions d'impôts pour ceux qui participent activement aux processus démocratiques.
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